La politesse qui fait la renommée des Canadiens a enfin atteint ses limites face aux menaces existentielles et répétées du président Trump contre notre économie et notre souveraineté. Mercredi, les organisateurs du Tournoi international de hockey pee-wee de Québec ont lancé un cri du cœur inhabituel en implorant les spectateurs de ne pas huer l’hymne national ou les joueurs de hockey américains âgés de 11 à 12 ans lors du tournoi, qui débutera la semaine prochaine. Cette demande survient dans un contexte où, depuis samedi, des partisans partout au pays huent l’hymne national américain lors des matchs de la LNH et de la NBA.
Dans la mise à jour de cette semaine, Alex Steinhouse, de l’équipe Relations gouvernementales et droit politique de Fasken, examine les conséquences que le sursis de 30 jours a sur le Canada et présente ce que réserve l’avenir de cette saga tumultueuse pour la relation canado-américaine.
Pourquoi cette pause tarifaire de 30 jours?
Des sources gouvernementales de haut niveau des deux côtés de la frontière ont commencé à discuter de la façon dont le dénouement de dernière minute (et potentiellement temporaire) s’est concrétisé juste avant que le décret du président Trump relatif à l’imposition de tarifs sur les produits canadiens n’entre en vigueur mardi matin, à 0 h 01.
La CBC et le Wall Street Journal font une analyse détaillée et comparent les efforts du Canada avec ceux de ses homologues mexicains, qui ont également obtenu un sursis de 30 jours plus tôt la même journée. Sans surprise, même si les principaux conseillers du président lui suggèrent de ne pas imposer de tarifs au Canada et au Mexique, Trump se sent particulièrement « déterminé à mettre en œuvre un programme économique protectionniste sans vergogne » depuis sa victoire électorale.
Deux faits intéressants à noter : Susie Wiles, cheffe de cabinet du président Trump, aurait supposément déclaré aux constructeurs automobiles que son administration envisageait sérieusement d’exclure les voitures des produits visés par les tarifs de 25 % imposés au Canada et au Mexique; et les sociétés et les syndicats américains du secteur de l’énergie, compte tenu du fait que de nombreuses raffineries américaines utilisent du pétrole canadien, réclament haut et fort d’exclure complètement les produits énergétiques canadiens des tarifs douaniers imposés. Sur ce dernier point, ils n’ont finalement obtenu qu’une réduction des tarifs à 10 %. Voici donc des éléments à suivre de près advenant l’imposition des tarifs à une date ultérieure.
Tandis que le président Trump, son administration et des délégués républicains ont salué l’accord conclu avec le Canada, qu’ils considèrent comme une victoire qui permettra de déterminer si un « accord économique final » pourrait être conclu avec ce pays, d’autres personnes – dont Bob Rae, ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations Unies – se sont empressées de souligner que, selon elles, le Canada semble n’avoir fait que des concessions « mineures » : Selon M. Rae, le Canada n’aurait pas fait de nouvelles promesses considérables, car bon nombre des engagements de lundi envers le président Trump en matière de sécurité frontalière « avaient déjà été annoncés par le premier ministre il y a plusieurs semaines ».
Cela dit, les sources s’entendent toutes pour dire que la lutte est loin d’être terminée. Les responsables canadiens sont d’avis que les nombreuses mesures frontalières que le premier ministre Justin Trudeau a promises au président lors de leur appel à 15 h sont faisables, que certaines d’entre elles, comme la nouvelle politique en matière de renseignements, témoignent des changements importants dans la façon dont le Canada combat le crime organisé transactionnel, et que le Canada sera en mesure de démontrer leur efficacité.
Toutefois, les agents publics canadiens s’attendent également à ce que le président Trump fasse de nouvelles demandes potentiellement inatteignables avant la date butoir de la pause tarifaire, le 4 mars prochain. Parmi ces nouvelles demandes figure notamment l’obligation pour le Canada de consacrer immédiatement 2 % de son produit intérieur brut aux dépenses de l’OTAN (ou peut-être même 5 %, selon la dernière cible du président Trump), obligation que le vice-président JD Vance a mentionnée indirectement dimanche dans une publication sur X.
