Passer au contenu principal
Bulletin

Canada-Administration Trump 2.0 – bulletin 11

Fasken
Temps de lecture 18 minutes
S'inscrire
Partager

Aperçu

Dans ce bulletin, Alex Steinhouse, de l’équipe Relations gouvernementales et droit politique de Fasken, se penche sur les tarifs douaniers américains et les menaces à la souveraineté proférées par les États-Unis ainsi que sur la réponse du Canada.

(Quelques-unes des) actualités de la semaine dernière : tarifs douaniers américains et menaces à la souveraineté par les États-Unis

Au début de la semaine du 10 février, le président Trump a signé des décrets imposant des tarifs universels de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium (en anglais), sans aucune exception ni exemption. Lorsqu’ils entreront en vigueur le 12 mars prochain, les tarifs élargis couvriront toutes les importations, annulant par le fait même des accords conclus précédemment avec le Canada, l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon, l’Australie et d’autres pays.

En ce qui concerne le Canada, ces décrets mettent fin aux exemptions que le Canada avait négociées lors de la dernière présidence de Trump. Rappelons-nous qu’en 2018, lors de la renégociation de l’ALENA, le président avait imposé des tarifs de sécurité nationale au titre de l’article 232 de 25 % et de 10 % sur l’acier et l’aluminium canadiens, respectivement.

À la suite de tarifs de rétorsion de la part du Canada, les deux pays avaient finalement conclu une entente en mai 2019 afin d’exempter les produits d’acier et d’aluminium, à condition que les produits canadiens n’excèdent pas de façon significative le volume des échanges au-delà des volumes antérieurs pendant une longue période.

Pour l’acier, l’administration Trump a décidé d’imposer de nouveaux tarifs, car « les produits de l’acier sont importés aux États-Unis en quantité et dans des circonstances telles qu’ils menacent la sécurité nationale des États-Unis ». Elle souligne en outre que « les importations en provenance du Canada ont augmenté de 18 % depuis que le Canada a été exclu des tarifs au titre de l’article 232 » imposés en 2018.

En outre, il est mentionné dans le décret que les importations ont augmenté « au-delà des normes commerciales historiques pour de nombreuses lignes de produits clés [...] et [que] les autorités [du Canada et du Mexique] ont soutenu des producteurs non compétitifs par des subventions et d’autres interventions qui ont exacerbé la crise mondiale de la surcapacité ».

Quant à l’aluminium, le président Trump donne le Canada en exemple dans le décret pour justifier les tarifs : « En particulier, le volume des importations américaines d’aluminium primaire en provenance du Canada en 2024 était environ 18 % plus élevé que le volume moyen de 2015 à 2017. » Il ajoute que la portée des tarifs sera élargie pour inclure d’autres « produits dérivés de l’aluminium ».

La Maison-Blanche a ensuite annoncéque les tarifs seraient cumulatifs, ce qui signifie que les produits spécifiquement visés, tels que l’acier et l’aluminium, pourraient faire l’objet de tarifs de 50 %, incluant les tarifs initiaux de 25 % imposés sur les produits canadiens (à l’exception des produits énergétiques qui seraient soumis à des tarifs de 10 %).

L’administration Trump a également lancé l’idée d’imposer des tarifs au secteur automobile canadien en début de semaine. Lundi, le président Trump s’est expriméà ce sujet sur les ondes de Fox News : « Si nous ne concluons pas d’accord avec le Canada, nous allons imposer des tarifs élevés sur les voitures. Peut-être 50 % ou 100 %, car nous ne voulons pas de leurs voitures. Nous voulons en fabriquer à Détroit. » Le président a accusé le Canada de « voler » (article en anglais) le secteur automobile des États-Unis.

Puis, le jeudi 13 février, le président a présenté son plan (article en anglais) visant à augmenter les tarifs réciproques à l’échelle mondiale afin de se caler sur les taxes appliquées par les autres pays aux importations. Selon la note de service sur le commerce et les tarifs réciproques (en anglais), les taxes sur la valeur ajoutée constituent une barrière commerciale à inclure dans tout calcul de tarifs réciproques.

