La Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté une motion en autorisation d’intervenir présentée par le Haudenosaunee Development Institute (le « HDI ») dans un litige opposant la bande des Six Nations de la rivière Grand (la « SNGR ») et la Couronne. Dans ce litige complexe, la SNGR demande une reddition de comptes et une indemnisation pour les manquements allégués aux devoirs et aux obligations découlant de la Proclamation Haldimand, qui remonte à 1784. Il s’agit de la plus récente décision dans un différend de longue date concernant le représentant approprié du peuple Haudenosaunee.
Dans la décision Six Nations of the Grand River Band of Indians v. The Attorney General of Canada and His Majesty the King in Right of Ontario, 2023 ONSC 3604 (« Six Nations »), la Cour était saisie de trois motions en autorisation d’intervenir. Toutefois, c’est principalement le rejet de la motion du HDI qui rend cette décision remarquable.
Le HDI est le délégué du Conseil des chefs de la Confédération de Haudenosaunee (le « HCCC »), qui a gouverné la collectivité des Six Nations de la rivière Grand jusqu’en 1924. Dans la décision Six Nations, la Cour a fait référence à la [traduction] « longue histoire de conflit » entre le HCCC et la SNGR, et aux nombreuses fois où la Cour a été saisie de litiges se rapportant à la question de savoir qui de la SNGR ou du HCCC était le corps dirigeant approprié du peuple des Six Nations [1]. La Cour a conclu que l’objectif du HDI était de [traduction] « mettre un terme » aux tentatives de la SNGR de plaider sa cause devant les tribunaux, en faveur de négociations de nation à nation entre le Canada et le HCCC [2].
Par conséquent, la Cour a rejeté la motion en autorisation d’intervenir du HDI, estimant que celui-ci n’était pas un [traduction] « intervenant de bonne foi », mais qu’il cherchait plutôt à provoquer « des retards et des perturbations dans le but inavoué de contester et de miner le droit de la SNGR de diriger le peuple des Six Nations » [3].
Le litige des Six Nations, qui dure depuis 28 ans et qui a donné lieu à des négociations substantielles et infructueuses entre la SNGR et la Couronne en partie défenderesse, semble enfin prêt à passer à l’étape du procès.
Contexte du litige
Dans cette action, la SNGR soutient que la Proclamation Haldimand a accordé des terres au peuple Haudenosaunee à titre de réparation pour les maisons et les biens perdus pendant la Révolution américaine. Comme l’a résumé la Cour, le différend [traduction] « porte sur l’étendue des terres mises de côté par la Couronne, sur la question de savoir si certaines terres ont été aliénées à juste titre et si la Couronne (initialement la Couronne britannique, et maintenant la Couronne ontarienne et la Couronne fédérale comme successeurs) a adéquatement géré et comptabilisé les fonds de la SNGR » [4]. La procédure a été suspendue pour permettre de longues négociations entre les parties, qui ont finalement échoué.
Les motions en autorisation d’intervenir
Dans l’affaire Six Nations, la Cour a statué sur les motions du HDI et de la Première Nation des Mississaugas de Credit (la « PNMC ») visant à obtenir l’autorisation d’intervenir en qualité de partie, ainsi qu’une motion de Men’s Fire du territoire des Six Nations de la rivière Grand (« Men’s Fire »), qui visait à intervenir dans la motion du HDI (soutenant que le HDI ne devrait pas être autorisé à intervenir), et, dans l’hypothèse où le HDI serait autorisé à intervenir, à obtenir l’autorisation d’intervenir lui-même à titre d’ami de la cour.
- Compte tenu de l’absence d’opposition de la part de la Couronne, la Cour n’a eu aucune difficulté à accorder à la PNMC l’autorisation d’intervenir dans l’action, estimant que d’éventuelles conclusions de fait au procès pourraient avoir une incidence sur les droits de la PNMC, y compris en ce qui concerne ses revendications de titre ancestral et les obligations de la Couronne à son égard.
- La Cour a accordé à Men’s Fire l’autorisation d’intervenir dans la motion en autorisation d’intervenir du HDI, concluant que Men’s Fire satisfaisait à tous les critères d’autorisation. Ce faisant, elle a rejeté l’argument du HDI selon lequel une demande d’autorisation pour intervenir dans une motion n’était pas recevable.
- La Cour a rejeté la motion en autorisation d’intervenir du HDI, concluant que l’intérêt du HDI dans le litige n’était ni [traduction] « suffisant » ni « véritable », et que la motion constituait en tout état de cause une procédure abusive et entraînerait un retard injustifié [5].
Principaux points à retenir
La décision dans l’affaire Six Nations est importante pour les parties qui envisagent de déposer une motion en autorisation d’intervenir ou de s’opposer à une telle motion dans le cadre d’un litige mettant en jeu des intérêts autochtones. Premièrement, elle confirme que les motions en autorisation d’intervenir peuvent soulever des questions juridiques et de preuve complexes qui présentent un intérêt considérable pour les parties autochtones, justifiant potentiellement l’intervention des membres des communautés autochtones dans la motion en autorisation d’intervenir elle-même. Deuxièmement, elle souligne le fait que la Cour n’accueillera pas une motion en autorisation d’intervenir qui, en réalité, vise à promouvoir des objectifs inavoués qui ne serviront pas le litige en cause, ou qui constitue autrement une procédure abusive. Cette décision fournit également des indications sur la question de savoir qui est le représentant actuel du peuple Haudenosaunee, du moins en se fondant sur la preuve produite en cour dans cette affaire.
[1] Par. 54.
[2] Par. 53.
[3] Par. 61.
[4] Par. 6.
[5] Par. 76.