Il est bien connu en droit du travail qu’un employé congédié a l’obligation d’atténuer tout préjudice pouvant faire l’objet d’une réclamation en vertu du préavis raisonnable prévu par la common law en recherchant un emploi comparable à celui qu’il occupait. En d’autres termes, si l’employé trouve un nouvel emploi pendant la période de préavis raisonnable, toute somme gagnée auprès de son nouvel employeur réduit les dommages-intérêts pouvant être récupérés auprès de son ancien employeur par suite d’un congédiement injustifié.
Toutefois, il peut en être autrement pour les employés visés par un contrat à durée déterminée. En l’absence d’une clause exécutoire de cessation d’emploi anticipée, lorsqu’un employeur met fin à un contrat à durée déterminée avant la fin de son terme, l’employé a droit à la rémunération qu’il aurait gagnée jusqu’à la fin de la durée déterminée, indépendamment de toute mesure d’atténuation. Des employeurs se sont ainsi retrouvés à devoir verser des sommes importantes à d’anciens employés, comme dans l’affaire McGuinty v. 1845035 Ontario Inc. (McGuinty Funeral Home)[1] (dont nous avons déjà traitée ici), où le tribunal a accordé à l’employé 1,27 million de dollars, somme qui représente la rémunération qu’il aurait perçue au cours des neuf années restantes de la durée du contrat.
Mais qu’en est-il des entrepreneurs indépendants visés par un contrat à durée déterminée?
Une décision récente[2] de la Cour d’appel de l’Ontario met en évidence les différences clés et les risques communs qui caractérisent les divers types de contrats à durée déterminée.
Contexte
Metro Freightliner (la « compagnie ») a retenu les services d’Antonio Monterosso à titre d’entrepreneur indépendant aux termes d’un contrat à durée déterminée de 72 mois. Cependant, la compagnie a mis fin aux services de ce dernier « sans motif valable » sept mois seulement après le début du contrat. Par conséquent, le travailleur a déposé une plainte visant à obtenir le paiement des 65 mois restants du contrat à durée déterminée.
La décision de première instance
En première instance, la juge a conclu que le contrat ne comportait pas de clause de cessation d’emploi exécutoire et qu’il prévoyait clairement et sans équivoque une durée déterminée de 72 mois. Elle a donc décidé que le travailleur n’était pas tenu d’atténuer ses dommages, c’est-à-dire de rechercher un emploi comparable. En fin de compte, la juge de première instance lui a accordé 552 500 $, TVH en sus, soit la valeur des versements mensuels restants exigibles aux termes du contrat.
La décision rendue en appel
En appel, le principal argument de la compagnie était que la juge de première instance avait commis une erreur en concluant que le travailleur n’était pas tenu d’atténuer ses dommages.
La Cour d’appel a retenu cet argument et a souligné que la juge de première instance avait confondu deux situations différentes : celle des entrepreneurs indépendants et celle des employés visés par un contrat à durée déterminée.
La Cour d’appel de l’Ontario a examiné une de ses décisions antérieures, Howard v. Benson Group Inc.[3], (dont nous avons déjà traitée ici), et a fait remarquer que cette décision avait établi que les employés visés par un contrat à durée déterminée ont droit à des dommages-intérêts correspondant à la perte de salaire pour la durée restante du contrat sans obligation d’atténuer leurs dommages, mais qu’elle n’avait pas établi avec certitude si les entrepreneurs indépendants avaient une obligation semblable.
En expliquant son raisonnement, la Cour a fait remarquer que les circonstances en l’espèce n’étaient en rien différentes de celles qui justifient normalement l’application du principe d’atténuation des dommages. La Cour a notamment souligné ce qui suit :
- le travailleur n’entretenait pas avec la compagnie une relation exclusive, comme s’il en avait été un employé;
- le travailleur n’était pas « dépendant » de la compagnie; et
- les modalités du contrat permettaient au travailleur de fournir des services à d’autres parties.
Toutefois – et malheureusement pour l'entreprise –, la Cour a également conclu que le travailleur avait l’obligation d’atténuer ses dommages et qu’il s’en était acquitté. Le travailleur a déposé des preuves détaillées de ses efforts infructueux de recherche d’emploi, alors que la compagnie n’a fourni aucune preuve pour démontrer qu’il existait bel et bien des emplois que le travailleur aurait pu occuper. De ce fait, le constat final pour l’entreprise est le même puisqu’elle ne s’est pas acquittée de la charge de preuve qui lui incombait : prouver que le travailleur n’avait pas pris de mesures raisonnables pour atténuer ses dommages.
Ce qu’il faut retenir
Cette décision rappelle une fois de plus que la résiliation anticipée d’un contrat à durée déterminée peut entraîner une responsabilité importante pour une entreprise. Cela est particulièrement vrai lorsque le travailleur est un employé, mais cela peut aussi être vrai lorsque le travailleur est un entrepreneur indépendant, si l’entreprise est incapable de démontrer que ce dernier n’a pas pris de mesures pour atténuer les conséquences de la résiliation du contrat. La classification appropriée des travailleurs (en tant qu’employés ou entrepreneurs indépendants) est donc essentielle. En effet, les entrepreneurs indépendants ont l’obligation d’atténuer les dommages, alors que les employés n’ont pas cette obligation, sauf si une disposition claire indique le contraire.
Pour éviter des différends comme celui dont il est question dans le présent article, les employeurs devraient déterminer si un contrat d’une durée indéterminée est une option viable avant d’embaucher un employé ou de retenir les services d’un entrepreneur indépendant pour une durée déterminée. Bien qu’attrayants, les contrats à durée déterminée comportent des risques importants, comme nous venons de le voir.
Si, tout compte fait, un contrat à durée déterminée est la meilleure option, il convient de considérer la possibilité de prévoir ce qui suit :
- une clause de résiliation claire et sans équivoque qui permet de mettre fin à la relation avant la fin de la durée du contrat; et
- une clause prévoyant l’atténuation des dommages.