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Facteurs ESG en contexte de fusions et acquisitions visant des sociétés ouvertes : quelles sont les tendances du marché? – Partie 1

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Bulletin marchés des capitaux et fusions et acquisitions

Aperçu – Approche des conseils d’administration à l’égard des facteurs ESG en contexte de fusions et acquisitions

Au cours des dernières années, on a assisté à une augmentation notable de l’importance des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour les sociétés ouvertes canadiennes : sous l’influence des investisseurs institutionnels, des investisseurs activistes ou des forces du marché en général, les émetteurs canadiens sont poussés à évaluer leurs priorités et leur stratégie ESG. De plus, cet exercice donne lieu à un exercice supplémentaire pour les administrateurs de ces émetteurs, qui doivent évaluer dans quelle mesure la prise en compte des facteurs ESG est requise en vertu de leur obligation fiduciaire d’agir au mieux des intérêts de la société.

Les fusions et acquisitions de sociétés ouvertes sont un autre domaine dans lequel les obligations fiduciaires des administrateurs occupent une place centrale. Lorsqu’une société ouverte canadienne accepte d’être acquise, cela laisse supposer que, de l’avis de ses administrateurs, la transaction est au mieux des intérêts de la société. De même, si la transaction attire une ou plusieurs offres concurrentes, les administrateurs de la société cible devront à nouveau déterminer le plan d’action qui est au mieux des intérêts de la société, sous réserve des modalités de la disposition de « retrait fiduciaire » convenue dans le cadre de la transaction initiale.

La question que nous soulevons dans cette série de bulletins en deux parties est la suivante : que se passe-t-il au croisement des facteurs ESG et des fusions et acquisitions visant des sociétés ouvertes? En d’autres termes, de quelle façon l’importance récente accordée aux facteurs ESG au Canada se traduit-elle globalement dans le contexte particulier des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes?

Pour répondre à cette question, nous avons examiné les ententes de fusion et d’acquisition visant des sociétés ouvertes et impliquant des émetteurs assujettis canadiens qui ont été conclues entre mai 2021 et mai 2023 et pour lesquelles la valeur de la transaction est supérieure à 100 millions de dollars canadiens, ce qui a donné lieu à un échantillon de 73 transactions. Outre les ententes liées aux transactions, nous avons aussi examiné les circulaires d’information déposées relativement à chaque transaction (ces éléments sont désignés collectivement comme notre « échantillon de transactions »)[1].

Voici nos quatre principaux constats :

  • Les facteurs ESG ont fait l’objet d’avancées intéressantes dans le processus décisionnel lors des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes, comme en témoignent les circulaires d’information des sociétés cibles.
  • Bien que cette évolution soit intéressante, et potentiellement prévisible, elle ne touche qu’une faible minorité des circulaires d’information, du moins à l’heure actuelle.
  • Conformément à nos attentes générales, nous n’avons pas constaté d’évolution importante des pratiques du marché en ce qui concerne la rédaction des « dispositions de retrait fiduciaire » propres aux enjeux ESG.
  • Il est toutefois possible (et c’est parfois ce qui arrive) que la prise en compte des facteurs ESG se traduise autrement dans les ententes de fusion et d’acquisition visant des sociétés ouvertes, notamment par des mesures propres à la transaction.

Notre analyse comporte deux parties :

  • Dans la partie 1 ci-présente, nous décrivons les diverses avancées des facteurs ESG au sein du processus décisionnel relatif aux fusions et acquisitions de sociétés ouvertes relevées lors de notre examen de l’échantillon de transactions, et nous expliquons en quoi il est permis de croire que celles-ci s’accordent avec des délibérations prudentes du conseil d’administration.
  • Dans la partie 2, qui sera publiée bientôt, nous examinerons l’incidence que les facteurs ESG pourraient avoir sur la rédaction des ententes de fusion et d’acquisition visant des sociétés ouvertes, plus particulièrement sur les « dispositions de retrait fiduciaire » et les conditions personnalisées des transactions, comme les engagements de l’acheteur après la clôture.

Facteurs ESG et devoirs des administrateurs : l’ancien rencontre le nouveau?

