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Milgram Foundation : Divulgation volontaire, contrôle judiciaire et abus de pouvoir

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Bulletin fiscalité

Dans l’affaire Milgram Foundation c. Canada (Procureur général) (2024 CF 1405), la Cour fédérale du Canada a statué que la décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC) d’établir une nouvelle cotisation après avoir accepté la divulgation volontaire du contribuable constituait un « abus de pouvoir » et violait les principes de cohérence, de caractère définitif et d’intégrité de la loi. Dans une réprimande de la conduite de la vérification de l’ARC dans une situation qui allait à l’encontre des principes fondamentaux d’équité du régime fiscal canadien, la Cour fédérale a annulé la décision de l’ARC d’établir une nouvelle cotisation et lui a ordonné de prendre les mesures nécessaires pour donner effet à une décision révisée.

Faits

La Fondation Milgram (la Fondation) a été créée en tant qu'« Anstalt » en vertu des lois du Liechtenstein en 1964 et, en 1983, elle est devenue une « Stiftung », qui est généralement considérée comme une fiducie personnelle en vertu du droit canadien. Pendant toute la période pertinente, la Fondation était gérée par un conseil indépendant, dont les membres étaient tous des non-résidents du Canada. Elle était factuellement non-résidente du Canada aux fins de l’impôt et n’avait donc pas produit de déclarations de revenus canadiennes, même si elle avait des bénéficiaires canadiens.

En 2013, la Fondation a déterminé qu’elle pouvait être réputée résidante canadienne en vertu de l’article 94 de la Loi de l’impôt sur le revenu et donc tenue de produire des déclarations de revenus au Canada. La Fondation a donc passé les deux années suivantes à recueillir les documents disponibles ainsi que suffisamment de renseignements pour présenter une demande dans le cadre du Programme des divulgations volontaires (PDV) du Canada pour les années d’imposition 2003 à 2014. La demande sous le PDV a été déposée en janvier 2015 et acceptée par l’ARC comme valide et complète en décembre 2015, mais l’ARC s’est réservé le droit de vérifier ou réviser ces années. En janvier 2016, l’ARC a émis des avis de cotisation pour 2003-2014, et la Fondation a payé ses impôts impayés et des intérêts dus pour un total de 9,4 millions de dollars canadiens.

En juillet 2016, l’ARC a lancé une vérification, qui n’a finalement permis de déceler aucune erreur ou omission pour les années d’imposition 2003 à 2014. Cependant, à la fin de cette longue deuxième vérification en septembre 2018, l’ARC a annoncé qu’elle avait l’intention d’établir une nouvelle cotisation à l’égard des années d’imposition 1998 à 2002 de la Fondation au motif que celle-ci avait des placements non divulgués depuis sa création en 1964 et donc qu’elle avait omis de déclarer certains de ces comptes de placement de sorte qu’elle avait commis de fausses déclarations.

La Fondation a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’ARC d’établir une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 1998 à 2002 au motif que la décision de l’ARC ne répondait pas aux attentes légitimes de la Fondation, constituait un abus de procédure et était déraisonnable. Entre-temps, en 2021, l’ARC a émis unilatéralement des avis de cotisation pour les années d’imposition 1998 à 2002.

La Cour fédérale a accueilli la demande de la Fondation, déclarant que la décision de l’ARC d’établir une cotisation pour les années d’imposition antérieures constituait un abus de procédure. La Cour fédérale a annulé la décision de l’ARC et ordonné à l’ARC qu’elle « prenne les mesures nécessaires pour donner effet à une décision révisée ».

Dans son raisonnement, la Cour fédérale a déterminé que la Fondation cherchait à contester la conduite de l’ARC plutôt que les cotisations elles-mêmes. La Cour fédérale a statué que la Fondation n’avait pas contesté indirectement les cotisations, mais qu’elle avait plutôt soulevé de bon droit des allégations d’iniquité et d’abus de procédure contre l’ARC, et que, par conséquent, cela relevait de la compétence de la Cour fédérale. Ainsi, la Fondation était en mesure de demander un jugement déclaratoire à la lumière des récentes décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Dow Chemical (2024 CSC 23) et Iris Technologies (2024 CSC 24).