Des sources canadiennes rapportent que le président Trump considère la TPS comme une barrière commerciale. Il aurait d’ailleurs soulevé la question lors de son appel téléphonique avec le premier ministre Trudeau, le 3 février. Le premier ministre aurait rappelé au président que de nombreux États, y compris la Floride, son État d’adoption, appliquent une taxe sur les ventes.

Comme nous nous y attendions, la fiche d’information (en anglais) de la note mentionne aussi expressément la taxe sur les services numériques de 3 % du Canada, pour laquelle les premiers paiements ne sont dus qu’en juin (rétroactivement à 2022) : « Bien que les États-Unis n’aient rien de tel, et que seuls les États-Unis devraient être autorisés à percevoir des taxes auprès des sociétés américaines, les partenaires commerciaux remettent aux sociétés américaines une facture pour ce que l’on appelle une taxe sur les services numériques. » On ajoute que la France et le Canada perçoivent 500 millions de dollars américains par année auprès des sociétés américaines.

La note vise également à contrecarrer les barrières commerciales non tarifaires telles que la réglementation contraignante, les subventions publiques et les politiques de taux de change qui, selon la Maison-Blanche, restreignent la circulation des produits américains vers les marchés étrangers.

Pour justifier cette mesure, le président a déclaré qu’elle était nécessaire pour équilibrer les relations « injustes » des États-Unis et empêcher d’autres pays de profiter des États-Unis en matière de commerce.

Ces nouveaux tarifs entreront en vigueur une fois que l’équipe commerciale et économique du président Trump aura calculé les nouveaux niveaux de tarifs, à la lumière de son étude des relations tarifaires et commerciales bilatérales dans le monde entier. Howard Lutnick, qui a été choisi par le président pour le poste de secrétaire au Commerce, a laissé entendre que cela pourrait avoir lieu dès le 2 avril, alors que la note elle-même donne 180 jours pour achever l’étude et élaborer un plan. La Maison-Blanche a aussi insinué que le président n’excluait pas la possibilité d’imposer ultérieurement des tarifs « universels » afin de réduire le déficit commercial des États-Unis.

En signant cette note, le président a une fois de plus critiqué les dépenses du Canada en matière de défense et nous a qualifiés de « très mauvais » pour les États-Unis sur le plan commercial.

Il a aussi déclaré ceci : « Le Canada va se trouver dans une situation très intéressante, car nous n’avons tout simplement pas besoin de ses produits, et pourtant le pays survit grâce au fait que nous faisons 95 % de ce qu’il fait. [...] Pourquoi verserions-nous 200 milliards de dollars américains par année en subventions au Canada s’il ne s’agit pas d’un État? On le fait pour un État, mais on ne le fait pas pour un autre pays. »

Le président a également ajouté que le Canada est un « candidat sérieux pour devenir le 51ᵉ État [des États-Unis] ». Lorsqu’on l’a interrogé au sujet du report de la mise en œuvre des tarifs douaniers contre le Canada, M. Trump a dit qu’il avait parlé au « gouverneur Trudeau à de nombreuses reprises et qu’on verra ce qui va se passer ».

À la suite de son appel de 90 minutes avec le président Poutine cette semaine, le président a soutenu que la Russie devrait être réadmise (article en anglais) au sein du G7. Les deux présidents ont notamment commencé à discuter d’un plan de paix pour l’Ukraine (le Canada est l’hôte du sommet du G7 cette année).

Réponse du gouvernement fédéral canadien

Le premier ministre Trudeau a assisté à des congrès internationaux en Europe la semaine dernière. Lors d’un sommet sur l’intelligence artificielle à Paris, il a brièvement rencontré le vice-président J.D. Vance, peu de temps après l’annonce par le président des tarifs sur l’acier et l’aluminium.

