Survol et points saillants
Dans un développement important pour les acteurs canadiens du secteur des fusions et des acquisitions, l’American Bar Association (ABA) a publié sa nouvelle étude Canadian Private Target M&A Deal Points Study le [• janvier]. Cette étude analyse les transactions conclues en 2020, 2021 et 2022. Il s’agit de la première étude de l’ABA sur les transactions de fusion et d’acquisition visant des sociétés fermées canadiennes publiée depuis près de sept ans, soit depuis l’édition 2018[1]. La publication de cette étude était très attendue, en particulier parce que les études de l’ABA sont une ressource de premier plan pour répondre à une question fondamentale du secteur : quelles sont les dernières tendances du marché?
Voici nos principales conclusions tirées de l’étude :
- Les petites transactions ont parfois un gros impact au Canada. L’échantillon de l’étude est davantage orienté vers des transactions de moindre envergure par rapport aux trois précédentes études de l’ABA sur le même sujet. L’impact potentiel de cette différence devrait être pris en compte pour chaque donnée.
- La période couverte par l’échantillon de l’étude coïncide avec celle de la pandémie de COVID-19. Les transactions impliquant des vendeurs « entrepreneurs » occupent une place nettement plus importante que dans les études précédentes. Outre l’envergure moyenne des transactions, les résultats de l’étude doivent être examinés sous ces angles.
- L’étude comprend plusieurs nouveaux points de données et est 30 % plus longue que celle de 2018. Cela confirme la complexité croissante des transactions de fusion et d’acquisition de sociétés fermées. Mettre au point une stratégie de négociation complète et coordonnée est donc plus important que jamais.
- Sur certains points, la convergence avec les pratiques du marché américain s’est poursuivie. Toutefois, des différences notables subsistent entre les pratiques de ces deux marchés, s’accentuant dans certains cas.
En raison de la quantité d’informations contenues dans l’étude, nous nous contenterons de formuler quelques commentaires et analyses ciblés. Sept des coauteurs Fasken de cette mise à jour ont participé à l’élaboration de l’étude et peuvent fournir une perspective complémentaire[2]. Pour découvrir d’autres ressources de Fasken concernant les fusions et acquisitions, visitez notre Centre du savoir sur les marchés des capitaux et les fusions et acquisitions.
L’impact potentiel de l’envergure moyenne des transactions
L’échantillon de l’étude est davantage orienté vers des transactions de moindre envergure par rapport aux trois précédentes études de l’ABA sur le même sujet. Alors que les transactions de 5 à 50 millions de dollars représentaient 48 % de l’échantillon de 2018, elles représentent 67 % de l’échantillon de la nouvelle étude. Seulement 12 % des transactions comprises dans l’échantillon actuel sont de 200 à 500 millions de dollars, contre 29 % en 2018.
Étant donné que l’échantillon de l’étude se limite aux transactions où une société cible fermée est acquise ou vendue par une société ouverte canadienne[3], l’envergure moins importante des transactions en moyenne signifie que l’échantillon comporte plus de transactions impliquant des émetteurs de la Bourse de croissance TSX (par opposition aux émetteurs de la Bourse de Toronto) qu’auparavant. Il convient également de noter que l’échantillon comportait un pourcentage nettement plus élevé de vendeurs « entrepreneurs » (40 % des transactions) que les trois études précédentes de l’ABA sur le même sujet (seulement 17 % pour chaque étude)[4].
L’envergure moyenne moins importante des transactions peut avoir un impact sur divers éléments. Par exemple, cela peut expliquer en partie pourquoi 76 % des contrats ne comportaient aucune mention expresse d’une politique d’assurance déclarations et garanties (les transactions de moindre envergure sont généralement moins susceptibles d’inclure ce type de politique)[5]. Les éléments relatifs aux indemnités ont aussi probablement été influencés dans une certaine mesure par la moindre envergure des transactions (p. ex., le plus faible pourcentage de transactions [15 %] parmi les quatre études de l’ABA sur les transactions de fusion et d’acquisition de sociétés fermées canadiennes prévoyant un seuil de réclamation admissible).