Bien que la Cour fédérale ait statué que l’acceptation par l’ARC de la divulgation volontaire de la Fondation ne créait pas un contrat exécutoire entre les deux parties, la Cour a néanmoins statué que la décision de l’ARC d’établir une cotisation pour les années d’imposition antérieures était « dépourvue de toute justification » et constituait donc un « abus de pouvoir ». L'État a interjeté appel de la décision devant la Cour d'appel fédérale (dossier de la Cour no A-323-24).

Analyse

L’affaire de la Fondation Milgram soulève un certain nombre de questions complexes concernant la conformité fiscale, le processus de divulgation volontaire et les compétences de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour fédérale.

Notons que la Fondation n’a pas été créée comme une fiducie au Canada, mais plutôt comme une entité étrangère qui est généralement reconnue comme une fiducie aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu au Canada. Normalement, la résidence d’une fiducie en vertu du droit canadien est son lieu de gestion et de contrôle central. Pour la Fondation, c’était manifestement à l’extérieur du Canada. Toutefois, en vertu de l’article 94 de la Loi de l’impôt sur le revenu, une fiducie peut être « réputée » résider au Canada dans certaines circonstances, et cette règle déterminative l’emporte sur toute disposition contraire de l’une ou l’autre des conventions fiscales bilatérales du Canada. Étant donné qu’il y avait des bénéficiaires résidant au Canada (et que d’autres dispositions de l’article 94 s’appliquaient), la Fondation était tenue de déclarer son revenu au Canada. Cela a été fait tardivement dans la demande sous le PDV.

L’objectif du PDV est de lutter contre l’inobservation fiscale en permettant aux contribuables de corriger volontairement les erreurs et les omissions historiques dans leurs déclarations de revenus en échange d’un allègement potentiel des intérêts et des pénalités et d’une protection contre les poursuites criminelles. Le PDV a fait l’objet d’une refonte importante en 2018 afin d’imposer de nouvelles conditions et de restreindre l’allègement disponible, et de créer deux catégories distinctes : le Programme général (qui permet l’allègement des pénalités et l’allègement partiel des intérêts) et le Programme limité (qui permet de renoncer aux pénalités pour faute lourde, mais pas aux intérêts ou aux autres pénalités). Le programme restreint s’applique lorsqu’il y a un élément de conduite intentionnelle de la part du contribuable ou d’une partie liée. L’ARC décide de la catégorie applicable, mais cette décision n’est normalement communiquée au contribuable qu’après que la demande a été faite. 

Dans le cas qui nous occupe, la Fondation a fait sa demande sous le PDV en 2015, soit sous le programme précédent qui était plus libéral. Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, la Fondation a présenté des affidavits de sept fiscalistes qui avaient représenté des clients dans le cadre de demandes sous le PDV pendant plusieurs années. Tous ont déclaré que, d’après leur expérience, l’acceptation par l’ARC d’une demande sous le PDV règle toutes les omissions antérieures divulguées à l’ARC. Cela comprendrait les années pour lesquelles les documents n’étaient plus disponibles en raison du passage du temps. Il a été généralement compris que, sur le plan administratif, l’ARC a accepté que les années d’imposition très anciennes puissent tout simplement ne pas avoir de registres fiables. Par conséquent, il n’était pas possible ou équitable d’évaluer les années d’imposition antérieures pour déterminer s’il y avait inobservation accidentelle.

Il s’agit d’un point important dans l’affaire Milgram. L’administration réussie du PDV nécessite la participation de bonne foi des deux parties — en l’occurrence, les contribuables et l’ARC. Les divulgations des contribuables doivent être exactes et complètes et l’ARC doit recevoir et évaluer de manière équitable les inobservations divulguées volontairement, car le but d’un tel programme est d’inciter les contribuables à se conformer. L’incertitude, l’opacité, les rétractations – de part et d’autre – sont les ennemis d’un processus de divulgation volontaire qui fonctionne bien.

