La dernière édition de l’étude Canadian Public Target M&A Deal Points Study de l’American Bar Association’s (« ABA ») sur les transactions de fusion et d’acquisition visant des sociétés ouvertes canadiennes vient d’être publiée.
Les études de l’ABA concernant les transactions de fusion et d’acquisition ont été citées dans de nombreuses décisions de justice et constituent une source d’informations de premier plan pour répondre à la question fondamentale que se pose tout négociateur : quelles sont les dernières tendances du marché? Le présent bulletin met en lumière certaines des principales conclusions à tirer de l’étude et compare certains aspects avec les résultats d’études récentes menées aux États-Unis.
L’étude porte sur des transactions conclues en 2021 et en 2020, et plusieurs membres de l’équipe de Fasken ont participé à sa préparation, y compris certains auteurs du présent bulletin.
Secteurs industriels
L’ étude révèle que les transactions dans le secteur des mines et des ressources naturelles sont demeurées relativement stables par rapport aux études précédentes à 36 % des transactions, tandis que les transactions liées au secteur du cannabis représentent désormais 14 % des transactions (la légalisation du cannabis au Canada a eu lieu en 2018). Le secteur du pétrole et du gaz ne représente que 9 % des transactions (en baisse comparativement à 26 % dans l’étude de 2017, à 25 % dans l’étude de 2015 et à 29 % dans celle de 2013) et les secteurs de l’immobilier (3 % des transactions) et des technologies (3 % des transactions) sont tous les deux en baisse de 6 % et 7 %, respectivement, par rapport à l’étude parue en 2017.
Marchés boursiers
Des sociétés ouvertes canadiennes visées par l’étude, 60 % étaient cotées à la Bourse de Toronto, 31 % à la Bourse de croissance TSX et 9 % à la Bourse des valeurs canadiennes.
Caractéristiques relatives aux acheteurs
Le pays d’origine des acheteurs est demeuré relativement stable par rapport aux études précédentes : les acheteurs canadiens représentent 62 % des acquéreurs, les acheteurs américains, 20 %; les acheteurs chinois, 3 %; et les acheteurs australiens, 3 % (en hausse comparativement à 1 % dans l’étude de 2017). Parmi les acheteurs, 92 % sont des acheteurs stratégiques, tandis que le pourcentage d’acheteurs dans le secteur des fonds de capital-investissement a diminué, passant de 13 % en 2017 à 8 % (ce qui correspond aux pourcentages enregistrés dans les études de 2015 et 2013, soit 8 % et 7 %, respectivement).
Déclarations et garanties
La pratique au Canada en ce qui concerne les déclarations de « conformité à la loi » (que 97 % des transactions visées par cette étude contiennent) semble tendre vers l’inclusion des avis de violation (maintenant à 73 % comparativement au 61 % enregistré dans l’étude de 2017) et des avis d’enquête (maintenant à 52 %, une hausse significative comparativement au 23 % enregistré en 2017). Les acheteurs semblent avoir tendance à renoncer de plus en plus aux réserves relatives à la connaissance ayant trait aux déclarations de « conformité à la loi » (maintenant à 3 % par rapport au 9 % enregistré en 2017 et en 2015), mais la conformité à la date limite de ce type de déclaration connait une augmentation significative (30 % par rapport au 17 % enregistré en 2017). D’autres déclarations plus courantes aux États-Unis sont de plus en plus présentes dans les transactions canadiennes, comme la déclaration « Weinstein » selon laquelle la société cible ne doit faire l’objet d’aucune allégation de harcèlement sexuel ou autre forme de harcèlement (dans 14 % des transactions) et la déclaration « anti-corruption », désormais habituelle (dans 92 % des transactions).
Conditions de clôture
Il existe quelques différences notables entre les pratiques canadiennes et américaines en ce qui concerne les conditions de clôture. La tendance canadienne semble s’orienter vers le style américain qui veut que les déclarations de la société cible soient exactes tant lors de la signature que de la clôture (maintenant 59 %) plutôt qu’uniquement lors de la clôture (41 %, en baisse comparativement au 64 % enregistré en 2017). Dans l’étude américaine de 2017, dans 71 % des transactions, les déclarations de la société cible devaient être exactes à la fois à la signature et à la clôture, et dans 29 % des transactions, elles ne devaient l’être qu’à la clôture. Au Canada, la différence réside dans le fait que la pratique exclut désormais que certaines déclarations doivent être exactes à la signature (21 % des transactions par rapport au 38 % des transactions où toutes les déclarations étaient exactes à la signature). Il s’agit d’une augmentation considérable comparativement au 5 % enregistré dans l’étude de 2017 et au 2 % enregistré dans chacune des études de 2015 et de 2013.
La norme relative à l’exactitude des déclarations dans les transactions canadiennes se rapproche de la tendance du marché américain, à savoir la norme de l’effet défavorable important. L’étude a révélé que 92 % des transactions canadiennes utilisent la norme de l’effet défavorable important (comparativement à 62 % en 2017), ce qui correspond davantage à la situation du marché américain (96 % des transactions). Les transactions canadiennes suivent également la tendance américaine qui consiste à appliquer un critère différent de celui de l’effet défavorable important concernant l’exactitude de la déclaration sur la « capitalisation ». Désormais, 92 % des transactions canadiennes utilisent un critère différent (comparativement au 65 % enregistré dans l’étude de 2017), ce qui correspond au 91 % des transactions américaines.