L’impact potentiel de la pandémie
La majorité des transactions de l’échantillon de l’étude ont été conclues en 2021 et 2022, dans le sillage de la pandémie et de son impact sur la conclusion des transactions. La pandémie a notamment compromis la capacité des acheteurs à procéder à une vérification préalable des cibles, contribué à accroître les écarts d’évaluation entre les parties à la transaction et aggravé l’incertitude économique future.
Nous ne pouvons que spéculer sur les aspects des transactions qui ont été plus touchés par la pandémie, mais voici quelques hypothèses raisonnables :
- les contreparties conditionnelles;
- les comptes séquestres distincts pour les rajustements du prix d’achat;
- les plafonds de dommages et intérêts en pourcentage de la valeur de la transaction.
Ces éléments ont tous atteint des pourcentages bien supérieurs à ceux observés dans chacune des trois études précédentes de l’ABA.
Parmi les autres aspects importants des transactions susceptibles d’être affectés par la pandémie, citons :
- l’engagement du vendeur à exercer ses activités dans le cours normal des affaires;
- la définition de l’effet défavorable important.
Le premier a enregistré le pourcentage le plus élevé (86 %) d’engagements à exercer ses activités selon le cours normal des affaires non assortis d’une clause d’« efforts », ce qui est nettement supérieur aux taux précédents de 67 % (2018), 55 % (2016) et 59 % (2014). Le deuxième a connu la plus faible incidence de cinq des huit types d’exclusions de la définition de l’effet défavorable important, et la deuxième plus faible incidence de deux de ces huit types.
Faits notables dans la pratique du marché
L’étude fait état de nombreux autres éléments qui se démarquent considérablement des pratiques antérieures du marché, comme en témoignent les trois études précédentes de l’ABA.
En ce qui concerne les engagements relatifs à la période intermédiaire, l’étude a observé :
- le pourcentage le plus élevé de transactions (80 %) exigeant expressément que la cible notifie à l’acheteur tout manquement aux déclarations, garanties ou engagements;
- le pourcentage le plus élevé de transactions (82 %) comprenant une clause de non-concurrence et de non-sollicitation.
Concernant les conditions de clôture, l’étude a observé :
- le pourcentage le plus élevé de transactions (58 %) comportant uniquement une condition indépendante relative à un effet défavorable important;
- le pourcentage le plus bas de transactions (57 %) incluant une condition de clôture contre les poursuites contestant la validité de la transaction.
En matière d’indemnisation, l’étude a observé :
- le pourcentage le plus élevé de transactions (82 %) ne mentionnant pas les tactiques dilatoires[6];
- le pourcentage le plus bas de transactions (18 %) comportant une déclaration expresse de non-dépendance par l’acheteur[7];
- le pourcentage le plus élevé de transactions (46 %) comprenant une franchise déductible;
- le pourcentage le plus bas de transactions (33 %) comprenant un retour au premier dollar.
Nouvelles données significatives de l’étude
La taille et le champ d’application de l’étude ont été considérablement élargis par rapport aux études précédentes. Plusieurs nouveaux points de données ont été inclus, notamment sur la cybersécurité et la protection de la vie privée pour les déclarations et garanties de la cible. Concernant les engagements de la cible pour la période intermédiaire, les nouveaux points de données portent sur :
- l’approbation en vertu de la Loi sur la concurrence;
- l’approbation en vertu de la Loi sur Investissement Canada (propriétaire étranger);
- les engagements en matière de non-sollicitation et de non-concurrence;
- l’approbation des actionnaires.
Trois aspects en particulier présentent un nombre important de nouveaux points de données :
- les déclarations « Me Too »;
- la mise à jour des annexes d’information de la cible après l’exécution et avant la clôture et l’impact correspondant sur les droits de l’acheteur et la responsabilité du vendeur;
- l’assurance déclarations et garanties.
Comme l’assurance déclarations et garanties est devenue beaucoup plus courante dans les transactions de fusion et d’acquisition de sociétés fermées, les 11 nouveaux points de données sur cette assurance et leur évolution future présenteront un intérêt particulier pour les acteurs du secteur.
