Plus tôt cette année, le gouvernement fédéral a publié son budget pour 2022 (le « budget de 2022 »)[1]. Parmi les nombreuses dépenses importantes prévues dans le budget de 2022, mentionnons la mise en place d’un programme national de soins dentaires pour les familles à faible revenu (le « programme de soins dentaires »).
Ce bulletin commence par offrir un bref historique du financement gouvernemental des soins dentaires au Canada pour ensuite donner un aperçu de ce que nous savons actuellement sur le programme de soins dentaires et des incertitudes qui persistent.
Le contexte
Le programme de soins dentaires fait suite à l’« entente de soutien et de confiance » conclue entre le Parti libéral du Canada (le gouvernement fédéral minoritaire actuel) et le Nouveau Parti démocratique (« NPD ») en mars 2022. Aux termes de cette entente, en échange de l’appui du NPD à l’égard des questions de confiance et de budget du gouvernement libéral, les libéraux se sont engagés à mettre en priorité un certain nombre de mesures, notamment la mise en place d’un programme national de soins dentaires (un programme pour lequel le NPD militait)[2].
Contrairement à de nombreux services médicaux et hospitaliers, les services de soins dentaires, autres que certaines interventions dentaires chirurgicales effectuées dans les hôpitaux (les « services de chirurgie dentaire »), ne sont pas couverts par la Loi canadienne sur la santé[3]. Dans l’ensemble, cela signifie que, contrairement à la plupart des services médicaux et hospitaliers, les provinces et les territoires ne sont pas tenus par la Loi canadienne sur la santé d’assurer (c’est-à-dire de payer) les services de soins dentaires autres que les services de chirurgie dentaire afin de recevoir leur part entière du Transfert canadien en matière de santé (qui se veut le principal mécanisme par lequel le gouvernement fédéral fournit un financement pour les soins de santé aux provinces et aux territoires). Même s’il existe bien des programmes de soins dentaires gouvernementaux, ils ne sont accessibles qu’à un nombre restreint de Canadiens. À titre d’exemple seulement, le gouvernement fédéral fournit du financement à l’égard d’une gamme de services de soins dentaires aux membres des Premières Nations et aux Inuits admissibles par l’entremise de son « programme des services de santé non assurés » ou « programme des SSNA »[4]. À l’échelle provinciale, le ministère de la Santé de l’Ontario, par exemple, finance certains services de soins dentaires fournis aux enfants et aux jeunes (âgés de moins de 17 ans) de familles à faible revenu[5].
Par conséquent, étant donné que le tiers des Canadiens n’ont pas d’assurance dentaire privée, on estime qu’entre sept et neuf millions de Canadiens n’ont pas accès à des soins dentaires adéquats en raison de leur coût[6].
Budget de 2022
Dans le budget de 2022, le gouvernement fédéral s’est engagé à fournir un financement de 5,3 milliards de dollars sur cinq ans au programme de soins dentaires, en octroyant tout d’abord 300 millions de dollars au cours de l’exercice 2022-2023, pour ensuite se rendre à 1,7 milliard de dollars au cours de la cinquième année, soit l’exercice 2026-2027[7].
Bien que le budget de 2022 ait fourni peu de détails sur la mise en œuvre du programme de soins dentaires, il a confirmé que le programme serait limité aux familles non assurées dont le revenu annuel est inférieur à 90 000 $. En outre, les familles dont le revenu annuel est inférieur à 70 000 $ n’auront pas à verser de quote-part[8]. De plus, le budget de 2022 indiquait que le financement offert par l’entremise du programme de soins dentaires serait d’abord offert aux personnes admissibles de moins de 12 ans en 2022, puis serait élargi en 2023 pour inclure les personnes admissibles de moins de 18 ans, les aînés et les personnes en situation de handicap. La mise en œuvre complète est prévue pour 2025[9].
