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Le « critère fondé sur le contrôle » énoncé dans les sanctions visant la Russie examiné par la justice, mais des questions subsistent

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Bulletin commerce international et droit douanier

Bien que les lois en matière de sanctions touchent tous les aspects des activités commerciales, les organismes de réglementation canadiens fournissent peu d’indications sur l’interprétation des lois dont la formulation est vaste et vague. Par conséquent, il convient de souligner une décision récente, Angophora Holdings Limited c. Ovsyankin, 2022 ABKB 711 (en anglais seulement). Dans cette affaire, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta (la « Cour ») a fourni des précisions sur le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie (les « Sanctions visant la Russie ») et sur l’interdiction prévue à l’article 3 selon laquelle les personnes au Canada et les Canadiens à l’étranger ne peuvent pas effectuer une opération portant sur un bien « appartenant à » une personne visée par les sanctions ou sur un bien « détenu ou contrôlé par elle ou pour son compte » (« interdiction d’opérations »).

La question en litige était de savoir si l’exécution d’une ordonnance de reconnaissance et d’exécution (« ORE ») violerait cette interdiction d’opérations en liquidant des actifs et en versant le produit à Angophora Holdings Limited (« Angophora »), une société dont la société mère en coentreprise est détenue à 50 % par Gazprombank, une banque russe visée par les sanctions du Canada.

Nous résumons les principaux faits de l’affaire et analysons les conséquences qui en découlent ci-dessous.

Le contexte

En 2012, Retemmy Finance Ltd. (« Retemmy ») a conclu une convention d’achat d’actions et une convention entre actionnaires avec Angophora concernant leur copropriété de Grooks Global Limited et de ses filiales en Russie (collectivement « Grooks »). Le propriétaire de Retemmy, Andrei Ovsyankin (« Ovsyankin »), a personnellement cautionné les obligations de Retemmy aux termes de la convention entre actionnaires.

En 2018, Angophora a entrepris des procédures d’arbitrage à Londres, alléguant qu’Ovsyankin avait commis des actes répréhensibles qui avaient réduit la valeur de Grooks. En décembre 2020, Angophora a obtenu une décision arbitrale et, en septembre 2021, Angophora a obtenu l’ORE en Alberta, où Ovsyankin possédait des biens. La demande de révision de la décision arbitrale présentée par Ovsyankin au Royaume-Uni a été rejetée, tout comme la demande d’autorisation d’appel. Une demande de suspension de l’ORE a été refusée.

Ovsyankin a ensuite tenté de suspendre l’exécution de l’ORE en faisant valoir que la liquidation de ses actifs et le versement du produit à Angophora violeraient les Sanctions visant la Russie. Pour que sa demande soit accueillie, Ovsyankin devait satisfaire au critère en trois étapes relatif à l’injonction établie dans RJR-Macdonald c. Canada (Procureur général), 1994 1 RCS 311, et démontrer que l’application de l’ORE contreviendrait vraisemblablement aux Sanctions visant la Russie.

La décision

Angophora a soutenu qu’elle n’était pas propriétaire ou détentrice des biens saisis et que, par conséquent, les Sanctions visant la Russie ne s’appliquaient pas. Cependant, la Cour a noté que le contrôle des biens saisis appartenait à Angophora aux termes de son ORE, sous réserve des règles de la Civil Enforcement Act de l’Alberta. De plus, en sollicitant l’exécution en Alberta, la Cour a statué qu’Angophora est « une personne au Canada » et qu’elle était donc assujettie aux interdictions.

