Cartels, accords et collaborations – Où en sommes-nous maintenant ?
Reconnaissant le rôle crucial de la Loi sur la concurrence (la « Loi ») dans la promotion de marchés dynamiques et équitables, le ministre canadien de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie, l'honorable François-Philippe Champagne, a annoncé le 7 février 2022 qu'il examinerait attentivement les moyens de moderniser et d'améliorer son fonctionnement. Suite à cette annonce, une réforme significative du droit de la concurrence a eu lieu au Canada, y compris l'adoption du projet de loi C-19 le 23 juin 2022, l'adoption du projet de loi C-56 le 15 décembre 2023 et l'adoption du projet de loi C-59 le 20 juin 2024 (collectivement, les « projets de loi »).
Les projets de loi comprennent des amendements qui touchent pratiquement tous les aspects de la politique de concurrence au Canada, y compris, sans s'y limiter, l'examen des fusions, l'abus de position dominante, les cartels criminels, les collaborations entre concurrents, le marketing trompeur, les droits d'action privés et les études de marché. Toutes les dispositions des projets de loi sont maintenant en vigueur, à l'exception de quelques amendements sélectionnés qui entreront en vigueur en 2024 et 2025.
Selon l'énoncé économique de l'automne 2023 du gouvernement, ces amendements sont des « changements générationnels » qui « aideront à aligner le Canada sur les meilleures pratiques internationales pour s'assurer que nos marchés favorisent l'équité, l'abordabilité et l'innovation ». Nous irions plus loin en décrivant ces amendements comme les changements les plus significatifs à la Loi depuis près de 40 ans – des changements qui transforment fondamentalement le paysage du droit de la concurrence au Canada !
Ce billet de blog résume en un seul endroit les principaux changements apportés aux dispositions relatives aux cartels criminels et aux collaborations civiles dans la Loi, y compris, surtout, l'introduction d'une disposition pénale interdisant les accords de fixation des salaires et les accords de non-débauchage entre employeurs non affiliés et l'extension des dispositions de collaboration civile aux accords passés et, dans certains cas, aux accords entre non-concurrents. Ces changements auront, à notre avis, un impact retentissant et de grande portée sur les entreprises exerçant des activités au Canada, y compris dans le cadre de nombreux types courants d'accords commerciaux.
Dispositions relatives aux cartels criminels
Le projet de loi C-19 a ajouté une disposition relative aux cartels criminels interdisant les accords de fixation des salaires et de non-débauchage entre employeurs non affiliés et a augmenté les amendes disponibles en vertu des dispositions relatives aux cartels criminels. Chacun de ces changements est discuté ci-dessous.
(a) Infraction d'accord de fixation des salaires/de non-débauchage
À compter du 23 juin 2023, le projet de loi C-19 a ajouté le paragraphe 45(1.1) à la Loi, qui interdit les accords entre employeurs non affiliés visant à « fixer, maintenir, diminuer ou contrôler les salaires, les rémunérations ou les conditions d'emploi » et à « ne pas solliciter ou embaucher des employés ». Comme pour les dispositions existantes relatives aux cartels criminels, cette disposition permet de déduire les accords de fixation des salaires et de non-débauchage à partir de preuves circonstancielles et inclut à la fois une défense de restrictions accessoires et une défense de conduite réglementée. Ce changement visait à aligner l'approche du Canada à ces types d'accords avec l'approche très controversée adoptée par le Département de la justice des États-Unis – une approche qui n'a pas été pleinement adoptée par les tribunaux aux États-Unis.
