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Article de blogue | Chronique concurrentielle

Le Bureau Publie de Nouvelles Lignes Directrices Sur L’Abus de Position Dominante

Fasken
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Le 23 juin 2022, le projet de loi C-19, aussi appelé la Loi no 1 d’exécution du budget de 2022 (la « LEB »), a reçu la sanction royale. Comme nous l’avons expliqué dans notre billet de blogue précédent intitulé « Significant Amendments to Competition Act Coming Soon », la LEB a apporté d’importantes modifications à la Loi sur la concurrence (la « Loi »), notamment en ce qui concerne l’abus de position dominante. Ces modifications sont entrées en vigueur en juin 2022. Le 25 octobre 2023, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a publié un bulletin provisoire traitant de son approche à l’égard des modifications de juin 2022 relatives à l’abus de position dominante (le « Bulletin provisoire »). Ce billet de blogue résume ces nouvelles lignes directrices.

En guise de contexte, l’abus de position dominante (article 79 de la Loi) survient lorsque i) une entreprise dominante ou un groupe d’entreprises dominant ii) se livre à une pratique d’agissements anticoncurrentiels, iii) de sorte que la concurrence est, a été ou sera vraisemblablement empêchée ou diminuée sensiblement dans un marché. L’article 78 de la Loi dresse une liste non exhaustive d’exemples d’agissements anticoncurrentiels. Les demandes fondées sur les dispositions relatives à l’abus de position dominante sont examinées uniquement par le Tribunal de la concurrence (le « Tribunal »). Lorsque les trois conditions prévues à l’article 79 sont réunies, le Tribunal peut interdire la pratique d’agissements anticoncurrentiels et, en outre, enjoindre à l’entreprise dominante de payer une sanction administrative pécuniaire (« SAP ») ou de prendre toute mesure raisonnable et nécessaire pour enrayer les effets de la pratique d’agissements anticoncurrentiels.

La LEB contient un certain nombre de modifications aux dispositions relatives à l’abus de position dominante, y compris : i) l’introduction d’une définition d’« agissement anticoncurrentiel »; ii) l’élargissement de la liste des agissements anticoncurrentiels figurant à l’article 78; iii) la spécification des facteurs qui seront pris en compte dans l’évaluation des effets de la concurrence; iv) la création de droits d’accès privé au Tribunal pour abus de position dominante; et v) le renforcement des SAP pouvant s’appliquer à une violation des dispositions relatives à l’abus de position dominante.

Définition du terme « agissement anticoncurrentiel »

Selon la LEB, « agissement anticoncurrentiel » s’entend de « tout agissement destiné à avoir un effet négatif visant l’exclusion, l’éviction ou la mise au pas d’un concurrent, ou à nuire à la concurrence ». Particulièrement, la jurisprudence qui découle des dispositions relatives à l’abus de position dominante a historiquement établi qu’un « agissement anticoncurrentiel » est une action destinée à évincer, à exclure ou à mettre au pas un concurrent, ou à nuire à la concurrence sur un marché pertinent. Ainsi, les modifications codifient cette définition déjà acceptée, et colmatent également une prétendue « brèche » dont pourraient profiter les entreprises dominantes pour échapper à l’examen lorsque leur conduite affaiblit la concurrence, mais n’a pas d’effet négatif sur un concurrent.

Le Bulletin provisoire indique que, de façon générale, le Bureau continuera d’appliquer son analyse actuelle pour cerner les agissements anticoncurrentiels, notamment en tenant compte des éléments de preuve subjectifs de l’intention, des conséquences raisonnablement prévisibles de l’agissement et de toute justification favorisant la concurrence ou l’efficience.

