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Mais à qui revient le droit de revendiquer? La Cour d’appel de la Colombie-Britannique se prononce sur le chevauchement de revendications de titres ancestraux

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Bulletin Droit des Autochtones

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Le 5 décembre 2024, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « Cour ») a rendu sa décision dans l’affaire Malii v. British Columbia, 2024 BCCA 406 (« Malii »). Dans ce pourvoi, la Cour devait déterminer si la Nation Tsetsaut/Skii km Lax Ha (la « Nation TSKLH ») pouvait présenter une réclamation contre une tierce partie et être ajoutée comme défenderesse à la revendication de titres et de droits ancestraux de la Nation Gitanyow. La question centrale examinée par la Cour était de déterminer l’approche à appliquer à l’égard du chevauchement de revendications de titres ancestraux. En fin de compte, la Cour a conclu que la Nation TSKLH pouvait être ajoutée comme défenderesse à la revendication de la Nation Gitanyow, mais pas comme tiers demandeur.

Contexte

Les revendications dans l’arrêt Malii impliquent l’un des demandeurs de l’affaire Delgamuukw, tranchée par la Cour suprême du Canada. L’un des chefs héréditaires ayant présenté une revendication dans cette affaire était Skiik’m Lax Ha (John Wilson), qui avait intenté une action au nom de la maison Skiik’m Lax Ha (aujourd’hui la Nation TSKLH) pour revendiquer des titres ancestraux à l’égard d’un territoire géographique adjacent à, mais ne chevauchant pas, la zone visée par la revendication de la Nation Gitanyow. Un nouveau procès a été ordonné après l’affaire Delgamuukw en 1997, mais il n’a jamais eu lieu, et la question de la revendication des titres ancestraux de la Nation TSKLH n’a toujours pas été réglée.

En 2003, la Nation Gitanyow a intenté l’action sous-jacente à l’affaire Malii, en vue d’obtenir la reconnaissance de titres et de droits ancestraux visant une certaine zone. Après le dépôt initial, la demande de la Nation Gitanyow a été relancée en 2016. En mai 2018, la chef Simpson, au nom de la Nation TSKLH, a déposé une demande pour se joindre à l’action à titre de défenderesse et présenter une réclamation contre une tierce partie. Le 26 avril 2024, avant l’audition de cette demande, la Nation TSKLH a déposé un avis distinct d’action civile visant à obtenir la reconnaissance de titres et de droits ancestraux pour une vaste zone qui chevauche la zone revendiquée par la Nation Gitanyow, mais qui va bien au-delà de celle-ci.

Décision sous-jacente

Le juge responsable de la gestion de l’instance dans l’affaire Malii a ajouté la Nation TSKLH à la fois en tant que tiers demandeur et en tant que défenderesse à la revendication de la Nation Gitanyow. Son raisonnement pour justifier ces deux rôles était fondé sur les affirmations de la Nation TSKLH concernant les titres ancestraux réclamés quant à d’importantes portions de terres dans la zone revendiquée par la Nation Gitanyow. Selon lui, la Nation TSKLH a un intérêt direct et particulier dans l’issue de l’instance relative à la revendication de la Nation Gitanyow. De plus, toujours selon le juge responsable de la gestion de l’instance, le fait de ne pas ajouter la Nation TSKLH en tant que tiers demandeur aurait probablement entraîné une multiplicité de procédures et risqué de donner lieu à des conclusions contradictoires.

La Cour d’appel se penche sur le chevauchement des revendications de titres ancestraux

La Cour d’appel s’est ralliée en partie à l’avis du juge de l’instance inférieure. Après une analyse impliquant l’évaluation du préjudice relatif de chaque partie, elle a conclu que, tout bien considéré, la Nation Gitanyow serait plus gravement lésée par les retards causés par l’ajout de la réclamation de la Nation TSKLH contre une tierce partie que cette dernière ne le serait si sa demande n’était pas ajoutée à la revendication de la Nation Gitanyow. La Cour a reconnu que depuis l’arrêt Delgamuukw, il est toujours extraordinairement long, complexe et coûteux pour les Premières Nations d’obtenir la reconnaissance de titres ancestraux devant les tribunaux. Elle est d’avis que, comme la revendication de titres et de droits ancestraux d’un groupe autochtone peut prendre des centaines de jours d’audience en première instance et ensuite des années en appel, il est évident que joindre cette revendication à la revendication de titres et de droits ancestraux d’un autre groupe autochtone pourrait prendre encore plus de temps.