Comparaisons notables avec les pratiques du marché américain
Les tendances du marché des fusions et des acquisitions qui ressortent dans les études américaines de l’ABA permettent souvent de prévoir la direction que prendront les pratiques canadiennes en matière de fusion et d’acquisition. Mais pas toujours.
Convergences entre les pratiques des marchés canadien et américain
La pratique canadienne en matière de fusion et d’acquisition de sociétés fermées s’est progressivement rapprochée de la pratique américaine en ce qui concerne le moment où les déclarations et garanties de la cible doivent être exactes, non seulement à la clôture, mais aussi au moment où elles sont communiquées. Alors que plus de 60 % des transactions aux États-Unis depuis 2013 mentionnaient cette exigence, cela s’est fait progressivement au Canada, passant de 26 % en 2014 à 51 % dans le cadre de l’étude.
Voici d’autres points de convergence :
- le pourcentage de transactions qui prévoient une définition de ce qu’est un effet défavorable important;
- le pourcentage de transactions qui incluent une clause de non-concurrence et de non-sollicitation.
Le premier a, pour la première fois et après des progrès constants, égalé le niveau des États-Unis avec 95 % des transactions. Le deuxième, avec une hausse significative atteignant 82 % des transactions, s’est pour la première fois rapproché à moins de 20 % du taux américain, qui a oscillé autour de 90 % des transactions.
Divergences entre les pratiques des marchés canadien et américain
L’étude confirme la persistance de l’inclusion historique des perspectives dans les définitions de l’effet défavorable important, plus fréquente au Canada qu’aux États-Unis (32 % contre 10 %). Elle confirme aussi que les nombreuses exclusions de définition de l’effet défavorable important restent nettement moins fréquentes au Canada qu’aux États-Unis.
L’inclusion de déclarations « de divulgation complète » et/ou « 10b-5 » est en baisse constante dans le cadre des fusions et des acquisitions visant des sociétés fermées aux États-Unis, passant de 36 % des transactions en 2013 à seulement 6 % des transactions en 2023. À l’inverse, l’inclusion de ces déclarations est relativement constante au Canada depuis 2014, oscillant autour de la barre des 40 %.
Il existe un fossé important et croissant entre les pratiques américaines et canadiennes en ce qui concerne l’inclusion d’une déclaration expresse de non-dépendance par l’acheteur. Alors que la fréquence de cette clause aux États-Unis n’a continuellement augmenté, passant de 43 % des transactions en 2013 à 74 % des transactions en 2023, sa fréquence au Canada a continuellement diminué, passant de 43 % des transactions en 2014 à seulement 18 % des transactions dans le cadre de l’étude.
Nos conclusions
L’étude, ses précédentes versions et ses équivalents américains et européens constituent des ressources précieuses pour la conclusion de transactions. Et c’est particulièrement le cas pour cette étude, étant donné le long délai écoulé depuis la précédente édition canadienne et les nombreux nouveaux points de données qu’elle présente.
Cela dit, il faut bien comprendre que cette étude et d’autres publications du genre restent des orientations générales et que de nombreux éléments d’une transaction sont mieux résolus par une discussion sur le caractère raisonnable de la position de chacune des parties selon les circonstances. Dans d’autres cas, le déséquilibre du pouvoir de négociation ou les compétences et l’expérience des professionnels impliqués dans la transaction sont plus susceptibles d’influencer le résultat.
Les nombreuses nouvelles données incluses dans cette étude illustrent la complexité croissante des transactions de fusion et d’acquisition visant des sociétés fermées. Elles soulignent l’importance derrière 1) une compréhension complète de tous les termes de l’entente et de leur interaction; et 2) l’élaboration d’une stratégie de négociation complète, coordonnée et cohérente sur le plan interne.
En ce qui concerne la comparaison des pratiques des marchés canadien et américain, ces convergences et divergences doivent être examinées au cas par cas et en reconnaissant l’impact potentiel 1) des différences dans le droit applicable; et 2) de l’envergure minimale ou moyenne plus importante des transactions, et des échantillons de transactions plus importants sur lesquels s’appuient les études américaines.