Faits récents depuis le budget 2022
En juillet, le ministre fédéral de la Santé (le « ministre ») a publié une « demande de renseignements » (la « DR du programme de soins dentaires ») auprès de l’industrie dentaire pour appuyer le développement du programme de soins dentaires par Santé Canada. À la suite de la DR du programme de soins dentaires et de l’engagement de Santé Canada auprès des « partenaires »[10] provinciaux et territoriaux, le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi le 20 septembre 2022 qui traite de la première étape du programme de soins dentaires. S’il est adopté, le projet de loi C-31, la Loi n° 2 sur l’allègement du coût de la vie (soutien ciblé aux ménages) (le « projet de loi C-31 »)[11], édictera la Loi sur la prestation dentaire (la « Loi »). En vertu de la Loi, un nouveau régime de prestation dentaire « provisoire » (la « prestation dentaire ») sera établi[12] et demeurera en vigueur jusqu’à ce qu’un programme permanent soit mis en œuvre (ce que le gouvernement s’est engagé à faire d’ici 2025[13]). En date de la rédaction du présent bulletin, le projet de loi C-31 est en deuxième lecture au Sénat, ayant été adopté en troisième et dernière lecture à la Chambre des communes le 27 octobre 2022.
Le projet de loi C-31 prévoit que la prestation dentaire sera offerte en 2022-2023 aux familles dont le « revenu modifié » est inférieur à 90 000 $ par année et qui n’ont pas accès à une assurance dentaire (les « familles admissibles ») à l’égard des enfants de moins de 12 ans[14]. Plus précisément :
- aux fins du calcul du revenu des familles admissibles, le terme « revenu modifié » est utilisé dans le projet de loi C-31. Le projet de loi C-31 prévoit que cette expression a généralement le même sens qu’à l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada[15];
- la prestation dentaire ne sera offerte qu’aux personnes admissibles (pendant la première période allant du 1ᵉʳ décembre 2022 au 30 juin 2023 et la deuxième période allant du 1ᵉʳ juillet 2023 au 30 juin 2024 : les enfants de moins de 12 ans) qui ont reçu ou qui recevront des services de soins dentaires (au sens donné ci-après) pendant la période applicable et à l’égard desquels le parent admissible[16] reçoit une allocation canadienne pour enfants à cette date[17];
- la prestation dentaire peut être offerte aux personnes couvertes par un autre programme ou régime gouvernemental, mais uniquement dans la mesure où les services de soins dentaires de la personne ne sont pas (ou ne seront pas) payés ou remboursés en totalité par un tel programme ou régime[18]; et
- la prestation dentaire sera versée sous la forme d’un paiement initial direct et libre d’impôt aux familles admissibles qui présentent une demande de prestation, le montant du paiement versé au cours des deux années dépendra du revenu familial comme suit :
REVENU MODIFIÉ DE LA FAMILLE ADMISSIBLE | PRESTATION DENTAIRE PAYABLE PAR ANNÉE |
Inférieur à 70 000 $ | 650 $ pour chaque enfant admissible |
Entre 70 000 $ et 79 999 $ | 390 $ pour chaque enfant admissible |
Entre 80 000 $ et 89 999 $ | 260 $ pour chaque enfant admissible |
La demande de prestation dentaire pourra être effectuée par l’intermédiaire de l’Agence du revenu du Canada. Dans le cadre de la demande, les demandeurs devront attester que la personne à l’égard de laquelle la demande est effectuée :
- n’a pas accès à un régime de soins dentaires privé (c’est-à-dire une couverture pour des services de soins dentaires aux termes d’un contrat d’assurance, qu’il soit fourni dans le cadre d’un emploi, souscrit de manière indépendante ou autrement); et
- a reçu des services de soins dentaires au cours de la période donnée à laquelle s’applique la prestation dentaire ou, selon l’intention du demandeur, recevra de tels services au cours de cette période[19].
Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, la prestation dentaire sera versée directement aux familles admissibles qui en font la demande et ne sera pas nécessairement versée à titre de remboursement. Bien qu’un demandeur puisse demander la prestation dentaire pour des services de soins dentaires passés (de sorte que la prestation dentaire pourrait être utilisée comme remboursement de frais déjà encourus), une demande peut également être effectuée pour des services de soins dentaires futurs. Toutefois, dans l’un ou l’autre cas, les familles admissibles qui ont reçu la prestation dentaire seront tenues de fournir des documents (p. ex., des reçus) attestant qu’elles utilisent la prestation dentaire de façon appropriée pour les services de soins dentaires, sur demande du ministre. Le projet de loi C-31 confère au ministre le pouvoir général d’exiger que des personnes fournissent des renseignements ou produisent des documents afin que le ministre : (i) vérifie le respect des dispositions de la Loi; ou (ii) prévienne le non-respect de ces dispositions[20].
Le projet de loi C-31 définit les « services de soins dentaires » à l’égard desquels la prestation peut être appliquée comme étant des « [s]ervices qu’un dentiste, un denturologiste ou un hygiéniste dentaire est légalement autorisé à fournir, notamment, les services de chirurgie buccale, de diagnostic, de prévention, de restauration, d’endodontie, de parodontologie, de prosthodontie et d’orthodontie »[21]. Notamment, si une famille admissible engage des dépenses pour des services de soins dentaires qui sont inférieures au montant de la prestation dentaire qu’elle a reçue, il ne semble pas y avoir de mécanisme lui permettant de remettre la partie inutilisée de la prestation. Cependant, les personnes qui fournissent sciemment des informations fausses ou trompeuses lors de la demande de prestation dentaire (qui, comme indiqué ci-dessus, nécessite une attestation indiquant que la personne à l’égard de laquelle la demande de prestations est effectuée a reçu ou recevra des services de soins dentaires pendant la période à laquelle la prestation s’applique), ou qui demandent et reçoivent la prestation dentaire en sachant qu’elles ne sont pas admissibles à la recevoir, pourraient écoper d’une pénalité pouvant aller jusqu’à 5 000 $[22].
En 2023, jusqu’à ce que la prestation dentaire soit entièrement mise en œuvre en 2025, la prestation dentaire sera offerte à l’égard des enfants de moins de 18 ans, des aînés et des personnes en situation de handicap.
Le portail de demande de l’ARC pour la prestation dentaire sera disponible après la sanction royale du projet de loi C-31, avec une date cible de mise en œuvre le 1ᵉʳ décembre 2022. La prestation couvrirait rétroactivement les dépenses engagées pour les soins dentaires à compter du 1ᵉʳ octobre 2022[23][24].
Prochaines étapes
Bien que les détails de la première étape du programme de soins dentaires aient été rendus publics, il reste à voir comment le gouvernement fédéral élaborera un programme national complet de soins dentaires à long terme, ce qu’il s’est engagé à faire d’ici 2025, et à quoi ressemblera ce programme. Rappelons que le gouvernement a sollicité les commentaires de l’industrie et d’autres parties prenantes au moyen d’une DR à l’appui de la création du programme de soins dentaires à long terme par le gouvernement. L’objectif était de déterminer le rôle que l’industrie pourrait jouer dans le programme. Or, en date de la publication de ce bulletin, le gouvernement n’a pas encore publié les résultats de la DR. Par ailleurs, le gouvernement a déclaré que les provinces et les territoires ont participé à la conception et à l’établissement des échéanciers de l’ensemble du programme[25], mais tout porte à croire qu’il s’agira d’une initiative autonome administrée par le gouvernement fédéral, comme le souhaitait au départ le NPD en élaborant le programme de soins dentaires.
Nous continuerons à suivre l’évolution du dossier.
[1] Le budget de 2022 peut être consulté ici : https://budget.gc.ca/2022/report-rapport/toc-tdm-fr.html.
[2] Voir la page Web du NPD intitulée « Personne ne doit avoir à supporter des douleurs dentaires atroces », en ligne : https://www.npd.ca/dentacare.
[4] Voir la page Web du gouvernement du Canada intitulée « Prestations dentaires pour les Premières Nations et les Inuit », en ligne : https://www.sac-isc.gc.ca/fra/1574192221735/1574192306943.
