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Recours à des salariés fournis par un sous-traitant ou une agence de personnel : une entreprise cliente avertie en vaut deux

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Bulletin travail, emploi et droits de la personne

Dans CNESST c. PF Résolu Canada inc., 2022 QCCS 4888[1], la Cour supérieure rappelle aux entreprises qui ont recours à des salariés fournis dans le cadre d’un contrat de service ou un contrat de placement de personnel qu’ils peuvent être tenus solidairement responsables des sommes dues aux salariés en cas de contravention aux dispositions de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») ou ses règlements par le sous-traitant ou l’agence de placement de personnel.

Ce jugement récent constitue une des rares applications de l’article 95 de la Loi sur les normes du travail [2]  sur la solidarité entre une entreprise cliente et son sous-traitant dans le contexte d’une réclamation pécuniaire entreprise par la CNESST pour le compte de salariés.

Résumés de faits de l’affaire

Gestion Danis et Frères (4036409 Canada inc.) (« Gestion Danis ») agissait à titre de sous-traitant pour Produits Forestiers Résolu inc. (« PF Résolu ») à l’occasion d’un contrat de service signé en 2013.

Les salariés non syndiqués de Gestion Danis travaillaient suivant le même horaire que les salariés syndiqués de l’entreprise cliente, PF Résolu. Selon la convention collective en vigueur chez PF Résolu, l’horaire de travail était étalé sur deux semaines : 48 heures pour la première semaine et 36 heures pour la deuxième semaine. Les salariés bénéficiaient également d’une pause repas payée d’une heure par jour.

En raison de l’étalement des heures de travail, aucune heure supplémentaire n’est payée. Ainsi, les salariés de Gestion Danis étaient rémunérés aux deux semaines pour un total de 84 heures à taux régulier.

À la suite d’une plainte anonyme, la CNESST effectua une enquête auprès de Gestion Danis. L’enquête révéla que les heures supplémentaires effectuées par les salariés de Gestion Danis n’étaient pas payées conformément aux prescriptions de la LNT. Par conséquent, la CNESST réclama pour le compte des 34 salariés concernés la somme de 114 358,78$, plus la « pénalité » de 20% prévue à la LNT[3].

Étalement des heures non conforme

La Cour supérieure rappelle que l’étalement des heures sur une base autre qu’une base hebdomadaire doit respecter les conditions énoncées à l’article 53 de la LNT. Pour des salariés non syndiqués, l’employeur doit obligatoirement obtenir l’autorisation de la CNESST et la moyenne des heures de travail doit être équivalente à la norme prévue par la loi.

Gestion Danis a appliqué à ses salariés non syndiqués l’étalement des heures prévues à la convention collective visant les salariés syndiqués de PF Résolu, sans toutefois demander ni obtenir une autorisation de la CNESST conformément aux prescriptions de la LNT[4].

En l’absence de cette autorisation, Gestion Danis devait rémunérer les heures supplémentaires par rapport à la semaine de travail normale de 40 heures[5], et non par rapport à l’horaire prévu à la convention collective de PF Résolu. La juge de la Cour supérieure détermine que la somme due en salaire et congé annuel est de 114 358,78$ avec intérêts.

Exemption de la « pénalité » de 20%

La Cour supérieure exempte toutefois Gestion Danis du paiement du montant représentant 20% de la somme due aux salariés conformément à l’article 114 de la LNT.

La jurisprudence a reconnu que l’attribution de ce montant est discrétionnaire. En règle générale, le montant ne sera pas accordé lorsque l’employeur démontre sa bonne foi et qu’il a défendu un point de vue qui, bien qu’erroné, n’était pas déraisonnable[6].

La juge souligne que Gestion Danis a collaboré à l’enquête et que les sommes dues aux titres des heures supplémentaires et congés non payés représentent déjà une somme considérable pour l’employeur.

De plus, il n’y a pas de doute quant à la bonne foi de Gestion Danis. Ce dernier a tout simplement calqué l’horaire de l’entreprise cliente, PF Résolu. La nuance est toutefois la suivante. Contrairement à Gestion Davis, les salariés PF Résolu sont syndiqués et l’article 53 de la LNT permet qu’un étalement des heures soit prévu dans une convention collective sans l’autorisation de la CNESST.

Responsabilité solidaire de l’entreprise cliente

La Cour supérieure indique que l’article 95 alinéa 1 de la LNT est clair et ne souffre d’aucune ambiguïté : dès la signature d’un contrat de sous-traitance, l’entreprise cliente devient solidairement responsable avec son sous-traitant ou son intermédiaire des obligations pécuniaires prévues dans la LNT et ses règlements d’application.

Ayant signé un contrat de service  avec Gestion Danis, PF résolu est solidairement responsable du paiement de la somme due à la CNESST.

Conclusion

La présente affaire souligne l’importance pour une entreprise cliente de vérifier le respect des obligations pécuniaires prévues par la LNT et ses règlements par un sous-traitant ou une agence de placement de personnel. Cette affaire rappelle également que certaines nuances s’appliquent entre salariés syndiqués et salariés non syndiqués lesquelles motivent une analyse plus détaillée des conditions de travail offerte au personnel placé.

Une révision minutieuse des contrats de service ou de placement de personnel et des conditions de travail offertes aux salariés placés, que ce soit avant la signature du contrat, à son renouvellement ou en cours de contrat par l’entremise d’un audit, pourrait contribuer à éviter les problèmes juridiques et à encadrer les coûts.

En outre, pour garantir l’exécution des obligations pécuniaires prévues à la LNT et à ses règlements par le sous-traitant ou l’agence de placement, une entreprise cliente pourrait notamment exiger que la signature du contrat de service ou de placement de personnel soit sujet à une retenue remise suivant la soumission d’une attestation de conformité.

Nous remercions Ali Aziez pour l’appui dans la rédaction de ce billet.


[1] Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail c. PF Résolu Canada inc., 2022 QCCS 4888

[2] RLRQ c N-1.1

[3] Articles 98, 105, 114 et 115 LNT.

[4] Articles 39 par. 12 et 53 LNT.

[5] Article 52 LNT

[6] Commission des normes du travail c. IEC Holden Inc., 2014 QCCA 1538

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Auteurs

  • Yves Turgeon, Associé, Montréal, QC, +1 514 397 7575, yturgeon@fasken.com
  • Elisabeth Bouffard, Avocate, Québec, QC, +1 418 640 2043, ebouffard@fasken.com

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