Passer au contenu principal
Bulletin

Fin de l’entente de soutien et de confiance à Ottawa

Fasken
Temps de lecture 12 minutes
S'inscrire
Partager

Aperçu

Bulletin relations gouvernementales et droit politique

Dans une vidéo publiée sur les médias sociaux le 4 septembre dernier, Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) fédéral du Canada, a annoncé qu’il avait « rompu » l’« entente de soutien et de confiance » (l’entente) conclue entre son parti et le gouvernement minoritaire libéral de Justin Trudeau en mars 2022, et qui devait demeurer en vigueur jusqu’en juin 2025. 

Ce faisant, le NPD a inversé la dynamique politique dans la capitale canadienne en entraînant le retour à un gouvernement minoritaire traditionnel avec les conséquences qui en découlent : une volatilité accrue à la Chambre des communes, l’intensification des jeux partisans au sein des comités de la Chambre, le ralentissement du processus législatif et, sans doute, une hausse des probabilités que des élections fédérales aient lieu avant la date fixe du 20 octobre 2025 prévue par la loi.

Ce bulletin offre un aperçu du paysage politique fédéral actuel du Canada, des positions des partis d’opposition et de ce à quoi nous pouvons nous attendre dans les mois à venir.  

Introduction aux ententes de soutien et de confiance 

Penchons-nous d’abord sur la notion d’entente de soutien et de confiance et sur les répercussions de la décision du NPD d’y mettre fin de manière hâtive. Un principe fondamental du système parlementaire de Westminster veut que le pouvoir exécutif ne puisse demeurer en fonction sans le soutien (la confiance) continu de la majorité des membres de la principale chambre législative, la Chambre des communes. Selon une convention constitutionnelle (non écrite), un gouvernement défait sur une question de confiance tombe, nécessitant la dissolution du Parlement et le déclenchement d’élections générales.

Par convention, les questions de confiance peuvent prendre différentes formes :  

  • Tout parti d’opposition peut présenter une motion de censure. Depuis la rentrée parlementaire du 16 septembre dernier, les conservateurs se sont prévalus de cette option à deux reprises et le gouvernement a survécu grâce à l’appui du NPD et du Bloc québécois. 
  • Un gouvernement peut expressément qualifier tout vote de question de confiance. (Dans le climat actuel, les libéraux ne risquent pas de le faire.) Enfin, par convention, les projets de loi d’exécution du budget et les projets de loi de crédits, c’est-à-dire les projets de loi qui nécessitent l’affectation de fonds, sont traités comme des questions de confiance. Les votes sur l’Énoncé économique de l’automne à venir du gouvernement en sont des exemples.

Un gouvernement minoritaire conventionnel est intrinsèquement fragile, car il dépend du soutien des députés de l’opposition pour maintenir la « confiance » de la Chambre et rester au pouvoir. Plus un tel gouvernement dure longtemps, plus des accidents et des circonstances particulières sont susceptibles d’accélérer sa fin.

Dans ce contexte, examinons les positions respectives des principaux partis d’opposition du Canada.

Les conservateurs

La position des conservateurs est simple : bien en avance dans les sondages, les conservateurs réclament des élections le plus tôt possible. L’enjeu : compte tenu de la répartition actuelle des sièges à la Chambre des communes, les trois principaux partis d’opposition doivent unir leurs voix pour défaire le gouvernement. Les conservateurs ne peuvent forcer la tenue d’élections sans l’appui du NPD et du Bloc québécois.

Les néo-démocrates

Dans le cadre de l’entente, le NPD avait accepté de soutenir les libéraux en échange de leur appui au sujet de priorités communes. Il s’agissait notamment d’établir un programme national de soins dentaires, de légiférer afin d’encadrer la mise en œuvre d’un régime national universel d’assurance médicaments et de promulguer une loi anti-briseurs de grève. 

Cela dit, l’intérêt d’une telle entente repose sur la présence d’éléments incitatifs justifiant le soutien du parti de l’opposition au gouvernement minoritaire. Comme la majorité des modalités de l’entente ont été mises en œuvre, le NPD avait moins à en tirer. De plus, ces réussites en matière de politiques n’ont pas fait augmenter la popularité du NPD. En fait, les conservateurs ont non seulement gagné en popularité au détriment des libéraux à l’échelle nationale, mais ont également attiré la base traditionnelle du NPD, soit les électeurs syndiqués. Autre indice de l’importante pression des conservateurs sur le NPD : à peine une semaine avant la résiliation de l’entente, le chef conservateur Pierre Poilievre a publiquement demandé à M. Singh de cesser de soutenir les libéraux.   

En mettant fin à l’entente de manière hâtive, le NPD s’est donné la possibilité de se distinguer plus nettement du gouvernement libéral impopulaire qu’il soutenait. Cette initiative était d’autant plus opportune que deux élections partielles (élections spéciales) se sont tenues peu de temps après, le 16 septembre, et elles ont été déterminantes pour le sort du parti. Dans la circonscription électorale d’Elmwood–Transcona, à Winnipeg, au Manitoba, le NPD a réussi à maintenir son siège contre les conservateurs en forte hausse, tandis que dans la circonscription de LaSalle–Émard–Verdun, à Montréal, le NPD s’est ultimement classé troisième dans une course serrée, derrière le Bloc québécois victorieux et les libéraux alors en poste. 