Les avocats en droit des affaires le savent bien : le point de départ de toute discussion sur les devoirs des administrateurs est la décision que la Cour suprême du Canada (la « CSC » ou la « Cour ») a rendue en 2008 dans l’affaire BCE[2]. Dans cette décision, la Cour s’est prononcée sur plusieurs points importants, dont trois qui sont particulièrement pertinents en l’espèce. Premièrement, la CSC a confirmé que les administrateurs ont des obligations envers la société elle-même plutôt qu’envers ses parties prenantes. Deuxièmement, la CSC a précisé que, lorsqu’ils déterminent ce qui sert au mieux les intérêts de la société, les administrateurs peuvent examiner les intérêts de diverses parties prenantes de la société, « notamment les intérêts des actionnaires, des employés, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement ». Troisièmement, la CSC a souligné à maintes reprises qu’un administrateur « doit agir au mieux des intérêts de la société en tant qu’entreprise socialement responsable ».

Les différents points sur lesquels la Cour s’est prononcée ont fourni une clarification utile aux avocats en droit des affaires. Avant l’arrêt BCE, il était généralement admis que les intérêts des actionnaires étaient au centre des obligations fiduciaires des administrateurs. Les points que la CSC a tranchés dans cette affaire s’appliquent aussi à la prise en compte des facteurs ESG, qui met souvent l’accent sur l’environnement et sur les parties prenantes comme les employés et les consommateurs, en plus de s’appuyer sur la notion générale d’« entreprise socialement responsable ». Plus particulièrement, l’arrêt BCE a permis aux conseils d’administration, dans la mesure où ils ne le faisaient pas déjà, de prendre en considération les intérêts des parties prenantes, y compris les facteurs ESG, au-delà des intérêts des actionnaires lorsqu’ils déterminent si un plan d’action est au mieux des intérêts de la société.

Facteurs ESG et circulaires d’information relatives aux fusions et acquisitions visant des sociétés ouvertes : les facteurs ESG sous plusieurs angles

Conformément à ce qui précède, les 73 circulaires d’information que nous avons examinées faisaient état de diverses avancées des facteurs ESG dans le processus décisionnel lié aux fusions et acquisitions visant des sociétés ouvertes. Les trois exemples qui suivent l’illustrent bien.

Exemple A – Les Premières Nations au premier plan

Une transaction pour laquelle la circulaire d’information de la société cible soulignait à plusieurs reprises des facteurs ESG concernant les relations avec les Premières Nations et les communautés locales a été conclue en 2021[3]. La société cible était une société minière et, parmi les raisons d’appuyer le plan d’arrangement, son conseil d’administration a souligné la « culture complémentaire » et « l’approche axée sur les facteurs ESG » des deux sociétés. Le conseil d’administration de la société cible a aussi indiqué que la société issue du regroupement serait « en bonne position pour être un chef de file dans le domaine des initiatives ESG en Colombie-Britannique ». La circulaire décrivait également l’initiateur comme « un partenaire respecté des Premières Nations » en Colombie-Britannique, et soutenait que « les partenaires des Premières Nations et les partenaires communautaires seraient en très bonne position pour réussir et prospérer sous la gérance de calibre mondial [de l’initiateur] » [traduction]. De même, la circulaire soutenait que « l’exploitation simultanée » des mines voisines de la société cible et de l’initiateur « offrirait de meilleures possibilités aux effectifs respectifs de ces mines » et « permettrait d’harmoniser et d’optimiser la mobilisation des Premières Nations [locales] et de la communauté en général ».

Exemple B – L’offre concurrente est-elle moins favorable en ce qui a trait aux facteurs ESG?

Dans le cadre d’une autre transaction intéressante conclue en 2021, le conseil d’administration de la société cible devait déterminer si une offre concurrente était moins attrayante d’un point de vue ESG[4]. Le conseil d’administration avait reçu deux offres simultanées : l’une d’un autre acteur du secteur intermédiaire de l’énergie, l’autre d’une société de capital-investissement. Bien que la société cible ait éventuellement accepté une seconde offre (plus élevée) reçue de la société de capital-investissement, dans une circulaire d’information publiée à l’appui de l’offre de la société du secteur intermédiaire, le conseil d’administration de la société cible a fait plusieurs déclarations importantes relativement aux facteurs ESG.

