La Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») a récemment rendu son arrêt dans l’affaire Cambie Surgeries Corporation v. British Columbia (Attorney General)[1]. Cette affaire a soulevé des questions concernant la constitutionnalité de la loi britanno-colombienne de protection du régime d’assurance-maladie, la Medical Protection Act (la « MPA »), qui interdit aux résidents de la Colombie-Britannique de se tourner vers des cliniques privées pour obtenir des services de santé médicalement nécessaires. Lors du procès de première instance, les demandeurs ont fait valoir que cette restriction allait à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») puisqu’elle empêche les résidents de la Colombie-Britannique d’accéder à des traitements médicaux privés lorsque le système public de santé ne peut leur fournir des soins en temps opportun.
En 2020, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté le recours des demandeurs. Les demandeurs (les appelants) ont porté ce jugement en appel devant la CACB.
En juillet 2022, la CACB a rendu son arrêt : elle a rejeté l’appel et confirmé la constitutionnalité des dispositions contestées de la MPA.
La prétention des appelants
Comme nous l’avons souligné dans un bulletin antérieur, les appelants ont fait valoir que les articles 14, 17, 18 et 45 de la MPA[2] sont inconstitutionnels au motif qu’ils empêchent les patients en Colombie-Britannique d’accéder à des soins de santé privés lorsque les périodes d’attente dans le système public sont trop longues.
Les appelants ont avancé que les dispositions contestées contrevenaient au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte, et qu’elles ne pouvaient être justifiées en vertu de l’article 1[3]. Les appelants ont allégué que le juge du procès avait commis de multiples erreurs de fait et de droit dans ses analyses des articles 7 et 1. En outre, les appelants ont soutenu que le juge avait erré dans son application des principes de justice fondamentale.
L’arrêt de la Cour d’appel
La CACB a rejeté l’appel. Les juges majoritaires ont conclu que même si les dispositions contestées privent certains patients de leur droit à la vie et à la sécurité de la personne, elles le font en conformité avec les principes de justice fondamentale. Dans des motifs concordants, la juge Fenlon a également écrit que l’appel devrait être rejeté, car, même si les dispositions violaient l’article 7 de la Charte, une telle violation est justifiée en vertu de l’article 1.
La CACB a souligné que le test permettant d’établir qu’il existe une violation de l’article 7 de la Charte comprend deux étapes. Premièrement, il faut démontrer « que la loi porte atteinte ou prive les [citoyens] de leur droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de leur personne ». Deuxièmement, il faut également démontrer que l’atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale.
Les juges majoritaires ont conclu que le juge de première instance a erré lors de son analyse du droit à la vie et du droit à la sécurité de la personne, de sorte que le premier critère du test était rempli. En revanche, ils ont estimé que les appelants n’avaient pas réussi à démontrer que cette atteinte n’était pas conforme aux principes de justice fondamentale, car ils n’avaient pas été en mesure de prouver que la loi était arbitraire, de portée excessive et de disproportion exagérée. Les juges majoritaires ont établi que l’objectif de la MPA est de protéger le système public universel de soins de santé pour les services médicalement nécessaires et de garantir que l’accès aux soins de santé est fondé sur les besoins des patients, et non sur leur capacité à payer. Les juges majoritaires ont conclu que l’objectif de la MPA est rationnellement lié à son objet et qu’il n’est pas arbitraire; que la portée des dispositions contestées de la MPA n’est pas excessive; et que l’incidence de la MPA sur les droits garantis à l’article 7 n’est pas en décalage avec l’objectif de la loi. Par conséquent, ils ont estimé que le critère permettant de démontrer une violation de l’article 7 de la Charte n’était pas rempli.
À la lumière de leur conclusion, ils n’ont pas cru nécessaire de procéder à une analyse de l’article 1 pour trancher l’affaire.
Dans ses motifs concordants, la juge Fenlon a précisé ne pas être en accord avec l’analyse des juges majoritaires et a estimé que les dispositions contestées de la MPA étaient manifestement disproportionnées par rapport à leur objectif, de sorte qu’elles portaient atteinte à l’article 7 de la Charte. Elle a néanmoins conclu que la violation était justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte.
Prochaines étapes
La bataille judiciaire concernant l’avenir des services de soins de santé privés se poursuivra vraisemblablement. Les services de soins de santé financés par le secteur privé demeurent à l’avant-plan des préoccupations du public en Colombie-Britannique, particulièrement à la suite de l’annonce récente du gouvernement provincial portant sur l’examen des programmes de soins de santé financés par le secteur privé offerts dans cette province. Les appelants demanderont sans doute l’autorisation d’interjeter appel de la décision devant la Cour suprême du Canada. Il sera important de suivre l’évolution de cette affaire déterminante, car elle pourrait avoir de vastes répercussions sur l’avenir du système public de santé au Canada.
[1] Voir : Cambie Surgeries Corporation v. British Columbia (Attorney General), 2022 BCCA 245.
[2] L’article 14 de la MPA prévoit le mécanisme de paiement des médecins pour les services offerts aux résidents de la Colombie-Britannique qui sont assurés en vertu du régime provincial de soins de santé. Les articles 17 et 18 fixent des limites aux honoraires que les médecins peuvent facturer au régime provincial pour la prestation de ces services. L’article 45 interdit la vente d’une assurance-maladie privée pour les services médicalement nécessaires couverts par le régime provincial.
[3] Lors du procès, les appelants ont également affirmé que les dispositions contestées violaient l’article 15 de la Charte. Cette prétention a été rejetée en première instance et n’a pas été présentée en appel.