Lorsqu’on a demandé à Peter Navarro, conseiller au commerce principal du président Trump, à quoi s’attendre après la pause de 30 jours, il a déclaré ce qui suit : « Je vous cite les trois mots favoris du patron : “Let’s see what happens”. Quatre mots, en fait. Lorsqu’il fait des choses et que cela semble un peu chaotique, ça ne l’est pas, a-t-il ajouté. C’est du génie. »
Chine
Entretemps, des tarifs américains de 10 % sur les produits chinois ont été imposés cette semaine.
Pékin a immédiatement riposté en déclarant qu’elle comptait contester les tarifs auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le gouvernement chinois estime que les tarifs sont en « violation sérieuse » des règles relatives au commerce international et invite les États-Unis à « avoir des discussions franches et à renforcer la coopération ».
Rappelons-nous que l’OMC a perdu une bonne partie de sa capacité à gérer les défis juridiques, car les États-Unis empêchent la nomination de juges depuis le premier mandat du président Trump. L’Organe d’appel de l’OMC n’a pas réussi à constituer le quorum depuis 2019.
Plus tard dans la semaine, la Chine a annoncé des tarifs de 15 % sur les importations américaines de charbon et de gaz naturel liquéfié, ainsi que des droits de douane de 10 % sur le pétrole brut, la machinerie agricole, les véhicules à gros moteurs et les camionnettes. Pékin a également annoncé qu’elle contrôlerait les exportations de métaux rares et de produits chimiques.
Nous suivrons de près le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, qui risque d’entraîner des répercussions sur le Canada.
Initiatives du gouvernement fédéral après la suspension des tarifs
Le Canada, bien sûr, a également suspendu son plan de tarifs compensateurs en deux phases et a déjà publié une liste pour la première phase de 30 G$ qui devait s’appliquer aux produits américains comme le jus d’orange, le beurre d’arachide, le vin, les spiritueux, la bière, le café, les électroménagers, les vêtements, les chaussures, les motocyclettes, les produits cosmétiques ainsi que le papier et la pâte à papier.
La deuxième phase de 125 G$ viserait des produits comme les véhicules de promenade et les camions, les produits en acier et en aluminium, certains fruits et légumes, les produits aérospatiaux, le bœuf, le porc, les produits laitiers ainsi que les véhicules et les embarcations de plaisance. Cette liste sera accessible au public pendant une période de consultation publique de 21 jours avant la mise en œuvre de la deuxième phase.
Le Canada envisage également des « mesures non tarifaires » sur les exportations, y compris les minéraux critiques, l’énergie et les marchés publics. Selon un sondage récent, plus de 80 % des Canadiens (et même 72 % de la population dans la région des Prairies) sont en faveur d’une taxe d’exportation sur le pétrole.
Mardi matin, le ministre de la Sécurité publique David McGuinty s’est rendu au poste frontalier d’Emerson, au Manitoba, pour présenter les nouvelles ressources du Canada en matière de sécurité frontalière et expliquer le plan frontalier du gouvernement, y compris ce qu’est un « tsar du fentanyl ». Bien qu’il n’ait pas encore été nommé, le futur tsar « servira d’interlocuteur principal entre les gouvernements du Canada et des États-Unis » et renforcera notre contribution à la lutte contre le fentanyl.
Le ministre McGuinty a également présenté l’objectif de sécurité publique en termes simples : « Hier, quel était votre objectif? Mettre fin aux tarifs. Aujourd’hui, quel est votre objectif? Mettre fin aux tarifs. Demain, quel sera votre objectif? Mettre fin aux tarifs », a-t-il déclaré.
En outre, le gouvernement fédéral a confirmé que les Forces armées canadiennes (FAC) ne seraient pas envoyées à la frontière, mais qu’il enverrait plutôt des drones à la GRC et aiderait à établir la logistique nécessaire. Le ministre de la Défense Bill Blair a déclaré que le Canada ne déploierait pas de membres des FAC pour soutenir les Américains, contrairement à l’accord conclu entre les États-Unis et le Mexique. Le ministre McGuinty est allé encore plus loin en critiquant le plan annoncé lundi par le chef de l’Opposition du Parti conservateur, Pierre Poilievre, et qui, selon M. McGuinty, vise à « militariser » la plus longue frontière non défendue au monde.
En ce qui concerne le trafic de fentanyl vers les États-Unis à partir du Canada, il est possible que les données selon lesquelles 43 lb de fentanyl auraient franchi la frontière américaine l’année dernière (comparativement à 2 lb en 2023) soient erronées. Selon un article du Globe and Mail, près du tiers du fentanyl saisi n’aurait aucun lien avec le Canada.