Les Sanctions visant la Russie ne prévoient pas de définition de l’expression « contrôle ». La Cour a souligné que le contrôle est une question de fait et a conclu qu’il y avait une forte preuve prima facie qu’Angophora était contrôlée par Gazprombank ou agissait en son nom :

Gazprombank a conseillé Angophora relativement à la convention d’achat d’actions visant l’acquisition de Grooks, à la convention entre actionnaires et au cautionnement connexe;

les quatre filiales de Grooks en Russie sont principalement supervisées par les conseillers de Gazprombank;

un ancien contrôleur des finances principal de l’une des filiales de Grooks était auparavant un employé de Gazprombank, mais il a continué à recevoir des directives de Gazprombank et à relever de celle-ci : à la demande de Gazprombank, il a démissionné et est retourné y travailler;

Gazprombank a appuyé la demande d’Angophora visant à obtenir l’ORE en Alberta et à s’opposer à la suspension demandée par Ovsyankin;

  • les seuls témoins d’Angophora à l’audience d’arbitrage étaient des employés de Gazprombank.
  •  Comme Angophora était détenue à 50 % par Gazprombank, la Cour a également fait remarquer que la structure organisationnelle d’Angophora répondrait à la définition de contrôle qui s’applique aux États-Unis : si une entité sanctionnée détient 50 % ou plus d’une autre entité, l’autre entité sanctionnée est « bloquée » (c.-à-d. sanctionnée).
  • Pourtant, la Cour a conclu qu’Ovsyankin ne satisfaisait pas à toutes les conditions pour obtenir une injonction, a rejeté la demande et a conclu qu’il ne serait pas contraire à l’interdiction d’opérations de liquider les actifs aux termes de l’ORE. L’ORE a été accordée avant que Gazprombank ne soit sanctionnée et les procédures aux termes de l’ORE ont été poursuivies de bonne foi.
  • Toutefois, la Cour a fait une mise en garde : avant de distribuer le produit, les personnes se trouvant au Canada pourraient vouloir être convaincues que cela ne contreviendrait pas à l’article 5 des Sanctions visant la Russie, qui interdit aux personnes se trouvant au Canada de faciliter la réalisation d’activités visées par l’interdiction d’opérations.

Les implications

Cette décision met en lumière les facteurs que les tribunaux peuvent prendre en considération dans l’évaluation du contrôle. Elle réaffirme également que l’interdiction d’opérations et l’interdiction de facilitation sont larges. La Cour a également confirmé que les lois en matière de sanctions s’appliquent aux structures de sociétés impliquant une personne sanctionnée, y compris celles dont un associé de coentreprise n’est pas sanctionné, afin d’empêcher les personnes sanctionnées de se soustraire indirectement aux sanctions.

Toutefois, la décision soulève également des questions. La Cour a également conclu qu’Angophora agissait au nom de Gazprombank sans expliquer pourquoi c’était le cas. Ce libellé distinct dans la loi en matière de sanctions indique que ce n’est pas la même chose que le contrôle. Cette question est cruciale lorsqu’une société peut avoir sanctionné des actionnaires minoritaires.

Enfin, comme Gazprombank contrôle Angophora, qui contrôle les biens dans le cadre de l’ORE, des questions subsistent quant à la manière dont la Cour a déterminé que ces biens peuvent être liquidés pour Angophora sans enfreindre les Sanctions visant la Russie, mais la distribution du produit peut susciter des préoccupations

Conclusion

À la lumière de la décision, les entreprises doivent soigneusement prendre en compte l’aspect du « contrôle » par rapport au large champ d’application des lois en matière de sanctions. Pour déterminer s’il convient de conclure une opération avec une entité, il est essentiel de regarder l’ensemble de la chaîne d’entreprise pour déterminer si une personne sanctionnée exerce un contrôle, directement ou indirectement. Cela nécessite une interprétation nuancée à la lumière des circonstances.

Pour obtenir des conseils concernant l’application de la législation canadienne en matière de sanctions ou l’élaboration de programmes de conformité en matière de sanctions, communiquez avec le groupe Commerce international et droit douanier de Fasken.

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Auteurs

  • Clifford Sosnow, Associé, Toronto, ON | Ottawa, ON, +1 613 696 6876, csosnow@fasken.com
  • Christopher Little, Avocat, Ottawa, ON, +1 613 696 6928, chlittle@fasken.com

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