Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont proposé deux approches concernant les obligations d’information en matière de diversité : l’une est axée sur le genre et l’autre porte sur un éventail plus large de mesures relatives à la diversité.
Cette question divise les provinces et les territoires au pays. Certaines provinces de l’Ouest (c. à d. la Colombie-Britannique, l’Alberta et la Saskatchewan) et les Territoires du Nord-Ouest soutiennent la première approche, tandis que l’Ontario soutient l’approche élargie. Le reste du Canada, y compris le Québec, demeure neutre pour le moment. La divergence des préférences qui a donné lieu à deux propositions différentes témoigne de l’absence d’une autorité nationale de réglementation des valeurs mobilières au Canada.
Quelle est la prochaine étape quant à l’information en matière de diversité au Canada? Nous examinons en détail les deux approches proposées par les ACVM et leurs implications potentielles pour le monde des affaires au Canada.
A. Aperçu général
Le 13 avril 2023, les ACVM ont publié un avis de consultation concernant des projets de modification des obligations d’information en matière de gouvernance (les « projets de modification ») applicables à un grand nombre de sociétés ouvertes canadiennes.
Ces projets de modification visent à obtenir des données utiles sur les moyens utilisés par les émetteurs non émergents pour trouver et évaluer les nouveaux candidats aux postes d’administrateurs, pour veiller au renouvellement du conseil d’administration et pour inclure l’aspect de la diversité dans ces considérations.
Les projets de modification figurent dans l’« Avis de consultation des ACVM – Projet de Règlement modifiant le Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance, visant particulièrement l’Annexe 58-101A1, Information concernant la gouvernance ».
Les modifications proposées seraient applicables à certains émetteurs non émergents, sous réserve des exceptions prévues par le Règlement 58 101 (p. ex., ne seraient pas applicables aux fonds d’investissement ainsi qu’aux émetteurs étrangers inscrits auprès de la SEC).
Ces projets de modification s’inscrivent dans la suite des obligations d’information existantes en matière de gouvernance de type « se conformer ou s’expliquer », adoptées en 2014 par la plupart des territoires membres des ACVM, à l’exception de la Colombie-Britannique et de l’Île-du-Prince-Édouard (les « obligations actuelles »). Si vous n’êtes pas familiers avec les obligations actuelles, consultez cet article (en anglais seulement).
Les projets de modification présentent deux approches possibles : la « Version A » et la « Version B ». La Version A et la Version B présentent des approches différentes quant à l’information à fournir sur la diversité (p. ex., la Version B impose la communication de données démographiques de certains groupes, dont les Autochtones et les personnes de la communauté LGBTQ2I+), mais sont généralement harmonisées en ce qui concerne les obligations d’information relatives à la sélection des candidats au conseil d’administration et au renouvellement de celui-ci.
B. Aperçu détaillé – que prévoient les règlements proposés?
Si elles sont mises en œuvre, les versions A et B auront toutes deux pour objectif de promouvoir la transparence en matière de diversité au sein des conseils d’administration et des postes de direction, afin que les investisseurs disposent de renseignements utiles pour déterminer comment un émetteur aborde la question de la diversité au-delà du genre.
Obligations d’information relatives à la sélection des candidats au conseil d’administration et renouvellement du conseil d’administration
Il est à noter que la version A et la version B sont très similaires quant aux obligations d’information relatives à la sélection des candidats et au renouvellement du conseil d’administration.
Sélection des candidats au conseil d’administration
Lorsqu’on les compare aux obligations actuelles (décrites à la rubrique 6 de l’Annexe 58-101A1, Information concernant la gouvernance), on constate que les projets de modification auraient les effets suivants :
- Étoffement des obligations actuelles en exigeant de communiquer la façon dont le conseil d’administration trouve et évalue ses nouveaux candidats.
- Maintien des obligations actuelles concernant l’information devant être fournie par le comité des candidatures (à l’exception du point suivant).
- Suppression de l’obligation de décrire les responsabilités, les pouvoirs et le fonctionnement du comité des candidatures.
- Ajout d’une nouvelle obligation d’indiquer si le conseil d’administration a adopté une politique écrite sur la procédure de sélection et, dans la négative, exiger que l’émetteur explique la façon dont il procède à la sélection (sous réserve de certaines différences entre la Version A et la Version B).
- Ajout de l’obligation d’information concernant le mode de gestion des conflits d’intérêts lors de la procédure de sélection et le fait que le conseil d’administration dispose ou non d’une grille de profils présentant l’ensemble des compétences, des connaissances, de l’expérience, des aptitudes et des qualités prises en compte dans l’évaluation d’un candidat.
Renouvellement du conseil d’administration
Lorsqu’on les compare aux obligations actuelles (décrites à la rubrique 10 de l’Annexe 58-101A1, Information concernant la gouvernance), on constate que les projets de modification auraient les effets suivants :
- Maintien des obligations actuelles concernant la durée des mandats des administrateurs.
