Le 21 novembre 2023, le gouvernement fédéral a publié son Énoncé économique de l’automne 2023 (l’« Énoncé économique »). L’Énoncé économique précise le plan à volets multiples du gouvernement fédéral visant à améliorer le logement au Canada, à soutenir la classe moyenne, à renforcer l’économie et à établir un secteur financier stable. De plus, l’Énoncé économique expose la volonté du gouvernement fédéral de renforcer la concurrence au Canada au moyen de modifications proposées à la Loi sur la concurrence (la « Loi »). Plus particulièrement, l’Énoncé économique traite des changements visant à sévir contre les abus allégués de grandes entreprises en position dominante, à moderniser l’examen des fusions, à protéger les consommateurs contre les déclarations trompeuses et à permettre aux entités privées d’engager des poursuites judiciaires liées à des pratiques anticoncurrentielles. Selon l’Énoncé économique, ces modifications « permettront au Canada de s’aligner sur les meilleures pratiques internationales afin de s’assurer que les marchés au pays favorisent l’équité, des prix abordables et l’innovation ».
Certaines des modifications proposées dans l’Énoncé économique sont actuellement incluses dans le projet de loi C-56 (qui en est à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes et dont il a été question dans notre billet de blogue précédent intitulé « Proposed Amendments to the Competition Act receive first reading in House of Commons »). D’autres modifications proposées (présentées sommairement) sont nouvelles et résumées ci-dessous, accompagnées des points importants à retenir pour les entreprises :
- Abus de position dominante : L’Énoncé économique propose des modifications pour « [r]enforcer les outils et les pouvoirs dont dispose le Bureau de la concurrence pour lui permettre de sévir contre les abus des grandes entreprises en position dominante, comme la pratique de prix abusif ». Notamment, l’abus de position dominante a fait l’objet d’une attention soutenue lors de la consultation sur la modernisation de la Loi. Bien que cet objectif soit confirmé par l’inclusion de cette question dans l’Énoncé économique, ce dernier n’indique pas clairement quels changements le gouvernement fédéral envisage d’apporter pour « renforcer » les dispositions existantes sur l’abus de position dominante.
Cela dit, bien que le texte actuel du projet de loi C-56 ne comprenne pas de modifications aux dispositions relatives à l’abus de position dominante, une motion présentée à la Chambre des communes le 16 novembre 2023 (la « Motion ») laisse entendre que le texte du projet de loi C-56 sera modifié pour « réviser le critère juridique pour une ordonnance d’interdiction d’un abus de position dominante afin qu’il soit respecté si le Tribunal conclut qu’un acteur dominant s’est livré à une pratique d’agissements anticoncurrentiels ou à un comportement autre qu’un rendement concurrentiel supérieur qui a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché pertinent ». À la simple lecture, il semble que cette modification proposée au projet de loi C-56 signifierait que l’abus de position dominante exigerait seulement que le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») démontre soit une pratique d’agissements anticoncurrentiels (ce qui comprend une intention anticoncurrentielle), soit un effet anticoncurrentiel (comme un empêchement ou une diminution sensibles de la concurrence). Cette interprétation se trouve en dichotomie avec la version actuelle de la disposition relative à l’abus de position dominante, qui exige à la fois une intention et des effets anticoncurrentiels.
Toutefois, l’Énoncé économique fait aussi expressément mention de prix abusifs, ce qui laisse entendre que le gouvernement fédéral pourrait envisager d’autres changements aux dispositions sur l’abus de position dominante, ou à d’autres dispositions sur les comportements unilatéraux, en plus des changements dont il est question dans la Motion.
- Examen des fusions :L’Énoncé économique propose des modifications pour « [m]oderniser davantage l’examen des fusions, notamment en donnant au Bureau de la concurrence les moyens de mieux détecter et traiter les “acquisitions anticoncurrentielles” et les autres fusions anticoncurrentielles ».
En dehors de l’élimination de la défense fondée sur les gains en efficience, le projet de loi C-56 ne propose aucune modification des dispositions sur les fusions. Toutefois, le rapport du gouvernement, qui résume la consultation de ce dernier sur les modifications à la Loi (le « Rapport de consultation »), fait état d’un certain nombre de changements qui pourraient être envisagés pour traiter de la question des acquisitions dites « anticoncurrentielles ». Ceux-ci comprennent la modification du critère de fond pour l’examen des fusions quant aux préjudices futurs (permettant au Bureau d’« agir en cas de préjudice moins prévisible, avant qu’il ne soit trop tard pour exercer tout autre recours en vertu de la Loi »), de modifier les règles entourant les préavis de fusion pour viser les séries d’acquisitions de moindre importance qui pourraient échapper individuellement aux exigences de préavis (c.-à-d. de la « stratégie d’acquisition progressive »), ou de prolonger la période après la clôture au cours de laquelle le Bureau peut examiner une transaction.
Toutefois, tant que le gouvernement fédéral n’aura pas fourni d’autres précisions, on ne saura pas si ces changements, le cas échéant, sont envisagés sérieusement.
- Publicité trompeuse :L’Énoncé économique propose des modifications pour « [r]enforcer la protection des consommateurs, des travailleurs et de l’environnement, y compris l’interdiction de déclarations trompeuses en matière d’“écoblanchiment”, en mettant davantage l’accent sur les répercussions sur les travailleurs dans l’analyse de la concurrence ».