Il est important de noter que le 30 mai 2023, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a publié des lignes directrices décrivant son approche de l'interprétation et de l'application de cette disposition (les « Lignes directrices »). Bien qu'un billet de blog précédent discute des Lignes directrices en détail, à notre avis, il convient de souligner les points suivants :
Restrictions manifestes contre collaborations légitimes : La disposition vise les « restrictions manifestes » à la concurrence, à savoir les restrictions sur les salaires ou la mobilité des emplois qui ne sont pas mises en œuvre pour favoriser une collaboration légitime, une alliance stratégique ou une coentreprise. Les restrictions qui favorisent une collaboration légitime, une alliance stratégique ou une coentreprise peuvent être examinées par le Bureau en vertu des dispositions de collaboration civile, qui ne s'appliquent qu'aux accords susceptibles d'entraîner une prévention ou diminution substantielle de la concurrence (une « PDSC »). Cette approche fait écho à l'approche traditionnelle en deux étapes du Bureau lorsqu'il décide d'examiner un accord en vertu des dispositions relatives aux cartels criminels (article 45) ou des dispositions de collaboration civile (article 90.1). Portée des employeurs : La disposition s'applique aux accords entre « employeurs non affiliés », qu'ils soient ou non en concurrence dans la fourniture d'un produit ou d'un service. À cet égard, comme indiqué dans les Lignes directrices, les « employeurs » incluent non seulement les entreprises, mais aussi les administrateurs, dirigeants, agents et employés, tels que les professionnels des ressources humaines. Par conséquent, et à titre d'exemple, le Bureau considère que les accords entre un dirigeant d'une entreprise et un administrateur d'une autre entreprise sont capturés. Dans ce cas, chacun des individus et des entreprises pourrait, selon le Bureau, être potentiellement soumis à des poursuites en vertu de la disposition. Accords de fixation des salaires : Les accords visant à fixer, maintenir, diminuer ou contrôler les salaires, les rémunérations et autres conditions d'emploi entrent dans le champ d'application de la disposition. De manière significative, les Lignes directrices notent que les « conditions d'emploi » incluent les responsabilités, avantages et politiques associés à un emploi, y compris, par exemple, les descriptions de poste, les allocations (telles que les indemnités journalières et les remboursements de kilométrage), la rémunération non monétaire, les heures de travail, le lieu et les clauses de non-concurrence, ainsi que d'autres directives pouvant restreindre les opportunités professionnelles d'une personne. Cela dit, les Lignes directrices précisent que l'application par le Bureau est généralement limitée aux « conditions d'emploi » qui pourraient affecter la décision d'une personne de conclure ou de rester dans un contrat de travail. Accords de non-débauchage : Conformément au langage de la disposition, l'infraction de non-débauchage ne s'applique que lorsque des employeurs non affiliés conviennent de ne pas solliciter ou embaucher les employés « les uns des autres ». Des problèmes ne surviendront pas dans les situations où un seul employeur accepte de ne pas débaucher les employés d'un autre employeur – quelque chose qui est définitivement pertinent dans le contexte des transactions d'achat et de vente. Les employeurs doivent s'assurer qu'ils ne participent pas à des pratiques avec d'autres employeurs non affiliés (qu'ils soient ou non des entreprises concurrentes) qui pourraient être considérées comme (1) des accords de fixation des salaires ou de non-débauchage, ou (2) un partage d'informations inapproprié ou d'autres pratiques pouvant être perçues comme facilitant de tels accords. La nécessité pour les entreprises de se conformer à ces dispositions ne peut être surestimée, car les employeurs qui les enfreignent pourraient faire face à des sanctions importantes. Ils seront également soumis à des demandes de dommages-intérêts (principalement sous forme de recours collectifs) de la part de ceux qui auraient subi des dommages en raison d'un accord illégal allégué.
(b) Augmentation des amendes
Le projet de loi C-19 a également augmenté les amendes disponibles en vertu des dispositions relatives aux cartels criminels, passant d'un maximum de 25 millions de dollars à un montant « à la discrétion du tribunal ». En conséquence, une personne reconnue coupable d'avoir enfreint ces dispositions (y compris la nouvelle disposition interdisant les accords de fixation des salaires et les accords de non-débauchage) pourrait faire face à des amendes à la discrétion du tribunal et/ou à une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 14 ans. Ce sont parmi les sanctions les plus sévères pour les comportements de cartel dans le monde !
Dispositions de collaboration civile Historiquement, l'article 90.1 de la Loi (la disposition de collaboration entre concurrents civils) permettait au Tribunal de rendre certains recours à l'égard d'accords existants ou proposés entre concurrents ou concurrents potentiels susceptibles d'entraîner une PDSC. Cependant, les projets de loi C-56 et C-59 ont considérablement élargi la portée de cette disposition et augmenté les recours disponibles pour le Tribunal.
(a) Collaborations entre non-concurrents
À compter du 15 décembre 2024, l'article 90.1 de la Loi s'étendra aux collaborations entre des parties qui ne sont pas des concurrents, à condition qu'un « objectif important » de la collaboration, ou de toute partie de celle-ci, soit de prévenir ou de diminuer la concurrence sur un marché. Bien que ce changement ait été motivé par les clauses restrictives dans l'industrie de l'épicerie de détail qui limitent la capacité des nouveaux entrants à louer des locaux à proximité des emplacements de détail existants, il pourrait potentiellement s'appliquer à tout accord commercial – y compris les accords entre une entreprise et ses clients ou fournisseurs. Cela dit, le Bureau a toujours la charge de prouver qu'un accord ou arrangement donné est susceptible d'entraîner une PDSC.
Il convient de noter que de nombreux accords entre entreprises et clients/fournisseurs peuvent déjà être examinés en vertu d'autres dispositions de la Loi qui s'appliquent aux collaborations « verticales ». Cependant, ces dispositions nécessitent, dans de nombreux cas, que plusieurs éléments complexes soient établis. En tant que tel, le gouvernement peut signaler qu'il cherche un moyen « plus simple » de réglementer les relations verticales – et qu'il entend, en conséquence, accorder une attention plus étroite à de telles collaborations à l'avenir.
À l'avenir, les entreprises devront être conscientes de tout aspect de leurs pratiques contractuelles avec les clients et les fournisseurs qui pourrait potentiellement être considéré (ou perçu) comme visant à prévenir ou à diminuer la concurrence et si ces pratiques entraînent effectivement ou sont susceptibles d'entraîner une PDSC.
