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Commentaire sur la décision Succession de Gardère c. Gardère – La responsabilité d'une succession quant aux frais afférents aux legs particuliers

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Bulletin litiges et résolution de conflits

Introduction

De manière générale, les légataires particuliers ne sont pas tenus aux dettes de la succession. Ce principe n'étant pas d'ordre public [1] , le testateur peut cependant déroger à cette règle générale prévue par l'article 739 du Code civil du Québec (le « C.c.Q. ») et ainsi prévoir que certaines dettes de la succession incombent aux légataires particuliers.

Dans la décision Succession de Gardère c. Gardère [2], rendue en août 2023, la Cour supérieure offre un rappel intéressant quant à la responsabilité de certains frais relatifs aux droits et biens faisant l'objet de legs particulier. D'abord, elle vient clarifier que les charges relatives à une maison, dont le droit d'occupation fût légué temporairement, seront à la charge des légataires particuliers, tant qu'ils exerceront ce droit d'usage seulement dans le cas où le testament le prévoit clairement. De plus, la Cour précise que les frais relatifs à un condominium ne deviennent la responsabilité des légataires particuliers qu'au moment où la saisine du liquidateur prend fin, soit au moment de la délivrance des biens aux légataires particuliers. En se basant sur les mêmes principes de droit, la Cour conclut également que seule la succession est responsable du gain en capital imposable suite à la disposition réputée du condominium, en l'absence de disposition testamentaire contraire.

Les faits

Le demandeur est le conjoint de feu Patricia Benodin Gardère (la « défunte »), décédée en septembre 2021 d'un cancer. Il agit dans ce dossier en sa qualité de liquidateur de la succession de la défunte (la « succession ») dont leurs deux filles mineures sont les légatrices universelles (les « héritières »). Il réclame aux défendeurs, parents de la défunte, au nom de la succession le remboursement de certaines dépenses en lien avec deux legs particuliers dont ils sont les bénéficiaires ainsi que des dommages-intérêts. Le demandeur requiert également que certaines ordonnances soient prononcées contre les défendeurs.

Le 8 septembre 2021, quelques heures seulement avant son décès, la défunte a signé un testament notarié (le « testament »), alors qu'elle était hospitalisée et gravement malade. Le testament n'est pas contesté, malgré les circonstances entourant sa signature. Cependant, deux legs particuliers faits aux défendeurs provoquent un différend entre les parties. Le premier concerne un droit d'occupation d'une maison (la « maison ») d'une durée de deux ans alors que le second est un legs à titre particulier d'un condominium (le « condo »).

Au départ, le condo était la propriété des défendeurs et servait de résidence familiale à ces derniers et à la défunte. En février

2014, le condo fut cédé par voie de donation à la défunte. Lorsque la défunte acquiert la maison en août 2014, la famille y emménage et le condo est alors loué à des tiers ou sert à loger des visiteurs. Il demeure inoccupé depuis juillet 2021. La défunte a habité la maison avec les défendeurs jusqu'au moment où elle fait vie commune avec le demandeur dans l'appartement de ce dernier.

Tout d'abord, les parties ne s'entendent pas quant à la responsabilité pour les frais engagés par la succession en relation avec la maison durant l'exercice du droit d'occupation des défendeurs. Ensuite, leurs positions divergent quant à la responsabilité pour les frais engagés par la succession pour conserver le condo et pour l'impôt sur le gain en capital qui résulte de la disposition réputée de ce bien au moment du décès de la défunte.

La décision

A. Les dépenses relatives à la maison

À la suite du décès de la défunte, les défendeurs exercent leur droit d'occupation de la maison sans payer les frais, dont les versements hypothécaires mensuels, les taxes scolaires et municipales ainsi que l'assurance habitation.

Or, le testament est limpide et ne prête pas à interprétation selon la Cour. Les défendeurs bénéficient du droit d'occuper la maison pour une période maximale de deux ans, mais en revanche ils doivent supporter les charges relatives à celle-ci tant qu'ils exerceront ce droit d'usage. Il s'agit ainsi d'une dérogation claire au principe prévu au second alinéa de l'article 739C.c.Q., qui est permise en vertu de l'article 737 C.c.Q.

En effet, le deuxième alinéa de l'article 739 C.c.Q. prévoit au sujet du légataire particulier qui accepte le legs qu’ « il n'est pas tenu des obligations du défunt sur ces biens, à moins que les autres biens de la succession ne suffisent pas à payer les dettes ; en ce cas, il n'est tenu qu'à concurrence de la valeur des biens qu'il recueille ». Pour sa part, l'article 737 C.c.Q. précise qu'il ne s'agit pas d'une règle d'ordre public. En conséquence, le testateur peut déroger dans son testament à cette règle, à la condition de le faire clairement, comme c'était le cas en l'espèce.

La Cour confirme donc que les défendeurs sont responsables des charges relatives à la maison pour la durée de l'exercice du droit d'usage, tel que le prévoit le testament.

