Récemment, le porte-parole de l’opposition officielle en matière de Santé, André Fortin, a déposé le Projet de loi no 194 instaurant une présomption de consentement au don d’organes ou de tissus après le décès (le « Projet de loi »). L’objectif du Projet de loi, qui est présentement à l’étape de l’étude détaillée en commission, est de faciliter le don d’organes ou de tissus. Il modifie le Code civil du Québec afin qu’une personne majeure soit présumée avoir autorisé le prélèvement d’organes et de tissus sur son corps après le décès, sauf indication contraire.
Après une tentative infructueuse en 2019, M. Fortin pense que le projet de loi ira de l'avant car il bénéficie du soutien du ministre de la Santé, Christian Dubé, qui a déclaré aux journalistes : « C’est un projet qui devrait être prioritaire… Je pense que nous devrions y travailler de manière non partisane».[1]
L’encadrement législatif actuel en matière de don d’organes et de tissus au Québec
Actuellement, l’article 43 du Code civil du Québec prévoit la possibilité pour le majeur, le mineur âgé de 14 ans et plus et le mineur de moins de 14 ans, avec le consentement du titulaire de l’autorité parentale ou de son tuteur, d’autoriser le prélèvement d’organes et de tissus sur son corps dans un but médical et scientifique. L’expression de cette volonté peut être faite devant deux témoins ou par écrit. Il est d’ailleurs possible de signifier sa décision en l’inscrivant au Registre des consentement au don d’organes et de tissus de la Régie de l’assurance maladie du Québec (la « RAMQ »), dans le Registre des consentements au don d’organes et de tissus de la Chambre des notaires du Québec (la « CNQ ») ou en signant l’autocollant au dos de la carte d’assurance maladie.
À défaut de volontés connus ou présumées du défunt, le Code civil du Québec prévoit que le prélèvement peut être effectué avec le consentement de la personne qui pouvait ou aurait pu consentir aux soins, ce consentement n’étant pas nécessaire dans le cas où l’urgence de l’intervention et l’espoir sérieux de sauver une vie humaine ou d’en améliorer sensiblement la qualité est attesté par écrit par deux médecins.
Au décès, les proches du défunt sont consultés par l’équipe médicale afin de connaître sa volonté. Si la volonté du défunt est connue, les proches pourront ainsi l’exprimer. Dans le cas contraire, la décision sera prise en vertu des dispositions légales. Cependant, bien que le droit prévoit que la volonté anticipée d’un défunt devrait être respectée sauf motif impérieux, il appert qu’en pratique, les équipes médicales demandent l’autorisation des proches avant de débuter le processus de don. La disposition vise à empêcher que les souhaits du défunt soient écartés par ses proches, mais Transplant Québec privilégie les décisions qui tiennent compte des souhaits de la famille[2]. Le refus des proches peut alors correspondre à la notion de « motif impérieux » [3] au détriment de l’autonomie individuelle.
Le nouveau cadre législatif proposé par le Projet de loi
Le Projet de loi prévoit l’instauration d’une présomption de consentement au don d’organes ou de tissus après le décès pour le majeur plutôt que de quérir une preuve de son consentement. Il s’agit donc de l’inverse du régime qui est en place actuellement. Les Québécois qui refusent que l’on prélève leurs organes et leurs tissus auront la responsabilité de signifier leur refus en l’inscrivant au Registre des consentement et des refus au don d’organes et de tissus de la RAMQ, au Registre des consentements et des refus au don d’organes et de tissus de la CNQ ou en signant l’autocollant au verso de leur carte d’assurance maladie.
Comme c’est le cas présentement, les proches du défunt continueront d’être consultés avant qu’un prélèvement soit effectué ou non et l’urgence de l’intervention et l’espoir sérieux de sauver une vie humaine ou d’en améliorer sensiblement la qualité pourra encore justifier de passer outre un refus. Toutefois, il demeure peu probable que l’implantation de ce nouveau régime change la façon dont les médecins tiennent compte des souhaits de la famille.
Le consentement présumé : de l’espoir pour le futur?
En effet, le Québec suit les traces de la Nouvelle-Écosse. Depuis le 18 janvier 2021, la Human Organ and Tissue Donation Act est en vigueur dans la province. Cette loi prévoit le régime du consentement présumé en matière de don d’organes et de tissus. Il s’agit de la première juridiction en Amérique du Nord qui adopte une telle mesure législative.
Jusqu’à présent, le changement de régime en Nouvelle-Écosse semble prometteur. Après l’annonce de la loi, et avant même son entrée en vigueur, une hausse du nombre de donneur avait déjà été observée dans la province. Depuis 2021, plus de 57 000 refus représentant environ 5% de la population de donneurs admissibles avaient été recensés. Une hausse de 40 % de donneurs de tissus a également été constatée de 2020 à 2021[4].
Cependant, la méconnaissance de la loi par la population soulève des enjeux éthiques, notamment la possibilité qu’un prélèvement ou un non prélèvement aille à l’encontre de la volonté du défunt. L’adoption de ce principe devrait donc, selon le médecin responsable du programme en Nouvelle-Écosse, s’accompagner d’une campagne d’éducation et de sensibilisation de la population.
La vigilance demeure donc de mise face à cet important changement législatif au Québec, puisqu’il est encore prématuré de tirer des conclusions. D’autres facteurs, tels que les dépenses en soins de santé d’un gouvernement ou le nombre de donneurs potentiels, auraient également un rôle à jouter dans l’augmentation du taux de dons d’organes et de tissus.
Le Projet de loi 15, dont nous avons déjà parlé, a été conçu pour réorganiser l'administration du système de soins de santé. Le Projet de loi 15 fait une référence à l'administration du don d'organes en exigeant que le directeur médical, au lieu du directeur des services professionnels, soit responsable d'aviser l'équipe de coordination du don d'organes du décès récent ou imminent d'un donneur potentiel. Il reste à voir si les versions ultérieures du Projet de loi 15 pourraient inclure d'autres modifications afin d'intégrer le Projet de loi 194. La coordination des donneurs deviendra de plus en plus importante dans le cadre d'un système opt-in qui, espérons-le, augmentera le nombre d'organes disponibles au Québec.
Le groupe Sciences de la vie de Fasken reste à l’affut du cheminement du Projet de loi et demeure disponible afin de répondre aux interrogations de tout intéressé sur le sujet.
[1] Quebec bill could increase organ donations | Montreal Gazette (en anglais seulement)
[2] Altarbouch, L., Hébert-Gauthier, N., & Bourassa Forcier, M. (2021). Don d’organes au Québec - Étude comparée des bonnes pratiques (2021s-11, Cahiers scientifiques, CIRANO.) https://cirano.qc.ca/fr/sommaires/2021s-11
[3] Louise BERNIER, « Le don d’organes : voir au-delà des volontés individuelles? », (2018) 15 Elsevier – Éthique et santé, p. 143.
[4] Rapport annuel 2021-2022 de Santé Nouvelle-Écosse (en anglais seulement)