Toutefois, dans l’affaire Milgram, l’existence à la fois de la lettre qui proposait d’établir une cotisation pour les années d’imposition 1998 à 2002 de la Fondation après la fin du processus sous le PDV — qui était la « décision » examinée par la Cour fédérale — et des cotisations réelles pour ces années créait une incertitude inhabituelle quant à la juridiction de la Cour fédérale en l’espèce. La Cour suprême du Canada a souligné que l’ARC n’est jamais irréprochable et que sa conduite peut faire l’objet d’un examen de contrôle. Toutefois, étant donné que la Cour fédérale n’a qu’un pouvoir limité et ne peut empêcher l’ARC d’établir une cotisation ni annuler une cotisation existante, le seul allègement qu’un contribuable peut obtenir à l’égard d’une cotisation est techniquement seulement par le biais des procédures d’opposition et d’appel prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu ou la Loi sur la taxe d’accise.

De ce fait, la déclaration de la Cour fédérale dans l’affaire Milgram selon laquelle (i) la décision de l’ARC d’établir une cotisation constituait un abus de procédure et (ii) l’ARC devait « examiner la déclaration de la Cour et prendre les mesures nécessaires pour donner effet une décision révisée » est inhabituelle. Nous pouvons supposer que la Cour fédérale a rendu un tel jugement déclaratoire sur la base que l’ARC annulera les cotisations existantes et, ce faisant, pourrait réexaminer la décision initiale d’établir une cotisation.

La Cour s’attend peut-être à ce que l’ARC adopte un point de vue impartial sur les cotisations potentielles pour les années antérieures et qu’elle décide de ne (re)cotiser que s’il existe un fondement juste et objectif. Cependant, en pratique, ce genre de processus semble utopique et semble différer des pratiques habituelles de vérification et de cotisation de l’ARC. Dans un cas où l’ordonnance n’impose pas de directives administratives claires, il semble peu probable que l’ARC accorde le bénéfice du doute à la Fondation.

Conclusion

Les contribuables qui contestent la conduite de l’ARC dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire font face à une bataille difficile. Les tribunaux ont accordé à l’ARC une grande latitude pour choisir si, quand et comment les vérifications et les cotisations peuvent être effectuées et émises.

Cependant, dans l’affaire Milgram, la Cour fédérale a clairement identifié la conduite injuste et abusive de l’ARC. L’affaire fournit une illustration utile de l’opinion du tribunal sur les limites de la conduite acceptable dans le cadre d’une vérification. Toutefois, l’imprévisibilité créée par la décision inhabituelle de l’ARC d’ajouter cinq années d’imposition à une divulgation déjà complète et valide pourrait avoir pour effet d’introduire une incertitude inacceptable dans le processus du PDV. Les efforts d’un contribuable en matière d’observation de bonne foi devraient être contrebalancés par la bonne foi de l’ARC.

On pourrait s’attendre à une contestation de la décision fondée sur la question de la compétence de la Cour fédérale, bien que l’ARC puisse toujours décider, après un examen plus approfondi des années d’imposition 1998 à 2002 de la Fondation, d’émettre des avis de cotisation. Et bien que la Cour fédérale demeure, pour l’instant, un filet de sécurité important pour contrôler et sanctionner les comportements répréhensibles de l’ARC, les nuances et les limites du pouvoir de la Cour fédérale ne nous donnent malheureusement pas de réponses claires quant à la façon dont les contribuables peuvent espérer résoudre une situation où un comportement abusif a mené à l’émission de cotisations fiscales.

Contactez les auteurs

Si vous avez des questions concernant la proposition d’élargissement des pouvoirs de vérification de l’ARC, veuillez communiquer avec un membre de notre groupe Fiscalité.

Contactez les auteurs

Auteurs

  • Timothy Fitzsimmons, Associé, Toronto, ON, +1 416 865 5422, tfitzsimmons@fasken.com
  • Lori Bokenfohr, Associée, Calgary, AB, +1 587 233 4061, lbokenfohr@fasken.com
  • Marie-Claude Marcil, MFisc, Associée, Montréal, QC, 1 514 397 5180, mmarcil@fasken.com

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