[5] Voir « Beaux sourires Ontario » du ministère de la Santé de l’Ontario, en ligne : ontario.ca/fr/page/obtenir-des-soins-dentaires. Le programme Beaux sourires Ontario n’est pas obligatoire pour les professionnels dentaires et il appert qu’un écart important existe dans certains cas entre le montant payable par le programme aux professionnels dentaires pour les services couverts, d’une part, et les honoraires habituels pour ces services, d’autre part.
[6] Message du ministre de la Santé à propos de la demande de renseignements adressée à l’industrie sur le régime national de soins dentaires proposé, en ligne : https://www.canada.ca/fr/sante-canada/nouvelles/2022/07/message-du-ministre-de-la-sante-a-propos-de-la-demande-de-renseignements-adressee-a-lindustrie-sur-le-regime-national-de-soins-dentaires-propose.html.
[7] Voir le budget de 2022, chapitre 6, rubrique 6.1.
[8] L’Association dentaire canadienne définit la « quote-part » comme la partie de la facture pour des services que l’assuré doit acquitter lui-même ou la prestation payable. Voir : https://www.cda-adc.ca/fr/oral_health/talk/copayment.asp. Toutefois, même si les familles dont le revenu annuel se situe entre 70 000 $ et 89 999 999 $ devraient verser des quotes-parts selon le budget de 2022, la notion de quote-part n’apparaît pas dans le projet de loi C-31.
[9] Ibid, note 7.
[10] Ibid, note 6.
[11] https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/44-1/projet-loi/C-31/troisieme-lecture (« projet de loi C-31 »).
[12] Projet de loi C-31, partie 1, préambule.
[13] Voir la page Web du gouvernement du Canada intitulée « Rendre les soins dentaires plus abordables : Prestation dentaire canadienne », en ligne : https://www.canada.ca/fr/ministere-finances/nouvelles/2022/09/rendre-les-soins-dentaires-plus-abordables-prestation-dentaire-canadienne.html.
[14] Ibid, note 13.
[15] Projet de loi C-31, partie 1, par. 2(2). Plus précisément, le projet de loi C-31 prévoit que l’expression « revenu modifié » s’entend au sens de l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, à l’exception de la mention « à la fin de l’année » à l’article 122.6 qui vaut mention de « le 1er décembre 2022, dans le cas d’une demande présentée au titre de l’article 5 ou de l’alinéa 7a), et le 1er juillet 2023, dans le cas d’une demande présentée au titre de l’article 6 ou de l’alinéa 7b) ». Voir l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu : https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/i-3.3/page-95.html#h-292047.
[16] Le paragraphe 2(1) du projet de loi C-31 prévoit que l’expression « parent admissible » a le sens donné à l’expression « particulier admissible » à l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu.
[17] Projet de loi C-31, partie 1, par. 5 et 6.
[18] Projet de loi C-31, partie 1, par. 4(1)d).
[19] Projet de loi C-31, partie 1, par. 10(1).
[20] Projet de loi C-31, partie 1, par. 16. Le terme « ministre » est défini dans la Loi comme signifiant « ministre de la Santé ». Toutefois, il n’est pas clair si le pouvoir conféré par l’article 16 au « ministre » vise le ministre de la Santé (comme l’utilisation du terme « ministre » dans ce cas-ci le laisse entendre) ou le ministre du Revenu national (qui est mentionné dans plusieurs dispositions du projet de loi C-31 qui précèdent cet article 16).
[21] Projet de loi C-31, partie 1, par. 2(1).
[22] Projet de loi C-31, partie 1, par. 23.
[23] Voir la page Web du gouvernement du Canada intitulée « Le gouvernement du Canada dépose des projets de loi visant à rendre la vie plus abordable pour les Canadiens », en ligne : https://www.canada.ca/fr/ministere-finances/nouvelles/2022/09/le-gouvernement-du-canada-depose-des-projets-de-loi-visant-a-rendre-la-vie-plus-abordable-pour-les-canadiens.html.
[24] Ibid, note 13.
[25] Ibid, note 13.