À quoi pouvons-nous nous attendre sur le marché des fusions et acquisitions au Canada au cours de 2023?
Le nombre de variables entrant en jeu est stupéfiant. Les forces ayant une incidence sur les marchés nationaux et mondiaux sont exceptionnelles tant dans leur nature que dans leur nombre. Il y avait longtemps que nous n’avions pas vu une telle combinaison. Les prévisions quant aux chances d’avoir un atterrissage en douceur sont d’ailleurs de moins en moins optimistes. L’inflation demeure à des niveaux records. Les pressions inflationnistes, qui étaient attribuables aux mesures de relance des gouvernements et aux problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement, découlent maintenant de la hausse des coûts de l’énergie et de la croissance des salaires, entre autres. Dans un contexte où l’augmentation des taux d’intérêt à court terme ne ralentit pas, les entreprises comme les consommateurs peinent à s’ajuster. Les tensions géopolitiques, les conflits armés, les sanctions ainsi que les enjeux liés au commerce international et aux investissements suscitent d’autres incertitudes. Les autorités de réglementation continuent également de faire sentir leurs pouvoirs d’examen et d’application de la loi dans des domaines comme les valeurs mobilières et la concurrence.
Évaluons l’incidence future que pourrait avoir cette étonnante combinaison de facteurs – presque inconcevable il y a quelques années à peine – sur le marché des fusions et acquisitions au Canada en 2023.
- Augmentation des participations minoritaires. La sollicitation d’investissements en contrepartie de participations minoritaires constitue une option potentiellement intéressante pour les sociétés qui cherchent à obtenir de la trésorerie afin de stimuler leur croissance sans recourir à des emprunts. De nombreux investisseurs privés, y compris des investisseurs institutionnels et des investisseurs de capital-investissement privé, continuent d’avoir beaucoup de fonds en réserve. Les placements privés, y compris ceux par les sociétés ouvertes, permettent de conclure des ententes négociées sur mesure et d’adapter les droits des émetteurs et des actionnaires. Ce marché est en effet devenu de plus en plus complexe, avec des variations dans les tendances du marché et l’évolution de certaines conditions de transactions [1]. Compte tenu des conditions actuelles, d’autres occasions de créativité se présenteront probablement aux avocats.
- Peu de prises de contrôle par emprunt à prévoir. Les incertitudes entourant la stabilisation des taux d’intérêt et le moment de la baisse des récentes hausses continueront certainement de freiner le volume de prises de contrôle par emprunt. En outre, les craintes de récession et les préoccupations connexes ont amené de nombreuses banques à resserrer leurs normes d’octroi de prêt, particulièrement pour les emprunteurs perçus comme plus risqués. Il est intéressant de se demander dans quelle mesure les fournisseurs non traditionnels de titres d’emprunt, dont les groupes de capital-investissement privé ayant recours à des fonds de crédit privé pour octroyer directement des prêts, pourront peut-être combler temporairement le vide laissé par les prêteurs traditionnels. Nous avons déjà vu cette situation se produire, où les fonds privés agissent comme prêteurs directs dans des transactions en circuit fermé. Encore une fois, des occasions pour des ententes juridiques novatrices ou sur mesure peuvent se présenter.
- Les retraits du marché pourraient augmenter. Alors qu’on peut s’attendre à ce que la faiblesse des cours boursiers continue de freiner les activités d’introduction en bourse, les décotes historiques pourraient encourager les opérations de fermeture. Nous voyons un potentiel particulier dans la détention par des cibles de biens durables comme les titres de FPI et les infrastructures, pour assurer leur résilience générale à long terme. Les infrastructures ayant des caractéristiques ESG pourraient s’avérer particulièrement attrayantes, non seulement en ce qui concerne la production d’électricité, mais aussi le stockage, le transport et la distribution d’électricité. L’anticipation selon laquelle les dépenses publiques, y compris toute nouvelle relance gouvernementale, continueront d’être surtout axées sur les infrastructures et la décarbonisation peut également avoir un effet à cet égard.
