Aperçu
Le 28 avril 2022, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont publié pour consultation un projet de modifications du Règlement 31-103 qui imposera aux courtiers et conseillers de nouvelles obligations d’information sur le coût envers les clients qui détiennent des fonds d’investissement. Ces modifications, appelées « obligations d’information sur le coût total » par les ACVM, ajouteront certains éléments à l’information devant figurer dans les relevés de compte périodiques et les rapports annuels sur les frais, comme nous le décrivons plus en détail ci-dessous. Ces obligations d’information concerneront tous les fonds d’investissement dont un client détient des titres, que ces fonds soient offerts par prospectus ou par dispense de prospectus et qu’ils soient gérés depuis le Canada ou l’étranger. Lisez les commentaires que Fasken a faits aux ACVM à l’égard des obligations d’information sur le coût total [PDF] (disponible en anglais seulement).
Les obligations d’information sur le coût total comprennent également une initiative des responsables de la réglementation d’assurance visant à rehausser les obligations d’information relatives aux contrats individuels à capital variable (les « fonds distincts »). Le volet des obligations relatives au secteur de l’assurance n’est pas traité dans le présent bulletin.
En quoi consistent les obligations d’information sur le coût total?
Avec les obligations d’information sur le coût total, chaque relevé de compte devra indiquer le ratio des frais du fonds pour chaque fonds détenu dans le compte. Le « ratio des frais du fonds » correspond simplement à la somme du ratio des frais de gestion (le « RFG ») et du ratio des frais d’opérations (le « RFO ») de la série applicable du fonds distinct. Les relevés de compte comprendront également une mention prescrite décrivant l’incidence des frais du fonds, ainsi que des notes explicatives concernant toute approximation ou hypothèse ayant servi dans l’établissement du relevé.
Les obligations d’information sur le coût total apportent plusieurs changements aux rapports annuels sur les frais. Ceux-ci devront inclure les éléments suivants pour l’année visée par le rapport :
- le montant total des frais facturés directement à l’investisseur au titre de ses placements dans le fonds (« les frais directs du fonds d’investissement » dans les obligations d’information sur le coût total) [14.17(1)i)a)];
- les frais directs du fonds d’investissement, sauf les frais liés aux opérations présentés ailleurs dans le rapport (« les frais directs du fonds d’investissement, sauf les commissions ») [14.17(1)j)];
- le montant total des frais du fonds assumés indirectement par l’investisseur, calculés selon un facteur de frais du fonds quotidien pour chaque fonds détenu (« les frais indirects du fonds ») [14.17(1)i) b)];
- le montant total des frais directs du fonds d’investissement et des frais indirects du fonds (« les frais directs et indirects du fonds ») [14.17(1)k)];
- le montant total des frais facturés par le courtier ou conseiller directement au client et des frais directs et indirects du fonds (« le total des frais du fonds ») [14.17(1)l)];
- une mention prescrite décrivant l’incidence des frais du fonds et de tous frais de rachat payés au cours de l’année, ainsi qu’une brève explication des autres frais payés par le client et des approximations ou hypothèses ayant servi dans l’établissement du rapport.
Les obligations d’information sur le coût total comprennent également des règles prévoyant la fourniture d’informations par les gestionnaires de fonds d’investissement aux courtiers et conseillers, ainsi que des protocoles applicables lorsque l’information fournie n’est plus à jour, qu’elle est trompeuse ou que l’information voulue n’est pas disponible.
Des questions soulevées par la manière dont sont rédigées ces modifications sont présentées plus loin dans le présent bulletin.
Difficultés d’application potentielles
Coûts et dates d’entrée en vigueur
Les ACVM proposent que les obligations d’information sur le coût total entrent en vigueur en septembre 2024. Les relevés de compte pour les périodes postérieures à cette date comprendraient des renseignements sur le ratio des frais du fonds, et les premiers rapports annuels sur les frais remaniés seraient pour l’année civile 2025.
Selon nos prévisions, l’application des obligations d’information sur le coût total forcera les gestionnaires, les courtiers et leurs fournisseurs de services à mettre en place de nouvelles procédures et interfaces électroniques d’échange d’informations afin de pouvoir automatiser la génération des nouvelles informations à présenter en fonction des obligations d’information sur le coût total. Les projets de modifications n’incluent aucune estimation des coûts à prévoir, mais nous nous attendons à ce que ces coûts soient importants. Bien qu’elles aient fixé des dates d’entrée en vigueur très rapprochées, les ACVM n’ont pas mentionné de préjudice imminent que l’absence actuelle d’obligations d’information sur le coût total causerait aux investisseurs.