B. La réclamation relative au condo

En ce qui a trait au condo, les parties reconnaissent la volonté de la défunte de le redonner aux défendeurs. Cependant, le différend réside au niveau de la responsabilité pour les frais afférents à ce dernier, les frais d'évaluation de la propriété et l'impôt sur le gain en capital dû par la succession sur le condo.

Le demandeur prétend que la responsabilité d'assumer ces dépenses incombe aux défendeurs et il réclame dès lors qu'ils soient condamnés à payer la somme de 11 712,92 $, soit la somme représentant les frais engagés par la succession depuis le décès de la défunte, et la somme de 574,88 $ engagée par la succession afin de faire évaluer le condo.

Le demandeur sollicite également la Cour afin qu'elle prononce une ordonnance à l'encontre des défendeurs, leur imposant d'acquitter l'impôt sur le gain en capital dû par la succession sur le condo, de même que les frais de notaire qui devront être engagés afin de leur transférer la propriété.

À ce sujet, la Cour, se disant sensible au fait que les héritières de la sont en très bas âge et que les coûts supportés par la succession réduisent leur héritage alors que le condo ne fait pas partie de leur héritage, précise que cela ne permet pas d'écarter les principes juridiques applicables en l'espèce.

La Cour débute par rappeler que la transmission des droits de la défunte dans le condo aux défendeurs s'est effectuée lors de l'ouverture de la succession, soit au décès de la défunte. Cependant, la possession et l'administration du condo sont temporairement assujetties à la saisine du liquidateur successoral exercée par le demandeur jusqu'à ce que le bien soit délivré aux légataires particuliers.

En ce qui concerne les frais afférents au condo, la Cour applique les mêmes principes que pour les dépenses relatives à la maison. La Cour explique à nouveau qu'en principe, les frais engagés pour conserver le condo et l'impôt sur le gain en capital sont des dettes de la succession en vertu de l'article 739 C.c.Q., sauf disposition testamentaire contraire. En l'espèce, la défunte n'a rien prévu au testament relativement aux coûts afférents au condo, alors qu'elle l'avait fait en ce qui a trait à la maison.

La Cour conclut donc que les frais afférents au condo pendant la saisine du liquidateur sont des dettes incombant à la succession. Elle rejette donc la demande visant à faire condamner les demandeurs à payer 11 712,92 $ pour les frais engagés pour conserver le condo et 574,88 $ relativement à l'évaluation de la propriété. La Cour note par ailleurs que tant que le demandeur refuse de mettre fin à la saisine et de délivrer le bien, la succession demeure responsable des dettes y afférant.

La Cour en vient aux mêmes conclusions en ce qui concerne l'impôt sur le gain en capital relatif au condo. En principe, les conséquences fiscales résultant de la disposition présumée du condo doivent être assumées par la succession, sauf disposition contraire du testament. Comme la défunte n'a pas dérogé à cette règle dans le testament, l'impôt sur le gain en capital demeure une dette de la succession en vertu de l'article 739 C.c.Q.

C. Le commentaire des auteurs

Aux termes de la décision commentée, la Cour supérieure confirme qu'il ne lui est pas possible, malgré la sympathie qu'elle pourrait avoir vu le jeune âge des héritières et le fait que sa décision aurait pour effet de réduire leur héritage, d'écarter les principes juridiques applicables en la matière et de rendre un jugement guidé par la sympathie.

Le testament doit contenir les dispositions relatives aux transferts des charges liées aux legs particuliers, sans quoi il revient à la succession de les assumer en vertu du Code civil du Québec. Rien dans la loi ne permet au liquidateur testamentaire devenir changer les termes d'un testament et de contrevenir aux dernières volontés du défunt.

De plus, la Cour précise que rien dans la loi ne permet au liquidateur testamentaire de rendre le paiement d'un legs particulier conditionnel à la renonciation par les légataires à un autre legs. Son rôle se limitant à veiller, selon le cas, à la liquidation de la succession et à exercer, à compter de l'ouverture de la succession et pendant le temps nécessaire à la liquidation, la saisine des héritiers et des légataires particuliers.

D'ailleurs, la Cour note que lorsqu'un liquidateur testamentaire prolonge inutilement la saisine successorale, il ne fait qu'appauvrir la succession en maintenant sa responsabilité quant aux frais afférents aux legs particuliers.

Conclusion

En conclusion, cette décision offre un rappel intéressant quant à l'attribution de la responsabilité pour les dépenses et dettes liées aux droits et biens faisant l'objet de legs particuliers. Vu les règles de droit exposées ci-haut, le liquidateur d'une succession devrait limiter la durée de sa saisine à ce qui est nécessaire, afin d'éviter que la succession assume des dépenses et dettes inutiles causées par sa saisine prolongée. 

Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2024REP3714 .

 

[1]. Art. 737 C.c.Q.

[2]. 2023 QCCS 3095, EYB 2023-530066.

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Auteurs

  • Jonathan (Yoni) Feingold, Associé, Montréal, QC, +1 514 397 7461, yfeingold@fasken.com
  • Marie-Eve Labonté, Avocate, Montréal, QC, +1 514 397 5297, mlabonte@fasken.com

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