Entretemps, mercredi, M. Trudeau a convoqué une réunion avec les premiers ministres sur la relation canado-américaine ainsi qu’une réunion avec les maires de grandes villes. Il a également organisé le Sommet économique Canada–États-Unis tenu vendredi, à Toronto, auquel ont participé des dirigeants d’entreprises, de syndicats et d’associations professionnelles.
Lors du Sommet, le premier ministre aurait déclaré que le président ne plaisantait pas en affirmant vouloir annexer le Canada, cette démarche étant motivée par un désir de tirer profit des ressources minérales critiques du Canada.
Le premier ministre se rendra en Europe la semaine prochaine, notamment dans le cadre de la Réunion des dirigeants du Canada et de l’UE, qui portera sur l’AECG.
Sur le plan ministériel, la ministre du Commerce international Mary Ng a rejeté de façon préventive les concessions futures accordées aux Américains lors de la renégociation de l’ACEUM sur la gestion de l’offre de produits laitiers. Cette décision a été prise malgré le fait que lors de son audience de confirmation, Jamieson Greer, principal négociateur commercial des États-Unis désigné par le président Trump, avait déclaré aux sénateurs qu’il « veillerait à ce que les agriculteurs américains obtiennent l’accès aux produits laitiers canadiens auquel ils ont droit ».
Or, lors de ces négociations, la ministre Ng a semblé plus hésitante sur la question de savoir si le gouvernement canadien serait disposé à revenir sur sa décision concernant la taxe sur les services numériques.
Lundi, le ministre de l’Approvisionnement Jean-Yves Duclos avait déjà déclaré que le gouvernement fédéral, dans le cadre de représailles, envisageait seulement de limiter les contrats fédéraux non liés à la défense aux entreprises canadiennes.
Même si le Canada préférerait poursuivre son partenariat de longue date avec les Américains en matière d’approvisionnement militaire, le ministre Blair a depuis déclaré que, à l’exception de l’achat de chasseurs à réaction F-35, le Canada « pourrait chercher ailleurs pour répondre à ses besoins de défense au lieu d’acheter des États-Unis si M. Trump décidait d’imposer les tarifs ».
Enfin, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles Jonathan Wilkinson, le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne et le ministre Blair se sont rendus à Washington cette semaine pour défendre les intérêts du Canada auprès de leurs homologues, de l’industrie et des médias contre le lancement d’une guerre commerciale par les Américains.
Le président Trump a-t-il enfin réussi à stimuler le commerce intérieur canadien?
La ministre des Transports et du Commerce intérieur Anita Anand a fait les manchettes la semaine dernière, laissant entendre que les barrières commerciales interprovinciales de longue date du Canada pourraient être éliminées d’ici les 30 prochains jours : « Nous réalisons des progrès incroyables et rapides avec l’ensemble des provinces et des territoires », a-t-elle déclaré.
La ministre Anand avait déjà soutenu que l’élimination de ces barrières pourrait faire baisser les prix de 15 %, stimuler la productivité jusqu’à 7 % et injecter jusqu’à 200 G$ dans l’économie canadienne. Ces efforts ont commencé sérieusement en 1995, lorsque les premiers ministres ont officiellement convenu de travailler ensemble sur cette question.
Selon le Hill Times, les provinces et les territoires sont « moins enthousiastes qu’Anand à l’égard de la rapidité et de la renonciation à l’autonomie en matière de réglementation ». La voie à suivre pourrait ne pas être l’harmonisation des différents règlements provinciaux, mais plutôt la reconnaissance mutuelle.
La menace tarifaire a également incité le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec à reconsidérer les projets de pipeline afin d’expédier du pétrole et du gaz au Québec et à l’étranger.
Mardi, la ministre des Affaires étrangères a déclaré à la Chambre de commerce de Montréal que les menaces tarifaires avaient tiré la sonnette d’alarme pour tous les Canadiens, que nous étions vulnérables relativement à notre production de pétrole et de gaz et à notre accès à celle-ci, et que nous devrions envisager ce genre de projet et bien d’autres encore pour y remédier.