Fonds non publics et fonds non canadiens
Les grands fonds d’investissement offrant leurs titres de prospectus par dispense (les « fonds en gestion commune ») au Canada rencontreront probablement les mêmes difficultés de mise en œuvre que les fonds d’investissement dont les titres sont offerts par prospectus, mais ils pourront s’appuyer sur l’infrastructure existante pour produire et communiquer les données requises afin de satisfaire les obligations d’information sur le coût total. Les fonds en gestion commune plus modestes, qui ne disposent peut-être pas d’une telle infrastructure, pourraient devoir recourir dans une plus grande mesure à des procédures manuelles. La conformité aux obligations d’information sur le coût total pourrait présenter d’importantes difficultés pour ces petits fonds en gestion commune.
On ignore encore comment les obligations d’information sur le coût total seront appliquées aux fonds non canadiens, qu’ils soient publics ou privés. Ces fonds et leurs gestionnaires ne sont pas tenus de se conformer aux obligations d’information imposées par la réglementation canadienne et ne calculent et ne publient pas forcément les RFG et RFO de la même manière que les fonds d’investissement canadiens. À terme, les courtiers et les conseillers canadiens qui recommandent ces fonds non canadiens à leurs clients pourraient avoir à évaluer si les risques liés à la conformité aux protocoles en matière de RFO l’emportent sur les avantages qu’ils ont à mettre ces fonds non canadiens à la disposition de leurs clients.
Les obligations d’information sur le coût total feront-elles une différence?
La question déterminante est de savoir si les investisseurs ont besoin ou veulent de l’information sur le coût total. Certes, les recherches menées via des groupes de discussion donnent à penser que les investisseurs prennent toujours l’information additionnelle qui leur est offerte; toutefois, nous n’avons pas identifié d’étude portant sur la façon dont ils utilisent cette information. Les investisseurs veulent-ils analyser cette information ou préfèrent-ils se fier aux conseils de leur conseiller? Le faible taux de demande par les investisseurs de documents facultatifs, comme les rapports de la direction sur le rendement des fonds, nous permet de croire que les investisseurs préfèrent se fier à la formation professionnelle de leurs conseillers plutôt que de remettre en question les conseils donnés par ces derniers.
Selon les ACVM, la raison d’être des obligations d’information sur le coût total est de remédier au fait que les investisseurs n’ont généralement pas connaissance des coûts récurrents découlant de leur détention de parts des fonds d’investissement. Toutefois, les consommateurs comprennent que tout produit ou service qu’ils achètent comprend les coûts intégrés de fabrication de ce produit ou de prestation de ce service. Les consommateurs ne font tout simplement pas de recherches sur ces coûts et se concentrent plutôt sur le résultat – dans le cas des fonds d’investissement et autres titres, leur taux de rendement. Nous ne croyons pas qu’il s’agisse intrinsèquement d’un problème. Cela reflète simplement la priorité donnée au rendement par rapport aux coûts parmi les considérations entrant en ligne de compte dans une décision d’investissement.
Conséquences imprévues potentielles
La communication de renseignements inutiles risque également de diluer l’intérêt d’un investisseur en le surchargeant d’informations, ce qui pourrait réduire l’efficacité globale du rapport annuel sur les frais. Bien que l’objectif des obligations d’information sur le coût total soit de permettre aux investisseurs de rechercher des fonds d’investissement offrant des frais moindres, son effet pourrait être d’amener les investisseurs à opter pour des courtiers offrant l’exécution d’ordres sans conseils ou à passer d’un produit d’investissement à un produit d’épargne. L’un comme l’autre pourrait nuire aux investisseurs en les conduisant à choisir des investissements non convenables dans le cas de l’exécution d’ordres sans conseils ou à passer entièrement à côté des bénéfices offerts par les produits d’investissement.
Nécessité de revoir les exigences actuelles en matière d’information
Les obligations d’information sur le coût total constituent la plus récente mouture de multiples initiatives réglementaires lancées au fil des ans en vue de fournir aux investisseurs plus d’information sur leurs fonds d’investissement. Citons notamment :
- l’introduction du « prospectus simplifié » en 1987;
- la création du prospectus simplifié amélioré en 2000;
- l’introduction des rapports de la direction sur le rendement du fonds en 2005;
- l’inclusion du Modèle de relation client-conseiller dans Règlement 31-103 en 2009;
- l’introduction de l’aperçu du fonds en 2011;
- le renforcement de l’obligation d’information dans le cadre de la phase 2 du projet de Modèle de relation client-conseiller entre 2013 et 2016.
