Après le Québec et la Colombie-Britannique, Ottawa prévoit créer un registre public des particuliers ayant un contrôle important.
Le gouvernement du Canada a adopté un projet de loi qui met en place un registre fédéral public des particuliers ayant un contrôle important. À compter du 22 janvier 2024, les sociétés fermées régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») devront inscrire le contenu de leur registre des particuliers ayant un contrôle important (le « registre des PCI ») auprès de Corporations Canada et certains des renseignements inscrits au registre des PCI seront accessibles au public.
Depuis juin 2019, les sociétés fermées de régime fédéral sont tenues de créer et de tenir à jour un registre des PCI. L’objectif de tels registres est d’accroître la transparence des entreprises pour aider à lutter contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes (voir « Projet de loi C-86 : Nouvelles obligations de tenue de livres applicables à toutes les sociétés fermées constituées sous le régime de la LCSA »). Présentement, seuls les autorités fiscales, les corps policiers, certains organismes de réglementation, les actionnaires et les créanciers de sociétés régies par la LCSA ont accès au contenu des registres des PCI.
Le projet de loi C-42 : Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions [...] (le « projet de loi C-42 »), qui entrera intégralement en vigueur le 22 janvier 2024, mettra en œuvre une proposition du gouvernement fédéral datant de 2022 visant à créer un registre fédéral public (le « registre fédéral », voir « Pour une transparence totale : un registre public national de la propriété effective est proposé dans le budget fédéral de 2022 »).
L’introduction d’un tel registre au fédéral fait suite à des développements similaires au Québec (voir « Projet de loi 78 : quel impact pour les entreprises? ») et en Colombie-Britannique (voir « Avancer toujours plus loin vers l’inconnu : le registre de transparence des sociétés de Colombie-Britannique sera ouvert au public » [en anglais seulement]). En revanche, elle survient au moment même où d’autres entités politiques commencent à restreindre l’accès du public aux informations sur la propriété bénéficiaire. Fin 2022, par exemple, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé invalide l’accès public aux informations sur la propriété bénéficiaire en Europe, estimant qu’il interférait avec les droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données (voir l’arrêt de la Cour).
Toutes les sociétés régies par la LCSA sont assujetties aux nouvelles exigences relatives au registre des PCI, et même celles qui sont dispensées de déposer des renseignements sur les particuliers ayant un contrôle important devront toujours produire une confirmation annuelle de cette dispense.
Le nouveau registre fédéral
Actuellement, les sociétés fermées régies par la LCSA doivent tenir et revoir au moins une fois par un registre des PCI, établissant l’identité de tous les particuliers ayant un contrôle important sur la société. Cela inclut :
- les particuliers qui sont des détenteurs inscrits ou ont la propriété effective d’un nombre important d’actions de la société;
- les particuliers qui exercent un contrôle direct ou indirect ou ont la haute main sur un nombre important d’actions de la société; et
- les particuliers qui exercent, le cas échéant, une influence directe ou indirecte ayant pour résultat le contrôle de fait de la société.
En vertu du projet de loi C-42, chaque société fermée régie par la LCSA doit déposer les renseignements figurant à son registre des PCI auprès de Corporations Canada :
- au moment de la constitution, et après une fusion ou une prorogation sous le régime de la LCSA;
- sur une base annuelle (en même temps que le dépôt du rapport annuel de la société); et
- dans les 15 jours suivant chaque mise à jour de son registre des PCI.
Les modalités et la forme de ces dépôts seront déterminées par Corporations Canada.
Manquement à l’obligation de dépôt au registre fédéral : nouveaux mécanismes d’application de la loi
Aux termes du projet de loi C-42, l’administrateur ou le dirigeant d’une société qui, sciemment, autorise ou permet que la société contrevienne à ses obligations en ce qui concerne le contenu du registre des PCI ou consent à ce qu’elle y contrevienne commet une infraction. Les obligations auxquelles l’infraction s’applique sont celles d’établir et de tenir un registre des PCI, ainsi que celle de communiquer les renseignements y figurant à tout organisme d’enquête qui en fait la demande conformément à la LCSA. Le projet de loi C-42 ajoute l’obligation de fournir à Corporations Canada le contenu du registre des PCI de la société. Cette infraction est passible d'une amende pouvant atteindre 1 million de dollars sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et d'un emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans, ou l’une de ces peines.
Corporations Canada peut également refuser de délivrer un certificat d’existence (et vraisemblablement un certificat de conformité) à une société fermée de régime fédéral qui ne respecterait pas ses obligations de dépôt au registre fédéral. Ces certificats étant souvent nécessaires pour obtenir du financement ou conclure d’autres opérations commerciales, le fait de ne pas déposer les renseignements voulus au registre fédéral ou de ne pas les tenir à jour pourrait aussi avoir de graves conséquences économiques pour une société fermée régie par la LCSA.
Le projet de loi C-42 habilite Corporations Canada à procéder à une enquête sur le respect par quiconque des dispositions relatives à la communication de l’identité des particuliers ayant un contrôle important ou à exiger la confirmation du contenu du registre des PCI d’une société par affidavit ou déclaration solennelle.
Si une société régie par la LCSA ne remplit pas ses obligations de dépôt au registre fédéral dans les 30 jours suivant une fusion ou une prorogation sous le régime de la LCSA, Corporations Canada peut assujettir cette société à une dissolution administrative. Une société régie par la LCSA peut également faire l’objet d’une dissolution involontaire de la part de Corporations Canada si elle omet de déposer les renseignements contenus dans son registre des PCI auprès de Corporations Canada en même temps qu’elle dépose son rapport annuel.
