Le Canada a récemment adopté d’importantes modifications à sa législation en matière de sanctions, lesquelles ont été annoncées pour la première fois dans le cadre du budget de 2023 (voir notre bulletin précédent : Budget de 2023 : Initiatives et répercussions commerciales internationales), ajoutant de nouvelles règles concernant les « biens réputés appartenir à une personne » et les pouvoirs relatifs à l’imposition de « sanctions secondaires ». Ces modifications constituent de nouvelles mesures ajoutées à la législation canadienne sur les sanctions, et entraînent des risques et des défis additionnels en matière de conformité pour les entreprises canadiennes.
Dans le cadre de ce bulletin, nous examinerons ces modifications ainsi que leurs conséquences.
Contexte
Le Canada impose principalement des sanctions par le truchement de la Loi sur les mesures économiques spéciales (la « LMES») et ses règlements connexes. L’une des principales interdictions de la LMES est l’imposition d’un gel des avoirs et une interdiction de transactions : il est interdit à toute personne au Canada ou à tout Canadien à l’étranger d’effectuer des transactions portant sur des biens « appartenant, détenus ou contrôlés, même indirectement » par des personnes faisant l’objet de sanctions.
Cette interdiction pose des problèmes considérables aux entreprises canadiennes en raison de sa portée et du fait que la LMES ne définit pas la propriété ni le contrôle. C’est le cas lorsqu’une personne sanctionnée détient un intérêt minoritaire, et qu’il faut déterminer si ledit intérêt constitue un contrôle.
L’incertitude est amplifiée par le développement rapide et considérable de la législation canadienne en matière de sanctions en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En outre, comme précisé dans le cadre d’un précédent bulletin (Élargissement important des pouvoirs gouvernementaux en vertu de la législation canadienne sur les sanctions), le Canada a modifié ses lois sur les sanctions en vue de se doter de nouveaux pouvoirs de saisies et de demandes de confiscation de tout bien détenu ou contrôlé directement ou indirectement par une personne faisant l’objet de sanctions, ce qui exacerbe les enjeux en matière d’investissements et de violations potentielles.
En dépit des défis croissants en matière de conformité pour les entreprises canadiennes, le Canada a décidé de mettre en place des contraintes supplémentaires en raison des préoccupations liées au contournement des sanctions, en particulier en ce qui concerne la Russie.
Principales modifications récentes
Nouvelle règle sur les « biens réputés appartenir à une personne »
La nouvelle règle sur les « biens réputés appartenir à une personne » prévoit que si une personne sanctionnée contrôle directement ou indirectement une entité, tout bien possédé, détenu ou contrôlé par l’entité est réputé appartenir à cette personne et est par conséquent assujetti au gel des avoirs et à l’interdiction d’effectuer des transactions. Le contrôle est établi lorsque l’un des trois critères suivants est rempli :
- La personne détient, même indirectement, au moins 50 % des actions ou des titres de participation de l’entité, ou des droits de vote de celle-ci;
- La personne peut, même indirectement, modifier la composition ou les pouvoirs du conseil d’administration de l’entité;
- Il est raisonnable, compte tenu des circonstances, de conclure que la personne peut, même indirectement et par tout moyen, diriger les activités de l’entité.
Si le premier critère est clair et conforme aux interprétations courantes et usuelles de la notion de « contrôle », le deuxième critère soulève des questions. Cela représente un élargissement important de la définition de contrôle et, par conséquent, de la définition de propriété de biens. Pourtant, un actionnaire sanctionné ayant le droit de nommer une minorité de membres du conseil d’administration, ou même un seul membre du conseil d’administration, pourrait, selon ce critère, exercer un « contrôle » sur les activités d’une entreprise.
Le troisième critère constitue une catégorie résiduelle et soulève encore plus de questions. Ce critère introduit essentiellement une disposition de contrôle de fait dans la législation canadienne sur les sanctions. Bien qu’un tribunal canadien se soit penché sur la question du contrôle de fait, comme nous l’avons mentionné dans notre précédent bulletin concernant l’affaire Angophora Holdings Limited, ce critère mérite d’être clarifié davantage. Quelles sont les « circonstances » dont une entreprise canadienne devrait tenir compte pour déterminer si une personne faisant l’objet de sanctions a, par exemple, la capacité indirecte de diriger « par tout moyen » les activités d’une entité?
Nouveaux pouvoirs permettant d’imposer des sanctions secondaires
Les sanctions secondaires ont plus particulièrement été utilisées par les États-Unis pour encourager les tiers à respecter les lois américaines sur les sanctions, sous peine d’être sanctionnés et de se voir interdire l’accès au système financier américain et la possibilité d’effectuer des transactions en dollars américains. Face à l’inquiétude croissante que suscite le contournement des sanctions par la Russie, le Canada a modifié la LMES pour permettre au gouvernement d’imposer des sanctions secondaires. Ce pouvoir permet au Canada d’interdire les transactions avec des personnes qui, tout en étant établies en dehors du principal pays visé par les sanctions, fournissent un soutien ou font affaire avec le pays ou les parties sanctionnés.
Par exemple, la LMES autorise le gouvernement à imposer une interdiction de transactions sur les biens appartenant à des personnes sanctionnées ou sur lesquels elles exercent un contrôle. Avant les modifications, on entendait par ces personnes les États étrangers, les personnes se trouvant dans ces États étrangers et les ressortissants de ces États étrangers ne résidant pas habituellement au Canada. Les modifications élargissent la liste des personnes sanctionnées pour y inclure également « une personne à l’extérieur du Canada qui n’est pas canadienne » (c.-à-d. des tiers qui ne sont pas dans le pays visé). Les récentes sanctions prises par le Canada à l’encontre de la Moldavie visent les personnes qui facilitent ou soutiennent indirectement ceux qui violent le territoire de l’Ukraine (c.-à-d. la Russie ou ses ressortissants).
Conséquences pour les entreprises
La nouvelle règle sur les « biens réputés appartenir à une personne » élargit considérablement le sens de la notion de « contrôle » et, par conséquent, de « propriété », ce qui augmente le risque que des entreprises se trouvent à effectuer des transactions portant sur des biens appartenant à une personne sanctionnée en violation de la LMES. Par conséquent, les entreprises devront élargir la portée de leur diligence raisonnable pour faire face à ce risque accru. Les entreprises peuvent également s’attendre à ce que le Canada continue d’imposer des sanctions secondaires, ce qui représente un autre élargissement important de la portée des lois canadiennes sur les sanctions.