Même si l’entente est rompue, le NPD n’a probablement pas l’intention de faire tomber le gouvernement cet automne, alors que certaines de ses priorités clés doivent encore être adoptées par le Parlement, y compris la mise en œuvre d’une couverture universelle d’assurance-médicaments pour une gamme de médicaments contre la contraception et le diabète et l’adoption de modifications à la loi électorale fédérale.De plus, les NPD provinciaux se battront lors de deux élections importantes en Colombie-Britannique et en Saskatchewan cet automne, et l’aile fédérale du parti appréciera certainement le temps supplémentaire, d’abord pour se distinguer des libéraux et des conservateurs, mais aussi pour consolider son financement avant la prochaine campagne électorale fédérale. 

Le Bloc québécois

Pendant ce temps, le Bloc québécois s’efforce de jouer un rôle d’influenceur politique dans ce Parlement minoritaire en accordant au Parti libéral jusqu’au 29 octobre pour répondre à ses deux premières demandes politiques. En échange, il ne tentera pas immédiatement de renverser le gouvernement. Actuellement, le Bloc québécois affiche de bons résultats dans les sondages au Québec. Toutefois, en raison de la faible popularité de M. Poilievre dans la province, le Bloc québécois cherche à obtenir des concessions favorables à sa base électorale potentielle au lieu d’être perçu comme le responsable de l’avènement immédiat d’un gouvernement conservateur majoritaire susceptible d’être impopulaire auprès des Québécois.

D’une part, le Bloc québécois demande au gouvernement d’accélérer l’adoption d’une initiative d’un de ses députés, le projet de loi C-282, qui vise à exclure la gestion de l’offre agricole (produits laitiers, volaille et œufs) de toute négociation à venir, et qui stagne présentement au Sénat. Le gouvernement ne dispose pas de levier direct pour contrôler l’agenda du Sénat, comme la plupart des sénateurs (qui, au Canada, sont nommés et non élus) fonctionnent indépendamment des partis politiques.

D’autre part, le Bloc québécois demande une augmentation de 10 % de la pension de la Sécurité de la vieillesse [1] versée aux personnes âgées de 65 à 74 ans, ce qui devrait coûter 16 milliards de dollars canadiens de plus sur cinq ans. En 2022, le gouvernement avait déjà haussé les prestations de la Sécurité de la vieillesse pour les aînés de 75 ans et plus.

Le 1ᵉʳ octobre dernier, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a imposé un vote sur une motion demandant au gouvernement d’appuyer officiellement l’initiative de son parti en matière de Sécurité de la vieillesse, le projet de loi C-319. Puisque ce projet de loi entraînerait de dépenses en fonds publics, il ne peut être soumis au vote en troisième lecture sans l’aval du gouvernement. [2] Bien que le vote du 1ᵉʳ octobre n’ait pas porté sur une motion de confiance, le Bloc québécois a obtenu l’appui des conservateurs et du NPD, alors que les libéraux s’y sont opposés en majorité, apparemment pour des raisons de procédure. Tous les regards à Ottawa sont désormais tournés vers les libéraux, qui n'ont pas clairement exprimé leur position sur les demandes du Bloc Québécois, mais qui indiquent de plus en plus qu'ils ne soutiendront pas cette mesure telle qu'elle est proposée.

Que réserve l’avenir à ce parlement minoritaire et aux Canadiens?

Faute d’entente formelle, le gouvernement libéral minoritaire doit maintenant trouver un « partenaire de danse », soit le NPD, soit le Bloc québécois, soit le Parti conservateur, pour soutenir chacune de ses initiatives législatives à la Chambre des communes. 
Le rythme législatif ralentira, car les libéraux seront moins susceptibles d’invoquer l’attribution de temps lorsque l’opposition fera obstacle à leur programme législatif. Pendant ce temps, les comités parlementaires seront le théâtre de jeux partisans, puisque le NPD cherchera non seulement à se distinguer des libéraux, mais sera moins enclin à se rallier au vote des libéraux dans le cadre d’études et d’amendements. Plus important encore, le gouvernement libéral ne pourra plus compter sur le soutien du NPD lors des votes de confiance. 

Pour le gouvernement libéral, cette nouvelle dynamique présente un autre défi de taille, après les défaites inattendues du parti lors des élections partielles au début du congé d’été dans des circonscriptions comme Toronto–St. Paul’s, forteresse libérale, et LaSalle–Émard–Verdun le mois dernier, ainsi que la récente démission de son directeur de campagne national, Jeremy Broadhurst. 

Le bilan (actuel)

Bien que les libéraux soient dans une position plus précaire depuis la fin de l’entente, cela marque un retour au statu quo des gouvernements minoritaires que les Canadiens connaissent depuis 2019, sans signifier pour autant que le gouvernement sera défait bientôt. Mais, la température ayant monté avec le retour en chambre, toute motion de confiance risque d’entraîner la dissolution du gouvernement. Nous continuerons de suivre de près les nouvelles manœuvres politiques.


[1] La pension de la Sécurité de la vieillesse offre une aide financière aux aînés. Contrairement à la Sécurité sociale aux États-Unis, la Sécurité de la vieillesse du Canada est financée au moyen des recettes fiscales générales, et non des cotisations sociales (charges sociales).

[2] Dans le système parlementaire de Westminster, le pouvoir législatif ne peut adopter des projets de loi d’imposition ou comportant des affectations de crédits que s’ils sont approuvés par le pouvoir exécutif. Au Parlement du Canada, l’approbation de l’exécutif est appelée « recommandation royale ».

Contactez les auteurs

Pour plus d'informations ou pour discuter d'un sujet, veuillez nous contacter.

Contactez les auteurs

Auteurs

  • Alex Steinhouse, Avocat-conseil, Montréal, QC, +1 514 397 4356 , asteinhouse@fasken.com
  • Claudia Feldkamp, Avocate-conseil, Toronto, ON, +1 416 868 3435, cfeldkamp@fasken.com

    Abonnement

    Recevez des mises à jour de notre équipe

    S'inscrire