Un registre fédéral ouvert au public
Corporations Canada a indiqué que le nouveau registre fédéral sera publié sur son site Web. Pour chaque société fermée régie par la LCSA, le public pourra obtenir les informations suivantes sur un particulier ayant un contrôle important :
- son nom légal complet;
- son adresse résidentielle (sauf si le particulier a fourni à la société une adresse aux fins de signification);
- son adresse aux fins de signification (si le particulier l’a fournie);
- la date à laquelle il est devenu ou a cessé d’être un particulier ayant un contrôle important; et
- une description de la condition en vertu de laquelle il est un particulier ayant un contrôle important, y compris, le cas échéant, une description de ses intérêts et de ses droits relativement aux actions de la société.
Les particuliers ayant un contrôle important qui ne souhaitent pas que leur adresse résidentielle soit accessible au public doivent donc fournir une adresse aux fins de signification pour inscription au registre des PCI.
Avec l’introduction du registre fédéral, l’accès des actionnaires et des créanciers aux registres des PCI des sociétés fermées régies par la LCSA serait aboli, car il deviendrait caduc.
Corporations Canada pourrait aussi fournir le contenu complet ou partiel du registre fédéral aux registres provinciaux des sociétés, aux ministères ou aux agences responsables du droit des sociétés dans chaque province.
Des protections pour les particuliers ayant un contrôle important
Le projet de loi C-42 offre certaines protections de la vie privée aux particuliers ayant un contrôle important, en interdisant au public l’accès aux informations susmentionnées dans certains contextes :
- le particulier ayant un contrôle important est âgé de moins de 18 ans;
- si Corporations Canada, à la demande d’un particulier ayant un contrôle important, est convaincu de l’incapacité du particulier;
- si Corporations Canada, à la demande d’un particulier ayant un contrôle important, a de bonnes raisons de croire que le rendre ainsi accessible présente ou présenterait une menace sérieuse à la sécurité du particulier; ou
- le particulier ayant un contrôle important est titulaire d’une charge publique et la divulgation d’informations confidentielles contreviendrait à la Loi sur les conflits d’intérêts ou à une loi provinciale similaire.
Corporations Canada est tenu de publier un avis de toute décision accordant à une demande de dérogation à l’obligation de rendre publiques des informations.
Des protections pour les lanceurs d’alerte
Corporations Canada n’a pas le droit de publier toute information dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle révèle l’identité d’un lanceur d’alerte, sauf avec le consentement de ce dernier ou dans le cadre d’une enquête menée par la police, l’Agence du revenu du Canada et le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le « CANAFE »). Ces protections comprennent des dispositions définissant des actes répréhensibles relativement aux registres des PCI et au registre fédéral. Toutefois, en dehors de ces protections, les organismes chargés de l’application de la loi et le CANAFE auront accès aux renseignements du registre des PCI, qu’ils soient ou non rendus publics.
Nouvelles exigences en matière de rapports et de mise à jour des registres des PCI
En vertu du projet de loi C-42, les sociétés fermées assujetties à la LCSA doivent faire des efforts raisonnables pour obtenir des renseignements supplémentaires sur les particuliers ayant un contrôle important et devront communiquer les renseignements sur les particuliers figurant dans leur registre des PCI, à savoir :
- leur adresse résidentielle;
- leur adresse aux fins de signification (au choix de chaque particulier concerné); et
- leur citoyenneté.
En outre, les sociétés fermées régies par la LCSA sont tenues de prendre des mesures raisonnables pour s’assurer d’avoir identifié tous les PCI et de s’assurer que les renseignements inscrits à leur registre des PCI sont exacts, exhaustifs et à jour :
- au moins une fois par an;
- à la demande de Corporations Canada; et
- aux autres moments prévus par un règlement à venir.
Fiducies
Si une fiducie détient ou contrôle 25 % ou plus des actions d’une société régie par la LCSA, chacun des particuliers qui contrôlent la fiducie est considéré comme un particulier ayant un contrôle important et doit être inscrit au registre des PCI de la société. Les particuliers qui contrôlent une fiducie sont ceux qui jouent un certain rôle, notamment :
- le fiduciaire;
- les bénéficiaires;
- tout autre particulier qui a le pouvoir de contrôler ou qui contrôle la fiducie (il peut s’agir de la personne qui crée la fiducie).
Avoir le contrôle d’une fiducie signifie avoir le pouvoir d’orienter ou d’influencer la gestion de la fiducie, y compris la façon dont un fiduciaire gère les droits des actionnaires, par exemple en ayant le droit :
- de nommer ou de destituer un fiduciaire;
- d’orienter la distribution des fonds ou des actifs;
- d’orienter la prise des décisions d’investissement à l’égard de la fiducie;
- de modifier le document de fiducie; ou
- de mettre fin à la fiducie.
Les prochaines étapes
Le projet de loi C-42 entrera intégralement en vigueur le 22 janvier 2024. Nous vous tiendrons informés de tout nouveau développement à cet égard.
D’ici là, si vous avez des questions sur le registre fédéral et ses effets sur votre société ou sur les registres des PCI ou si vous avez besoin d’aide pour établir ou tenir à jour le registre des PCI de votre société, veuillez communiquer avec :
- Dierk Ullrich (Colombie-Britannique)
- Brendan Sawatsky (Alberta)
- Émilie Clairoux et Guillaume Saliah (Québec)