- Ajout d’une nouvelle obligation d’indiquer la façon dont tout mécanisme de renouvellement adopté, autre que la durée des mandats des administrateurs, contribue efficacement au renouvellement du conseil.
- Étoffement des obligations actuelles afin d’élargir la description des modalités de renouvellement du conseil d’administration.
Obligations d’information relatives à la diversité
Régime en vigueur – Obligations actuelles et LCSA
Concernant l’information sur la diversité, les obligations actuelles prévoient la communication de renseignements relatifs à la représentation des femmes au sein de conseils d’administration et dans des postes de haute direction. Ces règles demeureront inchangées.
En outre, les sociétés assujetties à la Loi canadienne sur les sociétés par actions et à ses règlements (la « LCSA ») sont également tenues de respecter certaines obligations d’information en matière de diversité :
- Une approche de type « se conformer ou s’expliquer » par rapport aux aspects suivants :
- si la société a une politique écrite relative à la recherche et à la sélection d’administrateurs issus des « groupes désignés » (selon la définition de ce terme dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi « les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles »);
- si les taux de représentation des « groupes désignés » sont pris en compte lors de la nomination d’administrateurs et de membres de la haute direction;
- si les cibles pour la représentation de chacun des groupes désignés au sein du conseil d’administration et de la haute direction sont en place.
- La communication d’information concernant le nombre et la proportion (en pourcentage) d’administrateurs issus des groupes désignés au sein du conseil d’administration et de la haute direction.
Régime proposé – Version A et Version B
La différence entre la Version A et la Version B réside dans ce qui est requis au-delà des obligations actuelles et qui concerne des groupes d’individus autres que les femmes. Les projets de modification seraient applicables tant aux sociétés visées par la LCSA qu’à celles qui ne le sont pas. Par conséquent, l’émetteur assujetti à la LCSA devrait se conformer à la fois à la LCSA et à la Version A ou B, selon le cas.
Version A
Les ACVM expliquent que la Version A accorde de la latitude aux émetteurs, car elle n’exige pas la communication de données précises pour certains groupes et elle « évite également que les autorités en valeurs mobilières définissent les groupes que l’approche de l’émetteur en matière de diversité doit viser, outre les femmes ».
Par ailleurs, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») décrit la Version A comme une [traduction] « approche de statu quo, puisqu’elle n’exigerait pas d’un émetteur qu’il divulgue des données et des renseignements relatifs à la diversité autres que ceux qui concernent les femmes, à moins qu’il ne choisisse de recueillir des données sur ces groupes ».
Ces groupes sont désignés comme « groupe identifié », expression s’entendant « d’un groupe de personnes physiques dotées de caractéristiques personnelles communes dont la représentation au conseil d’administration ou parmi les membres de la haute direction de l’émetteur fait nommément partie de sa stratégie en matière de diversité, mais n’incluant pas les femmes. ».
En d’autres mots, si un émetteur choisit de ne pas recueillir de données sur un groupe identifié en particulier, aucun renseignement concernant le nombre et la proportion de personnes appartenant à ce groupe identifié et occupant un poste au sein du conseil d’administration ou de la haute direction ne sera exigé.
Au-delà de la communication de données, les émetteurs devraient néanmoins décrire ce qui suit en ce qui concerne les femmes et les « groupes identifiés » applicables :
- L’« approche » et les « objectifs » visant le maintien de la diversité au sein du conseil d’administration et de la haute direction.
- Toute politique écrite en lien avec le point ci-dessus (ou, en l’absence de politique, en indiquer les motifs).
- Les cibles (ou, en l’absence de cibles, en indiquer les motifs).
Version B
La Version B exigerait la communication obligatoire des données relatives à ces cinq « groupes désignés » : « les Autochtones, personnes de la communauté LGBTQ2I+, les personnes racisées, les personnes handicapées ainsi que les femmes », chaque groupe étant défini plus en détail dans la Version B (p. ex., « personne racisée » s’entend d’une « une personne, autre qu’un Autochtone, qui n’est pas de race blanche ou n’a pas la peau blanche ».)
La Version B correspond davantage à la LCSA. La principale différence entre les deux versions est que la Version B exige la communication d’information sur les personnes de la communauté LGBTQ2I+.
Contrairement à la Version A, l’émetteur ne peut pas choisir de ne pas communiquer les données concernant ces personnes. De plus, l’information doit être présentée dans un tableau standardisé (c.-à-d. qu’aucune autre option de présentation de l’information n’est proposée).
En plus de la communication des données, les émetteurs seraient également tenus de décrire ce qui suit en ce qui concerne les « groupes désignés » :
- La « stratégie écrite » visant le maintien de la diversité au sein du conseil d’administration (mais non de la haute direction).
- Toute politique écrite en lien avec le point ci-dessus (ou, en l’absence de politique, en indiquer les motifs).