En ce qui a trait au nouvel article énonçant la définition (un agissement destiné à « nuire à la concurrence »), le Bulletin provisoire souligne qu’il faut considérer qu’il vise « toute forme de comportement ayant pour but d’affecter négativement le processus concurrentiel », comme un « comportement qui atténue la concurrence, au profit d’un ou de plusieurs concurrents », un comportement qui réduit la capacité ou la volonté des entreprises à se faire concurrence ou un comportement qui rend le parallélisme conscient « plus probable ou efficace » ou qui facilite autrement la coordination. À titre d’exemple, selon le Bulletin provisoire, il peut s’agir de ce qui suit :

  • Les accords entre concurrents (comme les contrats de licence ou les ententes de coentreprise).
  • La divulgation de renseignements de nature délicate du point de vue de la concurrence (notamment, une entreprise qui décide unilatéralement de communiquer des renseignements; des entreprises qui se communiquent mutuellement des renseignements de nature délicate du point de vue de la concurrence; la communication de renseignements de nature délicate du point de vue de la concurrence par l’entremise d’intermédiaires comme des associations commerciales, des coentreprises ou des développeurs d’algorithmes d’établissement des prix, ou au moyen de clauses d’alignement sur la concurrence qui donnent lieu à une connaissance mutuelle des décisions en matière de prix).
  • Les contrats faisant référence à des rivaux ou qui dépendent de ceux-ci (c.-à-d. contenant des clauses qui se rapportent à une relation commerciale différente impliquant au moins l’une des deux parties contractantes, comme les clauses NPF, les clauses de parité des prix, les clauses de non-discrimination ou les clauses d’alignement sur la concurrence).
  • Les acquisitions en série.

    Cela signifie notamment que dans les cas où un accord ne pouvait auparavant faire l’objet d’un examen qu’en vertu de l’article 90.1 de la Loi (dispositions relatives aux ententes de collaboration entre concurrents pouvant faire l’objet d’un examen civil), le Bureau peut désormais, dans certains cas, choisir d’intenter un recours en vertu de l’article 79, qui prévoit des mesures correctives plus importantes, y compris des SAP potentiellement très élevées. De plus, dans le contexte d’une série de fusions (dont chacune, prise isolément, ne peut être considérée comme problématique en vertu des dispositions de la Loi relatives à l’examen des fusions), le Bureau peut choisir de procéder à un examen en vertu des dispositions relatives à l’abus de position dominante. Le Bulletin provisoire indique également que, dans certains cas, le Bureau peut examiner un comportement en vertu de plusieurs dispositions de la Loi simultanément.

    Enfin, le Bulletin provisoire indique que les comportements visant à nuire à la concurrence peuvent être particulièrement importants dans les situations où plusieurs entreprises occupent une position dominante conjointe. À cet égard, le Bulletin provisoire souligne qu’un comportement de dominance conjointe peut entraîner l’application des dispositions sur l’abus de position dominante, qu’il soit ou non coordonné entre les entreprises conjointement dominantes. Plus particulièrement, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un accord entre les entreprises concernant leur comportement, bien qu’un tel accord puisse être déterminant pour l’analyse du Bureau. Par exemple, selon le Bulletin provisoire, un comportement de dominance conjointe peut entraîner l’application des dispositions sur l’abus de position dominante dans les cas suivants : i) plusieurs entreprises s’entendent pour adopter un comportement anticoncurrentiel; ii) il y a un accord entre entreprises, ce qui constitue en soi un comportement anticoncurrentiel, comme indiqué ci-dessus; iii) une entreprise reconnaît à juste titre que si elle adopte un comportement anticoncurrentiel, ses concurrents feront certainement de même.

Liste des agissements anticoncurrentiels

Les modifications ont élargi la liste des agissements anticoncurrentiels figurant à l’article 78 de la Loi pour y inclure « la réponse sélective ou discriminatoire à un concurrent actuel ou potentiel, visant à entraver ou à empêcher l’entrée ou l’expansion d’un concurrent sur un marché ou à l’éliminer du marché ».