Pour commencer, une section de la circulaire d’information en question soulignait les « initiatives de la société cible en matière de durabilité et de facteurs ESG » [traduction], y compris son « engagement indéfectible à bâtir un avenir durable » [traduction] et sa détermination à mener ses activités « d’une manière responsable sur les plans éthique, environnemental et social » [traduction]. Ensuite, dans ses arguments en défaveur de l’offre initiale (plus basse) de la société de capital-investissement, le conseil d’administration de la société cible a souligné la « transparence limitée en ce qui concerne l’information ESG » [traduction] à laquelle on pouvait s’attendre de la part de la société de capital-investissement, un « manque de responsabilité » [traduction] allégué lié au fait que cette dernière était une société fermée. Pour terminer, dans ses arguments en faveur de l’offre présentée par la société énergétique du secteur intermédiaire, le conseil d’administration de la société cible a mis l’accent sur les engagements et les antécédents en matière ESG, avant d’en arriver à la conclusion que la société issue du regroupement disposerait « d’une capacité accrue et d’un portefeuille d’occasions plus large pour réaliser des investissements liés aux facteurs ESG, y compris pour […] soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de carbone » [traduction]. 

Exemple C – L’offre concurrente est-elle plus favorable en ce qui a trait aux facteurs ESG?

Dans le cadre d’une transaction visant une société minière conclue en 2022, le conseil d’administration de la société cible a eu à déterminer si une offre concurrente subséquente était plus attrayante que l’offre initiale d’un point de vue ESG[5]. La société cible était sur le point d’être acquise par une autre société minière, et, parmi les raisons citées en faveur de ce regroupement, le conseil d’administration de la société cible avait souligné la complémentarité des cultures organisationnelles et l’alignement des priorités stratégiques des deux sociétés, notamment leur engagement commun « à atteindre des cibles en matière de décarbonisation, d’environnement, de santé et de sécurité, de diversité et de création de valeur pour les parties prenantes » [traduction].

Le conseil d’administration de la société cible a toutefois rejeté l’offre après avoir déterminé qu’une offre ultérieure, prenant la forme d’un arrangement tripartite avec deux autres sociétés minières cotées en bourse, était plus avantageuse. Cette dernière offre comprenait une prime de 15 % par rapport au prix implicite de l’offre précédente, ainsi qu’une composante en espèces substantielle. Il convient toutefois de noter que l’offre acceptée semblait également un peu plus avantageuse que l’offre initiale en ce qui a trait aux facteurs ESG. À cet égard, les trois sociétés avaient pour engagement de favoriser une « croissance responsable [...] en mettant l’accent sur [...] le maintien d’une performance de premier plan en matière de durabilité et de facteurs ESG » [traduction]. L’offre tripartite avait aussi pour avantage que « les antécédents et les résultats de premier plan de la société cible [en matière ESG] amélioreraient la position de [la société issue du regroupement] par rapport à ses pairs » [traduction]. Pour terminer, le conseil administration de la société cible estimait que la « stratégie d’action climatique et les efforts de premier plan en matière de réduction des émissions » [traduction] de la société cible « permettraient d’accroître la performance en matière d’émissions de gaz à effet de serre de la société issue du regroupement » [traduction].

Une tendance minoritaire ou un présage?

De façon globale, ces exemples (et les autres que nous avons relevés dans notre analyse, mais que nous avons choisi de ne pas présenter ici) semblent indiquer qu’il est de plus en plus courant d’invoquer expressément les facteurs ESG dans les circulaires d’information relatives aux fusions et acquisitions de sociétés ouvertes, et qu’il est possible de le faire sous différents angles, notamment :

  • l’engagement mutuel et/ou complémentaire des parties à l’égard de certains principes ESG, ou des facteurs ESG en général;
  • une force ou une initiative ESG en particulier apportée par l’une ou l’autre des parties à l’entente, ou par les deux;
  • une synergie liée aux facteurs ESG qui pourrait être obtenue par le regroupement des sociétés;
  • les raisons pour lesquelles une offre concurrente, s’il y a lieu, pourrait être plus ou moins attrayante d’un point de vue ESG.