- Les cibles (ou, en l’absence de cibles, en indiquer les motifs), présentées dans un tableau standardisé.
- Les objectifs mesurables de la stratégie écrite de l’émetteur, à l’exception des cibles.
- Le nombre et la proportion des membres actuels du conseil d’administration et de la haute direction, y compris de ceux qui ont pourvu des postes d’administrateurs au cours de l’exercice précédent, qui appartiennent aux groupes désignés (en plus d’autres données requises), présentés dans un tableau standardisé.
Il convient de noter que la Version A comme la Version B ne mentionnent pas certaines données démographiques, comme l’âge ou la religion des membres du conseil d’administration et de la haute direction.
C. Combien cela coûtera-t-il à un émetteur?
Les ACVM ne s’attendent pas à ce que la mise en œuvre des projets de modification alourdisse considérablement le fardeau réglementaire. Dans son analyse des coûts et des avantages, la CVMO a estimé que, pour un émetteur assujetti à la LCSA de même qu’un émetteur non assujetti, se conformer à la Version A entraînerait un coût annuel moyen supplémentaire de 506 $ sur une période de dix ans, et pour se conformer à la Version B, de 732 $ pour un émetteur assujetti à la LCSA et de 804 $ pour un émetteur qui n’y est pas assujetti.
D. Prochaines étapes
La période de consultation publique prendra fin le 29 septembre 2023, après quoi les ACVM analyseront les commentaires reçus. Les ACVM souhaitent obtenir des commentaires sur plusieurs aspects, notamment : Les préférences relatives à la Version A par rapport à la Version B; la confidentialité ou toute autre préoccupation relative à la communication d’information sur les compétences, les connaissances et l’expérience des candidats; les questions ou difficultés pour les émetteurs assujettis à la LCSA de se conformer à des obligations d’information supplémentaires; et si la communication de données concernant des groupes en particulier, autres que les femmes, devrait être obligatoire.
Seul le temps nous dira si une approche uniforme sera adoptée dans l’ensemble du Canada ou si nous nous retrouvons avec un régime de communication d’information fragmenté selon les provinces ou les territoires canadiens, comme c’est le cas pour les obligations actuelles.
Si vous avez des questions concernant les projets de modification, n’hésitez pas à communiquer avec votre avocat chez Fasken ou à consulter la liste des personnes-ressources désignées à la section F pour obtenir de l’aide.
E. Article connexe de Fasken
Vous vous demandez peut-être : pourquoi maintenant?
Lire le bulletin de Fasken intitulé « Mise À Jour 2023 Sur l’ESG: Alors que la diversité et la sensibilisation sociale ont le vent dans les voiles, les autorités de réglementation canadiennes demeurent divisées quant à l’approche relative à la divulgation de la diversité » pour en savoir plus sur la question, et ce dans différents pays, ainsi que sur l’importance accrue des enjeux sociaux, dans le domaine des facteurs ESG.
F. Au sujet des auteurs
Stephen Erlichman, LL.M. (Université de New York), MBA (Université Harvard), Professionnel certifié en investissement responsable (AIR), Certificat en capitalisme durable et facteurs ESG (Faculté de droit, Université Berkeley). De 2011 à 2018, Stephen a été directeur général de la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance.
Dyna Zekaoui, J.D. et LL.M-LE (Université Duke). Dyna est membre de l’équipe ESG de Fasken et conseille régulièrement des clients sur des questions liées aux facteurs ESG.
Marie-Christine Valois, B.A., Communication (Université Concordia); LL.B. (Université de Montréal); Certificat, Facteurs ESG, risque climatique et le droit (Faculté de droit Osgoode Hall, Université York). Marie-Christine est membre du groupe Droit des sociétés et droit commercial chez Fasken. Elle conseille des sociétés ouvertes et fermées sur des questions de gouvernance d’entreprise, y compris sur les facteurs ESG.
Gordon Raman, Fusions et acquisitions et Gouvernance d’entreprise; président de la pratique Facteurs ESG et développement durable de Fasken. Gordon conseille des membres de la haute direction et des conseils d’administration de sociétés ouvertes et fermées dans le cadre d’opérations de fusions et acquisitions, ainsi qu’en ce qui a trait à des questions de gouvernance d’entreprises dans divers secteurs d’activité.
Nous tenons à remercier Aniket Bhatt, stagiaire en droit, pour son aide lors de la rédaction de ce bulletin.
G. Ressources supplémentaires
- Bulletin de Fasken : « Mise À Jour 2023 Sur l’ESG: Alors que la diversité et la sensibilisation sociale ont le vent dans les voiles, les autorités de réglementation canadiennes demeurent divisées quant à l’approche relative à la divulgation de la diversité », avril 2023
- Communiqué de presse des Autorités canadiennes en valeurs mobilières
- Avis de consultation des ACVM – Projet de Règlement modifiant le Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance, visant particulièrement l’Annexe 58-101A1, Information concernant la gouvernance [PDF]