- Complexité continue des sorties d’entités de capital-investissement privé. La faiblesse des marchés publics pourrait alimenter la diversification et la complexité continues des sorties pour les entités de capital-investissement privé. Des exemples immédiats comprennent la trajectoire ascendante continue des ventes entre promoteurs, les opérations secondaires mises en œuvre par le commandité et les fonds de remplacement. Les enjeux connexes comprendront la gouvernance et les conflits d’intérêts perçus des commandités. Il est possible que les commanditaires cherchent à contrôler ces conflits au moyen de droits de surveillance accrus. Des pressions à la baisse sur l’évaluation permettront de garder l’accent sur l’ampleur des obligations existantes des vendeurs et sur le risque à l’extérieur de la couverture d’assurance déclarations et garanties. De même, les clauses d’indexation sur les bénéfices futurs, les accords d’entiercement, les ajustements du prix d’achat et les mécanismes de règlement des différends connexes pourraient être négociés plus intensément.
- Complexité continue des droits des commanditaires. Les fonds de capital-investissement privé pourraient être confrontés à des défis accrus en matière de mobilisation de fonds, car certains commanditaires préfèrent attendre que l’incertitude économique se dissipe. Les fonds de plus petite taille ou ceux ayant moins d’expérience risquent d’éprouver de plus grandes difficultés. Il est possible que les attentes des commanditaires de plus grande taille et plus avertis, y compris les investisseurs institutionnels, deviennent de plus en plus exigeantes en ce qui a trait aux conditions souhaitées de leur investissement. En ce qui concerne les lettres d’ententes accessoires, nous pouvons nous attendre à ce qu’on prête une attention accrue aux clauses de la nation la plus favorisée et aux droits de co-investissement. Quant aux conventions de société en commandite, les points de tension pourraient comprendre les droits de rachat et les recours du commanditaire de fonds à capital variable et des fonds à injection constamment renouvelée de capitaux. Cela dit, on peut s’attendre à une certaine résistance des promoteurs, surtout en ce qui concerne les droits de rachat.
- Le secteur minier demeurera solide. Les prix élevés des produits de base ont soutenu les récentes fusions et acquisitions dans le secteur minier, mais ce dernier n’est pas à l’abri des défis macroéconomiques. Un avantage dont bénéficie toutefois le secteur est le rôle clé joué par certains métaux dans la transition vers l’énergie verte et l’électrification accrue, notamment le cuivre, le zinc, l’étain, le lithium et le graphite. Les minéraux critiques tels que le nickel, le cobalt et le magnésium entraînent aussi leur lot d’occasions, notamment lorsque les gouvernements occidentaux se détournent des investissements par des sociétés d’État, adoptent de plus en plus des pratiques de l’économie d’affinité (friend-shoring) et commencent à instituer des exigences d’approvisionnement. Le cas de l’or est plus compliqué. L’implosion de la cryptomonnaie pourrait grandement raviver l’intérêt des investisseurs, mais la hausse des taux d’intérêt demeure un obstacle.
- Accent sur la vérification diligente. Des conditions de marché défavorables et une surveillance réglementaire accrue réduiront la tolérance au risque et renforceront l’importance de la vérification diligente pour les acheteurs. De plus, nous nous attendons à une appréhension amplifiée des acheteurs dans certains domaines, dont celui de la gestion et des systèmes de cybersécurité des cibles à la lumière des récentes pénalités, très médiatisées, imposées en vertu de la législation sur la protection des renseignements personnels à la suite de l’accès par des cybercriminels à des renseignements personnels. Les stratégies et les résultats en matière de facteurs ESG sont un autre domaine de préoccupation. Les acheteurs voudront s’assurer que l’évaluation est adéquate et être prêts à une intégration harmonieuse après la clôture. Ils doivent aussi être à l’affût de potentielles pratiques d’« écoblanchiment ». Étant donné que l’on peut s’attendre à une hausse des fusions et acquisitions d’entreprises en difficulté, les acheteurs éventuels devront accorder la priorité aux préoccupations en matière de risque en prévision de l’accélération des échéanciers de ces ventes.
[1] Voir la troisième étude de cas ponctuelle de Fasken sur les PPSO (placements privés dans les sociétés ouvertes) canadiens, juillet 2022.