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Cour suprême du Canada : Les revendications de la Métis Nation – Saskatchewan ne constituent pas un abus de procédure

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Bulletin Affaires juridiques relatives aux Autochtones

Le 28 février 2025, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a décidé unanimement dans l’affaire Saskatchewan (Environnement) c. Métis Nation – Saskatchewan, que les paragraphes contenus dans la requête de la Métis Nation – Saskatchewan (la « MNS ») ne constituaient pas un abus de procédure, bien que des questions semblables aient été soulevées dans deux actions antérieures contre le gouvernement de la Saskatchewan (le « gouvernement provincial »).

Dans sa décision, la CSC a examiné la doctrine de l’abus de procédure dans le contexte d’une multiplicité de procédures, concluant que, bien que des questions de droit se chevauchaient entre les instances, cela ne constituait pas un abus de procédure. Le tribunal a souligné l’importance de reconnaître le « contexte unique des litiges visant à faire valoir des droits ancestraux » et le recours à des procédures judiciaires qui « devraient faciliter, et non entraver, le juste règlement des revendications autochtones ».

Contexte et historique procédural

La MNS est le gouvernement de la Métis Nation dans la province de la Saskatchewan. Depuis plusieurs années, la Métis Nation affirme qu’elle possède des titres ancestraux sur des terres situées dans le nord-ouest de la Saskatchewan et qu’elle peut y pratiquer la chasse, le piégeage et la pêche à des fins commerciales. Le gouvernement provincial a toujours nié l’existence de ces droits.

En mars 2021, le gouvernement provincial a informé la MNS qu’il avait reçu trois demandes de permis d’exploitation de NexGen Ltd. (« NextGen ») en vue de chercher de l’uranium (les « permis »). Il a informé la MNS qu’il la consulterait concernant les droits ancestraux de pêche, de piégeage et de chasse, mais a toutefois refusé de mener des consultations quant au titre ancestral et aux droits ancestraux de récolte commerciale. Le gouvernement provincial a délivré les permis en juillet 2021.

En août de la même année, la MNS a demandé la révision judiciaire de la décision délivrant les permis. Entre autres choses, la MNS a sollicité un jugement déclarant que le gouvernement provincial avait manqué à son obligation de la consulter au sujet de l’incidence des permis sur le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale (la « requête de 2021 »).

Le gouvernement provincial a déposé un avis de requête en radiation de certains paragraphes se rapportant aux revendications concernant le titre ancestral et les droits ancestraux de récolte commerciale en invoquant un abus de procédure. Il a également plaidé que les paragraphes contestés dans la requête de 2021 avaient été abordés dans les deux actions antérieures :

  • Dans la première action, la MNS cherchait à obtenir des jugements déclaratoires quant à l’existence d’un titre ancestral et de droits ancestraux sur des terres situées dans le nord de la Saskatchewan (l’« action de 1994 »). En 2005, l’action de 1994 a été suspendue au motif que la MNS ne s’était pas conformée à une ordonnance du tribunal lui ordonnant de communiquer certains documents liés à l’action de 1994 et n’avait pas demandé la levée de la suspension. Le gouvernement provincial n’avait pris aucune mesure pour que l’action soit abandonnée.
  • Dans la deuxième action, la MNS a cherché à faire invalider une politique de consultation du gouvernement provincial (l’« action de 2020 »). La politique prévoyait que le gouvernement provincial ne reconnaît ni titre ancestral ni droits de récolte commerciale et que, en conséquence, il ne consulterait pas les Premières Nations ou les Métis sur ces questions. La MNS a sollicité des jugements déclaratoires, notamment une déclaration portant que le gouvernement provincial a l’obligation de consulter les Métis à l’égard du titre ancestral et des droits ancestraux de récolte commerciale. En 2023, la MNS a déposé une requête en jugement sommaire visant à faire invalider la politique prima facie. La décision est toujours pendante.

Le juge en cabinet a accueilli la requête de la Saskatchewan. La Cour d’appel a accueilli l’appel de la MNS et rétabli les paragraphes supprimés dans les actes de procédure.

Abus de procédure et multiplicité des procédures

La CSC a examiné la doctrine de l’abus de procédure, notant qu’elle peut être invoquée dans le cadre d’une multiplicité de procédures visant les mêmes questions. La CSC a considéré qu’il est à première vue vexatoire d’intenter deux actions alors qu’une seule suffirait. La CSC a cité des exemples où la multiplicité de procédures a constitué un abus de procédure, notamment lorsque les demandeurs ont présenté de multiples actions revendiquant des droits ancestraux et des droits issus de traités sur les mêmes terres et ressources naturelles.

