Le 19 décembre 2022, la ministre des Affaires étrangères (la « ministre ») a annoncé que le Canada compte bloquer environ 26 millions de dollars américains détenus au Canada par Granite Capital Holdings Ltd (« Granite ») et envisage de demander la confiscation de ces fonds en vertu de la principale loi sur les sanctions du Canada, la Loi sur les mesures économiques spéciales (la « LMES »). Granite est une société qui serait détenue par Roman Abramovich, et ce dernier est visé par les sanctions imposées par le Canada à la Russie depuis le 10 mars 2022. La ministre a souligné que les biens sont des dividendes détenus dans un compte bancaire au Canada.
Cette annonce a été suivie le lendemain d’un décret limitant les fonds détenus par Citco Bank Canada (« Citco ») appartenant à Roman Abramovich, ou détenus ou contrôlés, même indirectement, par lui et portés au crédit de tout compte bancaire détenu par Manticore Fund (Cayman) LTD. Malgré une certaine ambiguïté, il semblerait que les deux mesures soient liées, car elles visent toutes les deux la même somme.
Ces mesures, conjuguées à l’annonce de la ministre en octobre 2022 selon laquelle le gouvernement allait réserver 76 millions de dollars canadiens au financement d’un nouveau bureau chargé de l’application des sanctions, suggèrent un nouveau degré de fermeté de la part du gouvernement canadien pour refuser aux personnes russes sanctionnées l’accès à leurs biens au Canada.
Le présent bulletin fournit des détails sur la loi dont ces mesures découlent et sur leurs conséquences pour les entreprises au Canada.
Régime canadien de blocage et de confiscation
Comme l’explique un précédent bulletin de Fasken, la LMES a fait l’objet de modifications importantes en juin 2022 qui ont donné au gouvernement d’importants nouveaux pouvoirs. Parmi les modifications, mentionnons la création d’un mécanisme qui autorise le gouverneur en conseil, par décret, à faire saisir ou bloquer tout bien situé au Canada et appartenant à un État étranger, à une personne qui s’y trouve ou à un de ses nationaux qui ne réside pas habituellement au Canada ou détenu ou contrôlé, même indirectement, par lui.
Le ou la ministre peut alors demander à une cour supérieure d’ordonner la confiscation des biens saisis ou bloqués. Tant qu’un juge siégeant en révision décide que le bien fait l’objet d’une ordonnance de saisie ou de blocage et qu’il est détenu ou contrôlé, même indirectement, par la personne visée dans cette ordonnance, le juge doit ordonner la confiscation. Toutefois, au cours de ce processus, le tribunal pourrait entendre toute personne qui, à son avis, semble détenir un intérêt ou un droit sur le bien.
Une fois le bien confisqué, la LMES prévoit que le ou la ministre peut liquider le bien et utiliser les fonds pour la reconstruction d’un État étranger lésé par une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales, le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales et l’indemnisation des victimes.
La ministre n’a pas indiqué s’il y aura bel et bien une demande de confiscation des fonds bloqués. Elle a toutefois annoncé que, si c’est le cas, les recettes générées pourront être utilisées pour la reconstruction de l’Ukraine et l’indemnisation des victimes de l’invasion par la Russie.
L’ordonnance de confiscation de biens situés au Canada sous le régime de la LMES ne prévoit pas d’indemnisation à la personne qui était propriétaire des biens ou qui exerçait un contrôle sur ceux-ci. La demande de confiscation des biens pourrait donc donner lieu à des contestations judiciaires concernant la capacité du ou de la ministre à demander de telles ordonnances et la capacité des tribunaux à les accorder en vertu de la LMES.
Répercussions
Indépendamment de la décision de la ministre de demander la confiscation, comme nous en avons discuté dans notre bulletin précédent, les modifications apportées à la LMES laissent entendre que le gouvernement a l’intention d’identifier et de cibler activement les biens détenus au Canada par des personnes sanctionnées. De telles mesures ne se limitent pas qu’aux personnes visées par les sanctions du Canada contre la Russie. En plus de la Russie, le Canada a imposé des sanctions à un total de 13 autres pays en vertu de la LMES, dont l’Iran, Haïti, la Biélorussie, le Venezuela et le Myanmar. D’autres demandes de blocage et de confiscation par le Canada à l’égard de ces pays, de leurs entreprises ou de leurs nationaux sont à prévoir.
Par conséquent, les acquéreurs et les entités qui veulent former des coentreprises doivent bien connaître les propriétaires véritables des sociétés cibles ou de leurs partenaires et savoir si des sanctions s’appliquent. Les efforts de vérification diligente et de gestion des risques à l’égard des sanctions ne doivent pas viser seulement les activités à l’étranger, mais aussi les opérations entièrement intérieures auxquelles participent des bénéficiaires étrangers qui ont des biens au Canada.
Fasken continuera de suivre l’évolution des processus de blocage et de confiscation de biens sous le régime de sanctions du Canada et de fournir des mises à jour à cet effet.
Pour obtenir des conseils concernant l’application des mesures de blocage et de confiscation de biens ou l’élaboration de protocoles de vérification diligente pour diminuer les risques associés aux sanctions, communiquez avec le groupe Commerce international et droit douanier de Fasken.