Jeudi, le ministre Wilkinson a également déclaré qu’Ottawa et les provinces devaient discuter de la possibilité de construire un oléoduc vers l’est du Canada afin d’améliorer la sécurité énergétique. Outre la « vulnérabilité » du Canada, qui exporte la grande majorité de son pétrole aux États-Unis, le ministre Wilkinson est préoccupé par le fait que l’Ontario et le Québec sont desservis par la ligne 5 d’Enbridge, un oléoduc qui traverse les États-Unis.
Entretemps, le premier ministre du Québec François Legault et le ministre de l’Environnement Benoit Charette ont déclaré qu’ils seraient ouverts à (re)considérer de tels projets afin de réduire notre dépendance envers les États-Unis sur le plan des exportations.
Le premier ministre Legault a d’ailleurs déclaré ce qui suit : « On ne peut pas se permettre le luxe de ne pas exploiter le pétrole avec la dette de 250 milliards qu’on a, avec les taux d’impôt les plus élevés en Amérique du Nord. Donc, il y a une urgence d’agir. Je sais que quelques dogmatiques empêchent ce développement. Le gouvernement devrait se dépêcher à prendre une participation, ensuite s’associer avec de grandes pétrolières qui ont l’expertise, puis aller de l’avant. »
Ces commentaires doivent être interprétés à la lumière de deux sondages récents qui, à la suite des actions de Trump jusqu’à présent, témoignent d’une vague de soutien et de fierté du Québec à l’égard du Canada.
On constate un phénomène semblable en Colombie-Britannique en raison d’un changement dans l’opinion publique, le chef du NPD ayant déclaré ce qui suit cette semaine : « Si vous n’achetez pas de pétrole et de gaz du Canada et de la Colombie-Britannique, l’alternative est le Venezuela. Nous croyons que nous sommes un ami et un allié des États-Unis. » Le gouvernement a également annoncé une liste de 18 grands projets à accélérer, y compris dans le secteur du transport du pétrole et du gaz, d’une valeur totale de 20 G$.
Le président Trump a-t-il un intérêt renouvelé pour le libre-échange entre le Canada et le Royaume-Uni?
Selon Ralph Goodale, Haut-commissaire du Canada au Royaume-Uni, la menace tarifaire est « une bonne raison et l’occasion idéale pour le Canada de travailler très fort à la diversification du commerce ». À ce sujet, M. Goodale a imploré Londres de retourner à la table de négociations avec le Canada même si les Britanniques l’ont quittée en janvier dernier en raison de différends concernant le bœuf et les produits laitiers lors des pourparlers entourant la création d’un accord de libre-échange permanent entre les deux pays. Le Canada dispose actuellement d’un accord de continuité commerciale avec le Royaume-Uni, lequel préserve les principaux avantages de l’AECG.
Cette impasse dans les négociations a également fait obstacle à la ratification par le Canada de l’adhésion de la Grande-Bretagne au bloc commercial indopacifique du PTPGP.
M. Goodale a reconnu que la reprise des pourparlers pourrait s’avérer difficile pour le nouveau gouvernement travailliste : « Nous sommes conscients que nous faisons affaire avec un nouveau gouvernement dont les priorités ne sont pas les mêmes et qu’il pourrait lui falloir un certain temps pour effectuer l’examen interne nécessaire, ce qui est compréhensible. »
C’est pourquoi, cette semaine, le premier ministre Justin Trudeau s’est entretenu avec le premier ministre britannique Keir Starmer et a déclaré qu’ils « se sont engagés à redoubler d’efforts pour faire progresser le commerce bilatéral ».
Entretemps, le compte rendu de l’appel du premier ministre Starmer a laissé entendre qu’ils avaient discuté de « la façon dont les deux pays pouvaient en faire davantage pour soutenir la croissance et répondre aux besoins des peuples travaillants du Canada et du Royaume-Uni ». Le premier ministre britannique s’est également félicité d’une « conversation internationale sur l’importance du commerce et de la collaboration entre alliés et partenaires ».
Rappelons-nous que le président Trump a également menacé d’imposer des tarifs au Royaume-Uni.
Enfin, cette semaine, le Canada a annoncé la conclusion fructueuse des négociations de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Équateur. Le Canada importe principalement des fruits tropicaux, des fleurs, du cacao et des fruits de mer de l’Équateur, tandis que l’Équateur importe surtout du blé, des lentilles et des pois du Canada. Une fois cet accord ratifié, le Canada bénéficiera d’accords commerciaux avec tous les pays de la côte sud-américaine du Pacifique.
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