En outre, selon la Cour, si le juge responsable de la gestion de l’instance avait pris en compte la nature duplicative de la revendication distincte de titres ancestraux de la Nation TSKLH et sa proposition de réclamation contre une tierce partie dans l’action Malii, il aurait conclu qu’il était de loin préférable que toutes les revendications de titres et de droits ancestraux de la Nation TSKLH soient tranchées ensemble dans l’action distincte de la Nation TSKLH, afin d’éviter le risque de duplication et de conclusions incohérentes.

Enfin, la Cour a estimé que le juge responsable de la gestion de l’instance n’avait pas reconnu les contraintes pratiques qui pèseraient sur le juge du procès si la réclamation de la Nation TSKLH contre une tierce partie était ajoutée. Le juge du procès serait contraint de trancher les questions de succession historique, d’occupation exclusive, de contrôle effectif et de lien intégral avec la culture de deux groupes autochtones dans le cadre de la même action. La Cour a conclu que cela risquait de nuire au droit d’accès à la justice de la Nation Gitanyow. Elle a également précisé que le fait de traiter deux revendications de droits et titres ancestraux dans une même action serait un défi pour un juge lors du procès, quelles que soient ses compétences.

En fin de compte, la Cour a soutenu que l’ajout de la Nation TSKLH en tant que défenderesse est suffisant pour protéger ses intérêts dans la revendication de titres et de droits ancestraux visant le même territoire que la Nation Gitanyow.

 

Répercussions

La complexité est inhérente aux litiges relatifs aux titres ancestraux. La décision de la Cour dans l’affaire Malii démontre que cette complexité est accrue lorsque les revendications de titres se chevauchent.

La Cour a examiné l’incidence d’une revendication de droits et de titres par une Première Nation sur les revendications des Nations voisines, en notant que l’exigence d’exclusivité des titres ancestraux pourrait signifier que même une revendication réussie de droits ancestraux pourrait exclure une future revendication de titres ancestraux. La Cour a noté ce qui suit [traduction] : « On ne connaît pas encore toutes les implications légales d’une reconnaissance de titres ancestraux sur les autres droits de propriété et sur les revendications concurrentes de titres et de droits ancestraux. Cependant, au moins une interprétation possible de la loi est qu’une reconnaissance de titres ancestraux (ou peut-être même de droits ancestraux) pour un groupe autochtone à l’égard d’un territoire particulier signifie nécessairement que tout autre groupe autochtone ne peut pas détenir de titres ancestraux pour la même zone. »

Le chevauchement de revendications soulève plusieurs nouvelles questions, comme l’a souligné la Cour [traduction] :

[73]         Il n’existe actuellement aucun précédent clair qui permette de connaître les effets potentiels de la reconnaissance de titres ancestraux par un tribunal pour un groupe autochtone sur une poursuite ultérieure intentée par un autre groupe autochtone revendiquant des titres ancestraux pour le même territoire. Empêcherait-on le second groupe de démontrer que son occupation de la zone était exclusive? Les conclusions du premier procès lieraient-elles la Couronne à l’égard du second groupe autochtone? Le second groupe autochtone devrait-il ou pourrait-il démontrer que le premier groupe autochtone a consenti à ce qu’il partage des titres ou exerce des droits ancestraux en lien avec le territoire? Le premier groupe autochtone qui réussit à obtenir la reconnaissance de titres ou de droits ancestraux devra-t-il se défendre dans des poursuites ultérieures intentées par d’autres groupes revendiquant des titres ancestraux, sans que l’on ne parvienne peut-être jamais à une solution définitive?

De nombreuses questions demeurent en suspens dans le contexte du chevauchement de revendications, mais il est clair que la Cour d’appel redoute que les effets soient importants.

Si de nombreuses questions restent sans réponse, la Cour a clairement indiqué que chaque groupe autochtone cherchant à obtenir la reconnaissance de titres ancestraux doit être prêt à le faire par le biais d’une action indépendante.

Contactez les auteurs

Si vous avez des questions concernant l’arrêt Malii, le chevauchement de revendications de titres ancestraux et leur incidence sur votre entreprise, n’hésitez pas à communiquer avec les auteurs.

Contactez les auteurs

Auteurs

  • Kevin O'Callaghan, Associé, Vancouver, BC, +1 604 631 4839, kocallaghan@fasken.com
  • Antonia Frappell, Stagiaire en droit, Vancouver, BC, +1 604 631 4800, afrappell@fasken.com

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