Bien que l’« écoblanchiment » soit actuellement visé par les dispositions générales de la Loi relatives aux indications fausses ou trompeuses, la modification proposée laisse entendre que le gouvernement fédéral pourrait envisager des modifications qui touchent plus expressément l’écoblanchiment (comme les modifications de 2022 de la Loi qui reconnaissaient explicitement l’indication de prix partiel comme une forme de publicité trompeuse, avant lesquelles l’indication de prix partiel était considérée comme visée par les dispositions générales de la Loi relatives aux indications fausses ou trompeuses). Bien que le projet de loi C-56 ne contienne aucune proposition de modification portant sur la protection de l’environnement, cette question est examinée dans le Rapport de consultation, des intervenants ayant suggéré l’adoption de règles précises sur l’écoblanchiment.
Il convient également de souligner que l’Énoncé économique fait état de protections accrues pour « les consommateurs, les travailleurs et l’environnement ». Il en ressort que les modifications envisagées vont peut-être au-delà des dispositions de la Loi relatives aux indications fausses ou trompeuses, et pourraient inclure d’autres types d’interdictions.
- Collaborations entre concurrents susceptibles de faire l’objet d’un recours civil :L’Énoncé économique propose des modifications pour « [d]onner les moyens au commissaire de la concurrence d’élargir les types de collaborations anticoncurrentielles qu’il examine et de trouver des solutions efficaces pour veiller à ce que les comportements préjudiciables ne se répètent pas ».
À l’heure actuelle, le projet de loi C-56 comprend des modifications ciblées qui, du moins potentiellement, répondent à cette proposition. La modification proposée dans le projet de loi C‑56 élargirait les dispositions de la Loi sur la collaboration entre les concurrents (qui ne s’appliquent actuellement qu’aux collaborations entre concurrents ou concurrents potentiels) pour englober également les collaborations entre des parties qui ne sont pas des concurrents, dans la mesure où un « objet important » de l’accord ou de l’entente est anticoncurrentiel (notamment, les modifications proposées n’expliquent pas dans quelles circonstances un objectif anticoncurrentiel serait considéré comme un « objet important »). Ainsi, les dispositions relatives à la collaboration entre concurrents pourraient s’appliquer à pratiquement tous les accords commerciaux, y compris les accords avec les clients et les fournisseurs.
Cela dit, il ne s’agit peut-être pas de l’étendue des modifications à laquelle on doit s’attendre dans ce domaine. Notamment, l’Énoncé économique fait référence à des modifications permettant des « solutions efficaces » en lien avec les collaborations entre concurrents. À l’heure actuelle, les seules solutions possibles sont des ordonnances d’interdiction ou des mesures de redressement moyennant le consentement de toutes les parties. De plus, le Rapport de consultation souligne que l’« approche du Canada concernant plusieurs aspects de l’examen des collaborations entre concurrents est nettement en décalage par rapport à la pratique internationale ».
- Accès privé : L’Énoncé économique propose des modifications pour « [é]largir la portée de la loi en permettant à un plus grand nombre de parties privées de porter des affaires devant le Tribunal de la concurrence et de recevoir un paiement si elles obtiennent gain de cause ».
À l’heure actuelle, les droits privés d’action ne sont disponibles que pour un nombre limité de dispositions civiles de la Loi, et les parties privées ne sont pas autorisées à demander des dommages-intérêts. L’Énoncé économique suggère des modifications qui élargiraient la possibilité d’exercer des droits privés d’action et permettraient aux parties privées de demander des dommages-intérêts.
- Frais juridiques accordés :L’Énoncé économique propose des modifications pour « [v]eiller à ce que les frais juridiques accordés lors du règlement d’une affaire n’interdisent pas une défense solide de la concurrence ».
On peut supposer que la modification proposée tient compte de la possibilité que le commissaire de la concurrence soit condamné à payer des dépens importants découlant d’une décision défavorable devant le Tribunal de la concurrence. L’Énoncé économique suggère un traitement particulier pour le commissaire en tant que partie à un litige.
- Droit à la réparation : L’Énoncé économique propose des modifications pour « empêcher les fabricants de refuser de fournir les moyens de réparer des appareils et des produits de manière anticoncurrentielle ».
À cet égard, l’Énoncé économique mentionne que « des gens au pays sont frustrés, car ils doivent jeter des biens qu’ils ne peuvent pas faire réparer adéquatement » et que le fait de « jeter ces biens de valeur entraîne un gaspillage d’argent et crée plus de déchets inutiles pour les sites d’enfouissement ».
Des lois sur le « droit à la réparation » existent déjà dans d’autres pays. Elles visent à assurer que les consommateurs peuvent faire entretenir ou réparer des appareils par des entreprises indépendantes (c.-à-d. des entreprises qui ne sont pas le fabricant d’origine). Par exemple, ces lois exigent des fabricants qu’ils mettent à la disposition des ateliers de réparation indépendants et des consommateurs, à des prix justes et raisonnables, les pièces, les outils et les documents nécessaires au diagnostic, à l’entretien et à la réparation des appareils électroménagers et électroniques grand public.
Les lois sur le « droit à la réparation » soulèvent parfois la controverse. Elles peuvent déboucher sur de vastes théories du préjudice, selon lesquelles les autorités d’application de la loi et les demandeurs privés ciblent des fabricants de produits en raison de politiques et de pratiques qui « influencent » prétendument la façon dont les consommateurs peuvent réparer ces biens, malgré des justifications commerciales convaincantes.
Si vous avez des questions concernant le processus actuel de modification de la Loi sur la concurrence, vous pouvez communiquer avec tout membre du groupe Concurrence, commercialisation et investissements étrangers de Fasken. Notre groupe a conseillé de nombreux clients sur tous les aspects du droit canadien en matière de concurrence.
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