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La Cour fédérale adopte le cadre d’analyse proposé par l’IPIC en ce qui concerne la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur

Fasken
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Bulletin de la propriété intellectuelle

La récente décision de la Cour fédérale du Canada dans l’affaire Benjamin Moore & Co. c. Canada (Procureur général), 2022 CF 923,  impose aux examinateurs canadiens de brevets un nouveau test à suivre dans leur analyse du caractère brevetable des inventions mises en œuvre par ordinateur. Le test en trois parties a été proposé par l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (IPIC), qui est intervenu dans cette affaire. L’IPIC était représenté par une équipe de Fasken composée de Julie Desrosiers, Eliane Ellbogen et Michael Shortt. On s’attend à ce que ce nouveau test clarifie et simplifie l’analyse de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur et permette la protection par brevet de ce type d’invention au Canada. Les demandeurs de brevets et leurs agents au Canada devraient prendre note de ce nouveau test.

Les faits

Benjamin Moore a interjeté appel du refus de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) d’émettre des brevets pour deux demandes de brevet pour une méthode assistée par ordinateur permettant de choisir des couleurs de peinture en fonction des humeurs et des émotions. L’OPIC a rejeté les demandes de brevet au motif qu’elles ne visaient pas un objet brevetable, mais qu’elles constituaient plutôt une conception théorique.

L’OPIC a fondé son refus sur 1) l’approche dite « problème-solution » dans l’analyse de la brevetabilité habituellement utilisé pour les inventions mises en œuvre par ordinateur et 2) une application trop large de l’exception des « simples principes scientifiques ou conceptions théoriques » prévue au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.

La méthode problème-solution permettait à l’OPIC d’écarter les éléments matériels informatiques des revendications du brevet, contrairement à l’exigence selon laquelle les éléments essentiels de la revendication doivent être déterminés en fonction d’une interprétation téléologique. Pour justifier cette approche, l’OPIC faisait valoir que ces éléments n’étaient pas essentiels à la solution particulière apportée par l’invention décrite au brevet. Cette approche, non conforme aux enseignements de la Cour Suprême sur l’interprétation des revendications est problématique parce que si l’ordinateur lui-même est considéré non-essentiel en vertu de la méthode problème-solution, les seuls éléments essentiels restants se limitent aux éléments de logiciel ou de codage ce qui, selon l’OPIC est un simple principe scientifique ou une conception théorique. Cette approche conduisait au rejet du brevet dans plusieurs cas. 

Arguments présentés en appel

L’appel de la décision de l’OPIC était unique en ce que toutes les parties s’entendaient sur le fait que l’OPIC avait commis une erreur et que l’affaire devait lui être renvoyée pour réexamen. La juge en chef adjointe de la Cour fédérale, la Juge en chef adjointe Mme Jocelyne Gagné était du même avis. Elle confirme que l’approche  « problème-solution » doit être écartée. Elle rappelle les motifs rendus par le juge Zinn dans l’affaire Choueifaty c. Canada (Procureur général), 2020 CF 837. Il y conclut que cette approche est incompatible avec l’interprétation téléologique décrite dans Free World Trust.

La véritable question dans cet appel était de savoir si la Cour fédérale devait contraindre l’OPIC à adopter un cadre d’analyse en particulier lors  du réexamen. 

Le procureur général du Canada était d’avis que le dossier devait être retourné pour réexamen sans directive particulière, En revanche  l’IPIC a demandé à la Cour d’élaborer un cadre d’analyse qui puisse servir de guide à l’évaluation de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur pour l’avenir. Selon l’IPIC ce cadre d’analyse est nécessaire compte tenu de l’approche adoptée par l’OPIC qui l’amène  à évaluer la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur au moyen d’un cadre juridique incorrect. En effet, à la suite de Choueifaty, l’OPIC a publié un avis de pratique visant à clarifier le cadre juridique applicable aux inventions mises en œuvre par ordinateur. Pourtant, cet avis réfère toujours à la méthode problème-solution qui a été spécifiquement rejetée par la Cour fédérale.