Cependant, la CSC a également noté que les procédures multiples impliquant les mêmes parties ou questions de droit ne suffisent pas pour qu’il y ait abus de procédure. La CSC a souligné que l’analyse « doit plutôt s’attacher à la question de savoir si le fait de permettre au litige de continuer porterait atteinte aux principes d’économie des ressources judiciaires, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice ».

La requête de 2021 n’a pas donné lieu à un abus de procédure

La CSC a défini l’objet et les réparations demandées dans chacune des trois procédures judiciaires :

  • L’action de 1994 expose la revendication d’un titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale sur des terres situées dans le nord ouest de la Saskatchewan, et sollicite des jugements déclaratoires à cet égard.
  • L’action de 2020 a pour objectif de délimiter la portée de l’obligation de consulter du gouvernement provincial d’un point de vue général et sollicite divers jugements déclaratoires relativement à la politique de consultation.
  • La requête de 2021 constitue une demande de révision judiciaire de la décision d’accorder les permis d’exploration et comprend une demande de jugement déclaratoire à l’effet que le gouvernement provincial est tenu à une obligation de consulter relativement à l’impact des permis sur la revendication par les Métis d’un titre ancestral et de droits ancestraux de récolte commerciale.

La Cour a noté que la suspension de l’action de 1994 n’était pas déterminante dans son analyse considérant que l’obligation de consulter s’applique jusqu’à une décision définitive sur les revendications. Il a conclu qu’il n’y avait pas lieu de conclure à un abus de procédure en ce qui concerne l’action de 1994.

L’action de 2020 traite de l’obligation de consulter de manière générale, tandis que la requête de 2021 visait à déterminer si cette obligation avait été remplie avant la délivrance des permis. La Cour a statué que le fait d’empêcherla révision judiciaire de mesures prises par le gouvernement provincial constituait une utilisation à mauvais escient de cette doctrine. La CSC a souligné que la requête de 2021 serait probablement influencée par l’action de 2020 en cours, et que les risques d’incohérences potentielles pourraient être gérés par des mesures de gestion de l’instance (relativement au report de la requête de 2021 jusqu’à ce qu’une décision ait été prise dans l’action de 2020). La CSC a conclu qu’il n’y avait pas lieu de conclure à un abus de procédure pour ce qui concerne l’action de 2020.

La CSC a souligné l’importance de tenir compte du contexte unique des litiges visant à faire valoir les droits ancestraux pour déterminer l’existence d’un abus de procédure. La CSC a également noté que les procédures judiciaires devraient faciliter, et non entraver, le juste règlement des revendications autochtones.

Répercussions

Bien que cette décision porte sur un appel d’une requête en radiation de paragraphes d’un acte de procédure et que la CSC ne se prononce pas sur le bien-fondé de la revendication ancestrale de MNS ou sur l’obligation de consulter du gouvernement provincial, la décision demeure importante pour la MNS. Considérant le long et éprouvant parcours que les Métis ont dû traverser pour faire valoir leurs droits ou les faire reconnaître par le biais de négociations, les plaideurs métis sont particulièrement vulnérables à la doctrine de l’abus de procédure. En confirmant que la MNS pourra faire entendre ses revendications, la CSC a clairement indiqué que les tribunaux doivent tenir compte du contexte unique des litiges portant sur des droits ancestraux lorsqu’ils décident, en vertu de la doctrine de l’abus de procédure, s’ils doivent refuser d’entendre une affaire sur le fond.

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Pour en savoir plus sur ce sujet et sur d’autres questions juridiques connexes, n’hésitez pas à communiquer avec les auteurs. Vous pouvez également consulter d’autres articles qu’ils ont rédigés de même que des ressources supplémentaires sur le site Web de Fasken.

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Auteurs

  • Zach Romano, Associé | Energie et Climat, Affaires juridiques relatives aux Autochtones, Vancouver, BC, +1 604 631 4861, zromano@fasken.com
  • Marie-Pierre Boudreau, Avocate | Droit de l’environnement, Montréal, QC, +1 514 397 5120, mboudreau@fasken.com
  • Erin McKlusky, Avocate | Litiges et résolution de conflits, Calgary, AB, +1 403 261 9463, emcklusky@fasken.com

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