Le 25 novembre 2024, le président désigné Donald Trump a annoncé son intention d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur tous les produits canadiens et mexicains entrant aux États-Unis, et ce, jusqu’à ce que les deux pays prennent les mesures nécessaires pour mettre fin au trafic de drogues et à l’entrée de migrants.
Comme l’économie canadienne dépend fortement du commerce et que les États-Unis constituent le plus important partenaire commercial du Canada, cette annonce a suscité beaucoup d’inquiétudes et a soulevé de nombreuses questions, notamment :
- Le président désigné a-t-il le pouvoir d’imposer de tels tarifs douaniers?
- Les tarifs douaniers violeront-ils l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM)?
- Pourquoi imposer de tels tarifs douaniers au Canada?
- Comment le Canada pourrait-il réagir?
- Comment les entreprises canadiennes devraient-elles se préparer?
Nous répondons à ces questions ci-dessous.
Le président désigné a-t-il le pouvoir d’imposer des tarifs douaniers de 25 %?
Le président désigné Trump fera face à peu d’obstacles juridiques à la mise en œuvre des tarifs douaniers. En effet, le président dispose de pouvoirs étendus pour mettre en œuvre les tarifs douaniers en raison des pouvoirs délégués au Bureau du président par le Congrès. Au cours de la première présidence de M. Trump, par exemple, les États-Unis ont imposé des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium canadiens en vertu de la loi américaine intitulée Trade Expansion Act of 1962. M. Trump aura également à sa disposition la Trade Act of 1974, l’article traitant du pouvoir relatif à la balance des paiements (Balance-of-Payments Authority) et la Tariff Act of 1930.
Certaines des lois susmentionnées exigent des étapes procédurales qui rendraient difficile l’imposition immédiate de tarifs douaniers, ce qui laisse croire que le président désigné Trump pourrait faire appel à l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA). L’IEEPA confère au président des pouvoirs étendus pour réglementer le commerce international en cas d’« urgence nationale ». Bien que cette loi n’ait encore jamais été employée pour imposer des tarifs douaniers, M. Trump a menacé de le faire au Mexique en 2019, lors de sa première présidence.
Les importateurs peuvent choisir de contester ces tarifs douaniers, mais les procédures risquent d’être longues, et les tribunaux des États-Unis ont tendance à faire preuve de déférence à l’égard de l’exercice du pouvoir exécutif en matière d’affaires étrangères et de tarifs douaniers.
Qu’en est-il de l’ACEUM?
L’ACEUM prévoit le libre-échange des produits originaires de l’Amérique du Nord et permet aux parties de régler leurs différends commerciaux. Bien que l’imposition unilatérale de tarifs douaniers soit contraire aux engagements de l’ACEUM pour le libre-échange de certains produits, l’accord prévoit une exemption pour les « intérêts essentiels de sécurité », laquelle permet aux signataires d’appliquer les mesures qu’ils estiment nécessaires pour protéger leurs propres intérêts de sécurité essentiels, sans égard au fait que ces mesures contreviendraient normalement à ces engagements.
Toutefois, il est peu probable que le gouvernement Trump puisse justifier l’application de tarifs douaniers en vertu de l’exemption pour les « intérêts essentiels de sécurité », car une telle décision soulèverait des questions juridiques complexes, notamment celles de savoir si i) les tarifs douaniers généraux sur l’ensemble des produits canadiens sont même liés aux simples intérêts de sécurité des États-Unis, sans tenir compte des intérêts de sécurité « essentiels », et ii) si ces tarifs sont proportionnels aux menaces alléguées à l’égard des intérêts essentiels de sécurité des États-Unis. Même si le gouvernement Trump invoquait l’exemption, le Canada n’aurait pas intérêt, compte tenu de la lenteur des procédures, à contester sa légalité en vertu du mécanisme d’arbitrage de l’ACEUM.
Pourquoi imposer des tarifs douaniers au Canada?
Derrière les liens économiques étroits entre le Canada et les États-Unis se cache une liste grandissante de reproches de la part des Américains à l’égard de la relation commerciale entre nos deux pays, notamment en ce qui concerne :
- le système de gestion de l’offre du Canada, qui restreint l’accès au marché des producteurs laitiers américains;
- la nouvelle taxe sur les services numériques, qui cible les entreprises américaines de technologies et de médias sociaux;
- l’interprétation des règles d’origine pour le secteur de l’automobile en vertu de l’ACEUM;
- le laxisme du Canada en matière d’application de la loi sur l’importation de biens et produits issus du travail forcé.
En outre, il existe d’autres tensions qui n’ont rien à voir avec le commerce, notamment à l’égard du sous-investissement du Canada en matière de défense et de sécurité frontalière.
L’annonce du président désigné Trump marque le retour d’une politique commerciale protectionniste ferme dont les effets sont considérables, ainsi que d’une volonté d’utiliser des mesures commerciales pour l’avancement des objectifs des États-Unis qui ne partagent pas nécessairement de lien étroit avec le commerce.
Comment le Canada pourrait-il réagir?
Même si les tarifs douaniers proposés par le président désigné Trump dépassent largement ceux qu’il a imposés au Canada en 2018, il est probable que le Canada y réponde à nouveau par l’application de tarifs de rétorsion. À l’époque, le Canada avait riposté en imposant des tarifs équivalents (« dollar pour dollar ») sur une vaste gamme de produits en provenance d’États républicains, comme la bière en fût, le whiskey et le ketchup. Cette réaction a mené à un accord réciproque entre le Canada et les États-Unis visant à retirer leurs tarifs de rétorsion respectifs et à répondre aux préoccupations des États-Unis par d’autres moyens.
Comment les entreprises devraient-elles se préparer aux tarifs douaniers?
Bien que de nombreuses entreprises canadiennes risquent d’être touchées par une « guerre commerciale », surtout si elle perdure, il existe un certain nombre de mesures qu’elles peuvent prendre pour les atténuer, dont voici quelques exemples :
- cartographier les chaînes d’approvisionnement afin de savoir d’où proviennent les entrants et de détecter les vulnérabilités;
- réviser les contrats pour déterminer où il y a lieu de s’inquiéter d’une augmentation des tarifs ou pour les résilier de façon anticipée sans pénalité si les tarifs de rétorsion rendent trop coûteux les intrants des États-Unis;
- repérer d’autres marchés potentiels (dans le cas des exportateurs) ou d’autres fournisseurs potentiels (dans le cas des importateurs);
- tenter de faire traverser un maximum de produits à la frontière avant l’investiture, le 20 janvier.
L’imposition de tarifs douaniers de 25 % sur les exportations canadiennes pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les exportateurs canadiens, tandis que l’imposition de tarifs de rétorsion risque de nuire aux entreprises canadiennes qui importent des produits américains. Il n’en demeure pas moins que certaines mesures peuvent être prises pour réduire les risques commerciaux et les coûts liés à l’imposition de ces tarifs.