Le 9 avril 2024, la Cour d’appel du Yukon a rendu sa décision dans l’affaire First Nation of Na-Cho Nyäk Dun v. Yukon (Government of), 2024 YKCA 5. Cette décision concerne un projet d’exploration minière (le « Projet ») situé entièrement sur le territoire traditionnel de la Première Nation des Na-Cho Nyäk Dun (la « PNNND »), plus précisément dans le bassin versant de la rivière Tsé Tagé (ou rivière Beaver).
En 2021, le Projet a fait l’objet d’un document de décision (la «Décision ») après avoir été évalué en vertu de la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon, L.C. 2003, ch. 7 (la « LEESY »). La Décision a permis de faire passer le Projet de l’étape de l’évaluation à celle de l’autorisation réglementaire et de l’obtention des permis. La PNNND a demandé et obtenu un contrôle judiciaire de la Décision pour manquement à l’obligation de consultation. La Décision a été annulée et renvoyée au décideur pour réexamen. La Cour suprême du Yukon a également rendu les trois jugements déclaratoires demandés par la PNNND.
La Cour d’appel a maintenu la décision de la Cour suprême du Yukon à l’égard de la Décision, mais elle a infirmé deux des trois jugements déclaratoires.
Malgré que nous sommes en l’attente du réexamen du Projet, cette décision est un exemple qui démontre qu’un décideur pourrait avoir à fournir une justification significative lorsqu’il écarte certaines questions clés ou qu’il refuse la demande d’un groupe autochtone au sujet de la façon de s’acquitter d’une obligation sérieuse de consultation.
L’évaluation environnementale et la consultation en vertu de la LEESY
Parmi les Premières Nations du Yukon, la PNNND a été l’une des quatre premières à signer une entente globale sur les revendications territoriales, y compris l’entente définitive de la PNNND (le «Traité ») et une entente d’autonomie gouvernementale en 1993 (collectivement, les «Ententes définitives »). La LEESY a été promulguée à la suite des ententes sur les revendications territoriales globales au Yukon.
Une demande d’évaluation du Projet en vertu de la LEESY a été présentée le 11 février 2020. Le Yukon a entamé la consultation en demandant l’avis de la PNNND sur les effets négatifs potentiels du Projet sur les droits issus des traités. La PNNND a exprimé ses préoccupations quant aux incidences potentielles du Projet et a affirmé qu’une décision sur l’approbation réglementaire finale du Projet ne devrait pas être prise tant que des discussions sont en cours sur l’élaboration et la mise en œuvre du plan d’aménagement du territoire de la rivière Beaver, comme le prévoit le Traité.
Les communications entre la PNNND et le Yukon se sont poursuivies entre mars 2020 et décembre 2020. La PNNND a demandé une consultation directe avec la communauté et a proposé que le Yukon ne prenne aucune décision sur l’approbation réglementaire finale du Projet tant que le plan d’aménagement du territoire de la rivière Beaver ne serait pas achevé. En réponse, un agent des terres minières a écrit à la PNNND pour réitérer la position du Yukon selon laquelle les Ententes définitives n’envisagent pas la cessation de toutes les activités de développement jusqu’à l’achèvement des plans d’aménagement du territoire. Cet agent a également indiqué qu’il n’était [traduction] « pas possible » de procéder à des consultations communautaires. La PNNND a de nouveau écrit au ministre responsable pour réitérer sa position concernant le plan d’occupation des sols de la rivière Beaver et a souligné la nécessité de consulter les communautés.
La Décision a été rendue le 19 février 2021.
Révision judiciaire
À la suite d’une révision judiciaire, la Décision a été annulée et la demande d’évaluation du Projet a été renvoyée au décideur pour réexamen. Dans la décision rapportée à 2023 YKSC 5, la Cour suprême du Yukon a jugé que le gouvernement du Yukon avait manqué à l’honneur de la Couronne en ne menant pas une consultation adéquate. La Cour suprême du Yukon a aussi rendu trois jugements déclaratoires demandés par la PNNND.
Décision de la Cour d’appel
La Cour d’appel a convenu avec la Cour suprême du Yukon que l’obligation de consultation relative à la demande d’évaluation du Projet n’avait pas été acquittée. La Cour d’appel a invité les parties à présenter des observations supplémentaires sur l’utilité pratique du jugement déclaratoire rendu et a infirmé deux des trois jugements déclaratoires de la Cour suprême.
La Cour d’appel a statué que le Yukon ne s’était pas efforcé d’étudier la position de la PNNND selon laquelle les autorisations d’exploration ne devraient pas être délivrées dans le bassin hydrographique de Tsé Tagé tant que l’aménagement sous-régional du territoire n’était pas achevé, et que cela témoignait d’un manque de dialogue avec la PNNND sur une question d’une importance cruciale. Comme l’a indiqué la Cour d’appel :
[131] [Traduction] À la lumière de l’entente intergouvernementale, il me semble également impossible de soutenir que la Première Nation a laissé le poids du problème de l’aménagement cumulatif du territoire retomber sur la tête de la demanderesse, Metallic Minerals. À mon avis, la consultation requise était certainement assez vaste pour inclure la consultation sur la question de savoir pourquoi la demande de Metallic Minerals devrait être approuvée avant l’achèvement et la mise en œuvre du plan d’aménagement du territoire de la rivière Beaver.
La Cour d’appel a conclu que le Yukon n’avait pas non plus procédé à une consultation adéquate, vu son défaut de donner une réponse significative à la demande de consultation communautaire formulée par la PNNND. La décision de la Cour d’appel énonce ce qui suit :
[141] ... [Traduction] Il me semble évident que l’obligation de consultation implique une certaine prise en compte des observations de la partie à laquelle l’obligation est due en ce qui concerne les moyens les plus efficaces de s’acquitter de l’obligation. Le Yukon ne peut pas refuser les demandes d’audiences communautaires ou en personne formulées par une Première Nation sans justification [...]
[142] […] Il était bien sûr loisible à la Couronne de refuser la demande de consultation de la communauté. Toutefois, si elle décidait de refuser la demande, elle était tenue de fournir à la Première Nation, pour reprendre les termes du juge siégeant en révision, « une explication plus significative que l’affirmation selon laquelle ce type de consultation n’est “pas possible” » [...]
La Cour d’appel a confirmé la déclaration selon laquelle [Traduction] « le Yukon a manqué à son obligation d’agir de bonne foi dans l’exécution de l’entente intergouvernementale en ne tenant pas compte de l’effet de la Décision sur le processus d’aménagement du territoire en cours en vertu de l’entente intergouvernementale ». Les deux autres jugements déclaratoires ont été infirmés pour cause de manque d’utilité pratique compte tenu de l’ordonnance d’annulation de la Décision et du renvoi de la demande d’évaluation du Projet pour réexamen.
Implications
Cette décision souligne que, dans le cas des décisions où un niveau de consultation approfondi est requis et où un groupe autochtone présente des demandes relatives à la consultation, l’organisme de consultation doit examiner sérieusement ces demandes et y répondre.
En outre, cet arrêt précise que, lorsque les tribunaux rendent un jugement déclaratoire, ils examinent de près l’utilité pratique des jugements déclaratoires rendus dans le contexte de l’autre mesure de redressement.