Les transactions visant des sociétés ouvertes canadiennes diffèrent des transactions visant des sociétés ouvertes américaines en ce qui concerne la formulation du respect des clauses restrictives par la cible. Les transactions canadiennes tendent à favoriser l’exécution par la cible de « chacune » de ses obligations (44 % par rapport à 26 % dans l’étude de 2017 et seulement 9 % aux États-Unis) par opposition à « l’ensemble » de ses obligations (56 % par rapport au 74 % enregistré dans l’étude de 2017 et au 90 % enregistré aux États-Unis).
Possiblement en raison de l’effervescence des marchés canadiens des fusions et acquisitions en 2020 et 2021, la disponibilité du financement de l’acheteur exigée en tant que condition de clôture a considérablement diminué, passant de 40 % dans l’étude de 2017 à 19 %.
Définition d’effet défavorable important
Bien que les définitions contenues dans les conventions canadiennes correspondent en grande partie à celles des conventions américaines, il existe quelques différences importantes. Même si cette pratique est de moins en moins répandue, les Canadiens restent ouverts à la possibilité de faire mention de « perspectives » (en baisse à 11 % par rapport au 27 % enregistré dans l’étude de 2017, alors que les ententes américaines ne faisaient mention de « perspectives » que dans 1 % des transactions visant des sociétés ouvertes). La négociation de « perspectives » peut devenir très animée, car les sociétés cibles voudront exclure les mentions de « perspectives » au motif que ce sont des notions trop vagues et prospectives, donnant à l’acheteur un droit déraisonnable de se retirer d’une transaction. Par contre, les acheteurs veulent que la définition tienne compte d’événements ou de circonstances qui n’ont pas encore donné lieu à un effet défavorable important, mais qui pourraient éventuellement y donner lieu. Les définitions américaines du terme « effet défavorable important » sont beaucoup plus susceptibles d’avoir un effet défavorable sur la capacité d’une société cible à réaliser la transaction (68 % des transactions américaines mentionnent ce concept, tandis que seulement 17 % des transactions canadiennes mentionnent ce concept, une baisse comparativement au 30 % enregistré dans l’étude de 2017).
Protection de la transaction
Une tendance intéressante observée dans le domaine des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes au Canada au cours de la période d’étude de 2021 et 2020 est que, même si les acheteurs étaient prêts à payer des primes substantielles, les périodes d’exclusivité précédant la signature sont significativement plus longues que lors de la période d’étude de 2017 (médiane de 33 jours par rapport à 24 jours en 2017). Il convient également de noter que les dispositions d’« autorisation de sollicitation » sont beaucoup plus courantes aux États-Unis (9 % des transactions américaines, mais seulement 3 % des transactions canadiennes).
Le concept d’une exception fiduciaire à la clause restrictive de la recommandation d’une cible concernant les « événements intervenants » est bien établi sur le marché des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes aux États-Unis (90 % selon une étude américaine). Au Canada, la tendance semble suivre (bien que très lentement : 2 % dans cette édition de l’étude, en hausse par rapport au 0 % enregistré dans l’étude de 2013). L’« événement intervenant » vise à tenir compte des changements de circonstances, des faits ou des événements survenant après la date de signature qui n’étaient alors pas connus du conseil d’administration de la société cible ou qui n’étaient pas raisonnablement prévisibles, mais qui ne sont pas liés à une « proposition d’acquisition ». Il sera intéressant de voir si ce concept sera de plus en plus répandu dans le domaine des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes canadiennes.
Aperçu de l’échantillon des transactions – À considérer avec prudence
Quelle que soit la portée de l’étude, les lecteurs doivent être conscients de la nature de l’échantillon utilisé avant d’en faire une application trop large. Les conventions révisées proviennent du Système électronique de données, d’analyse et de recherche (SEDAR), un système tenu par les autorités réglementaires canadiennes en matière de valeurs mobilières portant uniquement sur les émetteurs assujettis. Par conséquent, l’étude ne porte que sur une partie ciblée des transactions réalisées au cours de la période visée et se limite qu’aux sociétés cibles canadiennes qui sont cotées en bourse. La dernière étude porte sur un échantillon total de 92 conventions dont la valeur de la transaction était de plus de 25 millions de dollars. Dans l’ensemble, l’étude est axée sur les transactions de sociétés de petite et moyenne taille (45 % des transactions sont inférieures à 250 millions de dollars et 23 %, à 100 millions de dollars). Cela étant dit, l’un des changements les plus importants depuis la dernière étude canadienne est l’augmentation du nombre de transactions dont la valeur se situe entre 1 et 5 milliards de dollars (jusqu’à 19 % comparativement au 12 % enregistré dans l’étude de 2017). La catégorie des transactions d’une valeur de plus de 5 milliards de dollars est restée relativement stable à 3 %. Sans surprise, depuis les modifications apportées en 2016 aux règles sur les offres publiques d’achat par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, qui ont notamment prolongé le délai minimal de dépôt des offres de 35 à 105 jours (avec une prolongation automatique de 10 jours et une condition de dépôt minimal de 50 %), le nombre de transactions structurées sous forme d’offres publiques d’achat demeure faible, avec deux transactions (comme dans l’étude de 2017, alors que les études de 2015 et de 2013 en comptaient respectivement, 7 et 17). Plus importants encore, de nombreux éléments d’une transaction sont plus facilement résolus grâce à une appréciation du caractère raisonnable de la position de chacune des parties ou, dans certains cas, de leur pouvoir de négociation.