Avec sa deuxième décision Galderma, la Cour d’appel fédérale est intervenue de manière décisive pour clarifier l’étendue de la compétence du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB). Cette décision apporte une clarté importante à ce domaine de droit pour toutes les entreprises du secteur des sciences de la vie dont les médicaments sont soumis (ou prétendument soumis) à la compétence réglementaire du CEPMB.
Le critère du « lien le plus tenu »
Pendant des décennies, la compétence du CEPMB a été déterminée par le critère du lien « le plus tenu »[1] entre un brevet et le médicament que le CEPMB entendait réglementer. Ce critère permettait au Conseil de réglementer le prix des médicaments même s’il n’y avait pas de brevet en vigueur qui portait sur ce médicament. Par exemple, dans l’arrêt ICN, le médicament lui-même n’était pas protégé par un brevet de produit. Même s’il y avait un brevet de procédé, le procédé ainsi breveté ne pouvait pas être utilisé à une échelle commerciale, et le médicament qui était effectivement commercialisé au Canada n’a pas été produit à l’aide du procédé breveté .[2] La CEPMB a néanmoins fait valoir sa compétence, et sa décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Ce faisant, la Cour dans ICN a statué que le CEPMB n’avait pas à démontrer que le produit réglementé était effectivement protégé par un brevet, pourvu qu’il soit lié à un brevet canadien par le « le lien le plus tenu ».[3]La décision de la Cour d’appel fédérale dans Galderma (no 1)
Le critère du « lien le plus tenu » a été remis en question lorsque le CEPMB a revendiqué sa compétence réglementaire sur le médicament Differin pour les années 2010 à 2016, alors que le brevet du Differin n’était plus en vigueur depuis 2009. Le CEPMB a justifié sa compétence en invoquant un autre brevet détenu par Galderma, qui protégeait un médicament différent, soit le Differin XP. Même si le Differin lui-même n’était plus breveté, le Conseil a affirmé que le Differin était lié au brevet pour Differin XP, satisfaisant ainsi le critère du lien le plus tenu.
Comme nous l’avons mentionné dans des bulletins précédents, bien que la décision du CEPMB ait été confirmée à la suite d’un contrôle judiciaire, Galderma a fait appel de cette décision avec succès devant la Cour d’appel fédérale. Dans Galderma (no 1), la Cour d’appel fédérale a fait une mise en garde : le « merest slender thread » était une métaphore, et non un critère juridique, et la compétence du CEPMB devait respecter les contraintes imposées par la Loi sur les brevets.[4] La Cour d’appel a conclu que la décision du CEPMB n’avait pas pris en compte de manière raisonnable ces contraintes et l’a cassé. Cependant, la Cour a refusé de trancher elle-même l’affaire, qui a plutôt été renvoyée au CEPMB pour réexamen.[5]
Lors du réexamen, le CEPMB est parvenu à la même conclusion, réaffirmant sa compétence sur le Differin malgré l’absence de quelconque brevet en vigueur pour ce médicament. Cela a ouvert la voie à une autre série de contrôles judiciaires et d’appels.
La décision de la Cour d’appel fédérale dans Galderma (no 2)
S’exprimant à l’unanimité sous la plume du juge Stratas, la Cour a accueilli l’appel de Galderma, estimant que le CEPMB avait outrepassé sa compétence. Ses motifs commencent par l’énoncé suivant : « Tout simplement, en vertu de la Constitution, de la Loi sur les brevets et de la jurisprudence qui en découle, le Conseil n’a pas le pouvoir de réglementer les prix des médicaments non brevetés pendant la période où ils ne sont pas brevetés »[6] [notre traduction].
Le juge Stratas continue ses motifs en expliquant que ces trois sources imposent des limites quant au moment et à la façon dont le CEPMB peut réglementer le prix des médicaments :
- La Loi constitutionnelle de 1867 limite la compétence fédérale sur le prix des médicaments aux médicaments qui sont protégés par brevet ou qui relèvent d’une autre source de compétence fédérale, comme les urgences nationales. En effet, en l’absence d’une source expresse de compétence fédérale, « la protection des consommateurs et la réglementation générale des prix relèvent de la compétence des provinces »[7] [notre traduction]. Notamment, les limitations constitutionnelles signifient que le CEPMB n’a aucune compétence sur les médicaments non brevetés.[8]
- La Loi sur les brevets elle-même est « soigneusement conçue pour respecter les limites du pouvoir constitutionnel fédéral en matière de brevets [notre traduction] » et ne vise donc pas à permettre au CEPMB de réglementer les médicaments non brevetés.[9]
- La jurisprudence des tribunaux de toutes instances a souligné que la compétence du CEPMB est soumise à ces limites constitutionnelles et statutaires. En l’espèce, la Cour d’appel fédérale a cité plusieurs exemples de ses propres arrêts antérieurs, ainsi que la décision phare de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Merck Canada (qui a invalidé plusieurs aspects du Règlement sur les médicaments brevetés au motif qu’ils excédaient la compétence fédérale; le gouvernement a par la suite retiré ces parties du règlement).
À la lumière de ces autorités, le juge Stratas a estimé que le CEPMB « a franchi les balises constitutionnelles, législatives et jurisprudentielles » [notre traduction] de son autorité administrative.[10]
Plus précisément, puisque le brevet de Differin était expiré et que le brevet de Differin XP ne couvrait pas le médicament sur lequel le CEPMB se prétendait compétent, il était impossible pour le Conseil de règlementer le prix du Differin.[11]
Le juge Stratas a terminé ses motifs en avertissant le CEPMB qu’il « doit modérer son dévouement et son enthousiasme avec une obéissance ferme et inébranlable à la légalité et la primauté du droit. Comme tous les décideurs administratifs, le Conseil doit respecter dans les contraintes imposées par la Constitution, sa loi habilitante (la Loi sur les brevets, interprétée de manière raisonnable dans le sens du droit administratif), et la jurisprudence qui en découle »[12] [notre traduction].
Implications pratiques
La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Galderma (no 2) est une décision robuste et claire sur les limites de la compétence du CEPMB. Contrairement à Galderma (no 1), la Cour d’appel fédérale a statué sur le fond de l’affaire, plutôt que de la renvoyer au Conseil pour une troisième fois.
Curieusement, Galderma (no 2) ne contient aucune référence au soi-disant critère du « slender thread » (lien le plus étendu), qui semble d’abord avoir été rétrogradé d’un critère à une métaphore dans Galderma (no 1), pour ensuite perdre toute pertinence dans Galderma (no 2). À sa place, Galderma (no 2) soutient plutôt que la compétence du CEPMB doit être établie en se demandant si un médicament est toujours protégé par un brevet, ce qui nécessitera vraisemblablement une interprétation formelle des revendications du brevet démontrant qu’un médicament relève du champ d’application d’un brevet.
Cette décision pourrait également avoir un impact important sur le projet de modernisation des Lignes directrices du CEPMB en cours, y compris un retard potentiel de la publication prévue pour le 19 décembre 2024.
Entre-temps, cet arrêt apporte des éclaircissements nécessaires à un domaine du droit qui était auparavant sous-développé et incertain. Sous réserve d’une demande d’autorisation d’appel accueillie par la Cour suprême, les titulaires de brevets canadiens peuvent maintenant se rassurer avec la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle : « Le Conseil ne réglemente pas le prix des médicaments non brevetés. Après tout, cela figure même dans le nom du conseil : le conseil est le “Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés” et non le “Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés et non brevetés” ou le “Conseil d’examen du prix de tous les médicaments” »[13] [notre traduction].