L’IPIC a proposé un test en trois parties :

  1. Interpréter la revendication de façon téléologique;
  2. Déterminer si la revendication ainsi interprétée ne consiste qu’en un simple principe scientifique ou une conception théorique, ou si elle comprend plutôt une application pratique qui utilise un principe scientifique ou une conception théorique;
  3. Si la revendication ainsi interprétée a une application pratique, évaluer ladite revendication selon les autres critères de brevetabilité, c’est-à-dire les catégories d’objet brevetable prévues par la loi et les exclusions judiciaires, ainsi que la nouveauté, l’évidence et l’utilité.

Benjamin Moore a soutenu cette approche lors de l’audition.

La Cour fédérale a adopté le test proposé par l’IPIC et a ordonné à l’OPIC de l’appliquer lors du réexamen des brevets de Benjamin Moore. En adoptant le test de l’IPIC, la Cour a confirmé que l’« exigence du caractère matériel » énoncée par la Cour d’appel fédérale en 2011 dans Amazon est sujette à évoluer en raison de l’évolution de la technologie elle-même. Comme l’a soutenu l’IPIC, dans le cas d’un programme informatique, il est faux d’affirmer qu’aucun « effet ou changement discernable » ne peut en résulter . Il est donc arbitraire de déterminer que les inventions mises en œuvre par ordinateur n’ont pas le « caractère matériel » nécessaire pour être brevetable. La Cour a convenu que l’approche de l’OPIC à l’égard des inventions mises en œuvre par ordinateur va à l’encontre de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Amazon.

Incidences sur le brevetage des inventions mises en œuvre par ordinateur au Canada

En résumé, la Cour a confirmé que le cadre proposé par l’IPIC était conforme aux enseignements de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale et qu’il assurait la cohérence de l’analyse du caractère brevetable d’une invention tant devant l’OPIC que devant les tribunaux. Ainsi, les inventions mises en œuvre par ordinateur recevront le même traitement lors de leur examen que tout autre type d’invention. À moins que cette décision ne soit infirmée en appel, elle constitue l’état du droit au pays et lie les examinateurs de brevets de l’OPIC ainsi que les demandeurs de brevets. En effet, compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire R c. Sullivan, 2022 CSC 19, elle lie maintenant tous les juges de la Cour fédérale faisant face à cette même question.

Cette décision permettra de clarifier la façon dont l’OPIC examine la brevetabilité des demandes de brevet pour les inventions mises en œuvre par ordinateur. Cette décision est d’autant plus importante que ces demandes de brevet ont augmenté de façon exponentielle au cours des vingt dernières années, en particulier celles qui intègrent les technologies de l’intelligence artificielle.

Le procureur général a jusqu’au 18 septembre pour déposer un avis d’appel si le gouvernement a l’intention de contester cette décision, mais un appel n’est pas garanti puisqu’aucun appel n’a été interjeté dans l’affaire Choueifaty. À la lumière de la décision de la Cour, il est recommandé que les demandeurs de brevets examinent leurs demandes existantes ou futures à la lumière de ce nouveau cadre d’analyse. Les demandeurs peuvent également envisager de rétablir les demandes qui ont été abandonnées ou d’interjeter appel d’un refus d’une demande par l’OPIC si ce refus est motivé par l’approche problème-solution afin de s’assurer que la brevetabilité soit désormais déterminée selon le cadre proposé par l’IPIC et adopté par la Cour.

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Auteurs

  • Julie Desrosiers, Associée, Montréal, QC, +1 514 397 7516, jdesrosiers@fasken.com
  • Eliane Ellbogen, Avocate | Agente de marques de commerce, Montréal, QC, +1 514 397 5130, eellbogen@fasken.com
  • Michael Shortt, Associé | Agent de marques de commerce, Montréal, QC, +1 514 397 5270, mshortt@fasken.com

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