Bien qu’il soit reconnu dans le Bulletin provisoire que le nouvel exemple clarifie le champ d’application de l’article 78, il est mentionné que la liste figurant à l’article 78 a toujours été non exhaustive et que le Bureau estime que les dispositions sur l’abus de position dominante s’appliquaient auparavant à ce type de comportement. Ainsi, le Bureau est d’avis que cette modification n’élargit pas le champ d’application des dispositions relatives à l’abus de position dominante.

Facteurs pertinents pour l’évaluation des effets sur la concurrence

Les modifications ont ajouté une liste de facteurs qui peuvent être pris en considération au moment de déterminer si une pratique a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur un marché. Ces facteurs comprennent les suivants : a) les entraves à l’accès au marché, y compris les effets de réseau; b) tout effet de la pratique sur la concurrence hors prix ou par les prix, notamment la qualité, le choix ou la vie privée des consommateurs; c) la nature et la portée des changements et des innovations dans tout marché pertinent; et d) tout autre facteur pertinent qui est relatif à l la concurrence dans le marché et qui est ou serait touché par la pratique.

Il convient de souligner que le Bureau (et les tribunaux) prenait déjà en considération ces facteurs dans le cadre de son analyse au titre des dispositions relatives à l’abus de position dominante. En fait, plusieurs de ces facteurs figuraient dans des directives antérieures du Bureau. Or, au même titre que la liste élargie d’agissements anticoncurrentiels susmentionnée, le Bulletin provisoire confirme que ces modifications ne changent pas l’approche du Bureau en matière d’application de la loi.

Particulièrement, en ce qui concerne la protection de la vie privée des consommateurs, il est également confirmé dans le Bulletin provisoire que le Bureau ne considère pas l’introduction de la notion de « vie privée des consommateurs » au point b) comme créant un nouvel objet autonome de la Loi (p. ex., la protection de la vie privée), mais confirme simplement que la protection de la vie privée constitue une caractéristique importante de la qualité d’un produit à l’égard de laquelle les entreprises peuvent se livrer concurrence. 

Autres modifications

Les modifications ont également augmenté le montant des SAP disponibles en cas de violation des dispositions relatives à l’abus de position dominante et ont introduit un droit d’accès privé au titre duquel les parties privées peuvent désormais demander au Tribunal de la concurrence l’autorisation de soumettre une demande en vertu des dispositions sur l’abus de position dominante (avant les modifications, seul le commissaire de la concurrence pouvait réclamer réparation devant le Tribunal pour abus de position dominante).

Le Bulletin provisoire ne fournit pas d’orientations de fond actualisées concernant ces modifications.  En ce qui concerne l’obtention de SAP, le Bulletin provisoire confirme que le Bureau continuera à prendre en compte les mêmes principes que précédemment. Quant aux nouveaux droits d’accès privé, le Bulletin provisoire indique que ses orientations actuelles sur l’accès privé en vertu d’autres dispositions de la Loi s’appliquent.

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Le Bulletin provisoire fait l’objet d’une consultation publique et les commentaires à cet égard peuvent être soumis au Bureau en tout temps avant le 24 décembre 2023. Des commentaires peuvent être transmis par courrier, ou au moyen du formulaire de commentaires en ligne.

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Si vous avez des questions concernant les modifications apportées à la Loi sur la concurrence, vous pouvez communiquer avec tout membre du groupe Concurrence, commercialisation et investissements étrangers de Fasken. Notre groupe a conseillé de nombreux clients sur tous les aspects du droit canadien en matière de concurrence.

Les renseignements et les conseils fournis dans cet article ne constituent pas un avis juridique et ne devraient pas être considérés comme tels. Si vous avez besoin de conseils juridiques, veuillez communiquer avec un membre du groupe Concurrence, commercialisation et investissements étrangers de Fasken.

 

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Auteurs

  • Robin Spillette, Avocate | Concurrence, commercialisation et investissements étrangers, Toronto, ON, +1 416 868 7817, rspillette@fasken.com
  • Chris Margison, Avocat-conseil | Concurrence, commercialisation et investissements étrangers, Toronto, ON, +1 416 943 8975, cmargison@fasken.com

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