Cela dit, les exemples ci-dessus restent minoritaires dans notre échantillon. Parmi les 73 circulaires d’information examinées, seulement 11 % environ incluaient des discussions expresses sur les facteurs ESG. Par conséquent, bien qu’on mette de plus en plus l’accent sur les questions ESG depuis quelques années, ce phénomène ne s’est pas encore traduit par une généralisation dans les délibérations du conseil d’administration sur les facteurs ESG dans le contexte particulier des fusions et acquisitions de sociétés ouvertes, du moins selon ce que les sociétés cibles ont jugé pertinent d’évoquer dans leurs circulaires d’information. Il reste à savoir si cette situation perdurera ou si la focalisation continue sur les facteurs ESG au sein des conseils d’administration mènera progressivement à des délibérations plus fréquentes au sujet des facteurs ESG et à une prise en compte plus structurée de ces facteurs lors de l’évaluation des mérites d’une fusion et acquisition envisagée. Après tout, même si seulement 11 % environ des circulaires d’information de notre échantillon traitaient expressément des facteurs ESG, nous soupçonnons que, dans un échantillon d’il y a 10 ou 20 ans, ce pourcentage serait encore plus faible, voire nul.

En outre, on peut soutenir que ces mentions des facteurs ESG s’accordent avec des délibérations prudentes du conseil d’administration. Selon l’arrêt BCE, lorsqu’une transaction proposée présente des avantages non négligeables sur le plan des facteurs ESG, on peut soutenir que ces avantages devraient être évalués par les administrateurs de la société cible dans l’appréciation globale des mérites de la transaction. De même, si une offre concurrente semble être plus ou moins avantageuse du point de vue des facteurs ESG, on peut soutenir que cette différence devrait être prise en compte dans l’analyse des mérites relatifs de l’offre concurrente réalisée par les administrateurs de la société cible. Enfin, on peut soutenir que la prise en compte des questions ESG (lorsque celles-ci sont importantes dans les circonstances) est le signe d’un processus d’examen par les administrateurs à la fois rigoureux et éclairé, qui est susceptible de favoriser l’application de la règle de l’appréciation commerciale par les tribunaux, et de susciter ainsi la déférence de ces derniers (dans le cas où la diligence exercée par les administrateurs serait remise en question).

Facteurs ESG en contexte de fusions et acquisitions visant des sociétés ouvertes : quelles sont les tendances du marché? – Partie 2

Restez à l’affût : dans la partie 2, qui sera publiée bientôt, nous examinerons l’incidence que les facteurs ESG pourraient avoir sur la rédaction des ententes de fusion et d’acquisition visant des sociétés ouvertes, notamment les « dispositions de retrait fiduciaire » et les conditions personnalisées des transactions, comme les engagements de l’acheteur après la clôture.


[1] Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement Andrea Chabot et Simon Brissette pour leur aide précieuse en ce qui a trait à la compilation, à l’organisation et à la révision de l’échantillon de transactions. 

[2] BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69, [2008] 3 RCS 560.

[3] Voir les documents relatifs à l’acquisition de Pretium Resources Inc. par Newcrest Mining Ltd. aux termes d’une convention d’arrangement datée du 8 novembre 2021.

[4] Voir les documents relatifs à la proposition de Pembina Pipeline Corporation visant l’acquisition d’Inter Pipeline Ltd. aux termes d’une convention d’arrangement datée du 31 mai 2021. Veuillez noter que cette transaction n’a pas été conclue, car la société cible a accepté une offre concurrente revue à la hausse.

[5] Voir les documents relatifs à l’acquisition de Yamana Gold Inc. par Pan American Silver Corp. aux termes d’une convention d’arrangement datée du 4 novembre 2022.

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  • Marie-Josée Neveu, Associée | PRÉSIDENTE DU CONSEIL DES ASSOCIÉS DU CABINET, Montréal, QC, +1 514 397 4304, mneveu@fasken.com
  • Paul Blyschak, Avocat-conseil, Calgary, AB, +1 403 261 9465, pblyschak@fasken.com

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