Les participants au marché pourraient douter que les obligations d’information sur le coût total réussissent mieux à inciter les investisseurs à lire l’information réglementaire que les initiatives qui les ont précédées. Les propositions d’obligations d’information sur le coût total n’incluaient aucune analyse quantitative des avantages et des coûts prévus découlant desdites obligations d’information sur le coût total (une condition préalable à l’élaboration des règles en Ontario).
Ces initiatives de rehaussement des obligations d’information s’ajoutent à d’autres modifications apportées aux règlements afin d’offrir aux investisseurs une plus grande protection, notamment :
- le régime général des conflits d’intérêts du Règlement 81-107 et les comités d’examen indépendants imposés en 2007;
- l’inscription des gestionnaires de fonds d’investissement depuis 2009;
- les réformes axées sur le client mises en œuvre en 2021;
- l’interdiction des options d’achat avec frais d’acquisition reportés, et celle des commissions de suivi payées aux courtiers pour des services d’exécution d’ordres sans conseils.
Chaque fois, les ACVM ont justifié ces modifications en invoquant, notamment, que la présentation d’information aux investisseurs ne suffisait pas à corriger les problèmes détectés. Vu le manque de compréhension par le grand public des notions de base en investissement et la réticence des ACVM à se fier à l’obligation d’information, il semble contradictoire de vanter les avantages d’une plus grande obligation d’information en proposant des obligations d’information sur le coût total.
Selon nous, plutôt que d’introduire de nouvelles obligations d’information, les ACVM gagneraient à se donner comme priorité de faire un examen de l’efficacité de leurs précédentes initiatives afin de différencier celles qui ont apporté les bénéfices escomptés (et qui devraient donc être maintenues) de celles qui y ont échoué (et qui devraient donc être annulées). Cet examen devrait notamment mesurer et prendre en compte :
- la réduction de l’écart entre le rendement moyen des comptes par rapport à la performance générale du marché;
- l’augmentation de la satisfaction des investisseurs, qui se manifeste par une réduction du nombre des plaintes.
À notre avis, il faut accorder une priorité au moins aussi élevée à la réévaluation de la pertinence des obligations actuelles d’information qu’à l’introduction de nouvelles obligations d’information.
Problèmes de rédaction
La version actuelle des modifications laisse place à certaines ambiguïtés qui seront, nous l’espérons, levées dans la version définitive. Parmi celles-ci, mentionnons :
- les « frais directs du fonds d’investissement » sont définis dans les modifications comme des montants facturés à l’investisseur par le fonds d’investissement ou son gestionnaire. Toutefois, d’autres dispositions (comme les alinéas 14.17(1)i)a) et 14.17(1)j)) font référence aux montants facturés par le fonds d’investissement, son gestionnaire « ou toute autre partie ». Il existe donc un doute sur le fait de savoir si les ACVM entendent inclure les frais facturés par des tiers (comme ceux des administrateurs et dépositaires de régimes enregistrés). Même les frais facturés par les courtiers ou les conseillers pourraient être inclus dans ces quelques mots de plus. Si l’interprétation large est celle qui était voulue, se pose alors la question de savoir si les frais facturés par un tiers peuvent être répartis de manière proportionnelle entre les placements dans un fonds d’investissement et les autres placements. De plus, la définition exclut les montants inclus dans les « frais du fonds d’investissement », mais n’indique pas si cela correspond à son « ratio des frais du fonds ».
- La méthode de calcul des frais indirects du fonds relativement à chaque fonds est énoncée au paragraphe 14.17(6). Ce calcul implique de multiplier un facteur de frais quotidien [ratio des frais du fonds X valeur liquidative d’une part] par le nombre de parts que l’investisseur détient. Il est indiqué que cette méthode doit être employée pour calculer les frais directs du fonds d’investissement et les frais indirects du fonds. Toutefois, cette méthode ne fonctionne que pour calculer les frais indirects de fonds. Une formule distincte devrait être élaborée pour le calcul des frais directs du fonds d’investissement et incluse dans les obligations d’information sur le coût total.
- La mention à inclure concernant les frais de rachat payés pendant l’année renvoie le client au prospectus ou à l’aperçu du fonds pour plus d’informations sur le calendrier de rachat. Pourtant, à la suite de l’entrée en vigueur de l’interdiction des achats selon l’option avec frais d’acquisition reportés, le prospectus et l’aperçu ne comporteront plus de calendrier de rachat. De plus, le calendrier de rachat applicable à l’investisseur figurerait dans le prospectus ou l’aperçu du fonds en vigueur au moment de l’achat des unités plutôt que dans le prospectus ou l’aperçu du fonds actuel.