(b) Accords passés
Historiquement, l'article 90.1 de la Loi ne s'appliquait qu'aux accords « existants ou proposés ». Le Bureau et d'autres commentateurs ont exprimé des préoccupations à ce sujet. Par exemple, dans sa soumission en réponse à la consultation Wetston, le Bureau a déclaré ce qui suit :
... cela [approche] ne laisse aucun recours en vertu de la Loi pour les accords qui existaient dans le passé, mais ne sont plus en vigueur. Ce cadre temporel crée une incertitude quant à savoir si les parties à un accord pourraient simplement résilier tout accord qui attire l'attention du Commissaire, puis le rétablir à une date ultérieure.
De même, l'article 90.1 ne prévoit de recours que pour les préjudices à la concurrence qui se produisent actuellement ou qui sont susceptibles de se produire à l'avenir. Il ne donne pas le pouvoir de remédier aux préjudices qui se sont produits dans le passé, mais qui ont depuis cessé. Cela contraste avec les dispositions relatives à l'abus de position dominante de l'article 79, qui prévoient des recours pour les comportements anticoncurrentiels ayant causé des préjudices dans le passé.
Pour répondre à ces préoccupations, le projet de loi C-59 a élargi la portée de l'article 90.1 de la Loi pour inclure les comportements passés, à condition que ces comportements aient eu lieu au cours des trois dernières années. Compte tenu de ce changement, les parties ne pourront plus résoudre les préoccupations potentielles en vertu de l'article 90.1 de la Loi simplement en mettant fin ou en se retirant d'accords potentiellement anticoncurrentiels. Cela renforce la nécessité pour les parties – qu'elles soient ou non des concurrents – d'évaluer soigneusement leurs accords afin de déterminer si des problèmes pourraient survenir en vertu de la Loi, y compris les dispositions de collaboration civile.
(c) Défense d'efficacité
Le paragraphe 90.1(4) de la Loi empêche actuellement le Tribunal de rendre une ordonnance à l'égard d'un accord autrement anticoncurrentiel lorsqu'il constate que l'accord a entraîné ou est susceptible d'entraîner des gains d'efficacité qui seront supérieurs et compenseront les effets de toute prévention ou diminution de la concurrence qui en résulterait ou est susceptible d'en résulter. À compter du 15 décembre 2024, cette défense d'efficacité sera abrogée. En tant que tel, les entreprises devront être conscientes que, après le 15 décembre 2024, les gains d'efficacité provenant d'accords ne suffiront pas à sauver un accord qui serait autrement jugé nuisible à la concurrence.
Il est important de noter que le projet de loi C-56 n'a pas ajouté les gains d'efficacité en tant que facteur au paragraphe 90.1(2) de la Loi. Cela dit, conformément à l'approche du Commissaire en matière de traitement des gains d'efficacité dans le contexte des fusions, nous nous attendons à ce que le Commissaire continue probablement à être ouvert à la prise en compte des gains d'efficacité après le 15 décembre 2024. Cependant, il reste à voir quels types de gains d'efficacité le Commissaire pourrait être prêt à considérer et quelle importance sera accordée à ces gains d'efficacité. À notre avis, les gains d'efficacité devraient continuer à jouer un rôle important lors de l'évaluation des collaborations.
(d) Recours
Avant l'adoption du projet de loi C-59, les recours disponibles en vertu de l'article 90.1 étaient limités à une ordonnance d'interdiction ou à toute autre ordonnance avec le consentement des parties. Cependant, ce n'est plus le cas, car le projet de loi C-59 a élargi la portée des recours disponibles en vertu de l'article 90.1 pour inclure des sanctions administratives pécuniaires (« SAP »), la cession d'actifs ou d'actions, ou toute autre action raisonnable et nécessaire pour surmonter les effets de l'accord ou de l'arrangement. Par exemple, le Tribunal est désormais autorisé à ordonner le paiement de SAP ne dépassant pas le plus élevé de (1) 10 millions de dollars (15 millions de dollars pour une ordonnance subséquente) ou (2) trois fois la valeur du bénéfice tiré de l'accord ou de l'arrangement, ou, si ce montant ne peut être raisonnablement déterminé, 3 % des revenus bruts annuels mondiaux de la personne. Cela est similaire aux recours actuellement disponibles ailleurs dans la Loi, comme en vertu des dispositions relatives à l'abus de position dominante, et est susceptible de conduire à une reliance plus fréquente sur l'article 90.1 par le Commissaire et les parties privées.
Si vous avez des questions sur les dispositions en cours relatives aux cartels criminels ou aux collaborations civiles, vous pouvez contacter tout membre du groupe Concurrence, Marketing et Investissements étrangers de Fasken. Notre groupe a une expérience significative dans le conseil aux clients sur tous les aspects du droit canadien de la concurrence.
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