Le premier ministre a dit (en anglais) qu’il avait averti le vice-président que cette nouvelle série de tarifs potentiels nuirait à son État, l’Ohio : « C’était juste un échange de salutations rapide, a dit M. Trudeau. Je lui ai fait remarquer que des exportations d’acier et d’aluminium du Canada d’une valeur de 2,2 milliards de dollars sont directement injectées dans l’économie de l’Ohio, souvent pour la fabrication là-bas. [Le vice-président] a acquiescé et en a pris note, mais l’échange n’est pas allé plus loin que ça. »

Le premier ministre a ajouté, en anglais, que le gouvernement fédéral travaillera avec ses homologues américains au cours des prochaines semaines pour tenter d’éviter l’imposition de tarifs, et il espère qu’il n’aura pas à recourir à des tarifs réciproques : « Si nous en arrivons là, notre réponse sera, bien sûr, claire et ferme. Nous défendrons les travailleurs canadiens. Nous défendrons les industries canadiennes. »

Il semble que toutes les options pour répondre à ces mesures relatives à l’acier et à l’aluminium soient sur la table, y compris une approche tarifaire réciproque semblable (article en anglais) à celle qui a été adoptée en 2018 dans le cadre de la dernière série de tarifs sur l’acier et l’aluminium. D’autres options comprennent des tarifs à l’exportation, des restrictions commerciales et l’expansion de nouveaux marchés d’exportation.

Une étude démontre (en anglais) que le Canada représente environ 23 % des importations américaines d’acier et près de 60 % des importations américaines d’aluminium, y compris dans des secteurs critiques et/ou sensibles pour la sécurité nationale.

Selon le Syndicat des Métallos (article en anglais), le Canada et les États-Unis échangent chaque année pour 20 milliards de dollars d’acier, et le Canada importe 39 % de son acier des États-Unis et y exporte 94 % de sa production. L’an dernier, le Canada a exporté pour 15,9 milliards de dollars d’aluminium aux États-Unis et en a importé pour 4,1 milliards de dollars.

Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada, a déclaré que les tarifs sur l’acier et l’aluminium de 2018 avaient eu un « impact dévastateur » sur les travailleurs canadiens : « Des milliers de travailleurs ont dû être licenciés et vivre dans l’incertitude, et les effets se sont répercutés sur les chaînes de fabrication, de construction et d’approvisionnement », a fait remarquer Mme Bruske. Elle a ajouté que 2000 travailleurs et 500 employeurs ont dû faire appel à l’aide d’urgence du gouvernement.

Pour les entreprises sidérurgiques canadiennes (article en anglais), les tarifs de 2018 se sont traduits par une diversification inévitable de leurs sources de revenus. Cette vague de tarifs devrait tout de même avoir des répercussions importantes pour elles.

Toutefois, étant donné que l’industrie américaine dépend fortement de l’acier canadien, surtout de l’aluminium, il est possible que le Canada adopte une approche différente de celle des tarifs réciproques, par exemple en imposant des taxes à l’exportation ou d’autres restrictions sur l’aluminium, qui est essentiel pour les industries américaines de la défense, de l’aviation et de l’automobile.

Cette semaine, Dominic LeBlanc, ministre des Finances et des Affaires intergouvernementales, a rencontré Howard Lutnick à la Maison-Blanche. Le ministre LeBlanc a confirmé (article en anglais) qu’il avait eu une conversation positive avec son homologue sur l’ampleur de l’intégration entre les secteurs de l’acier et de l’aluminium du Canada et des États-Unis et de l’interdépendance des économies liée à ce travail commun. Il est optimiste quant aux chances de parvenir à un accord mutuellement avantageux pour les deux pays, et ils se sont engagés à poursuivre la conversation dans les jours à venir.

Pendant ce temps, David McGuinty, ministre de la Sécurité publique, poursuit son travail de mise en œuvre du plan de sécurité à la frontière du Canada et de démonstration de son efficacité auprès des Américains. Il s’est rendu cette semaine au poste frontalier de Lansdowne, en Ontario, et a montré à Fox News un hélicoptère Black Hawk nouvellement loué. Il a également affirmé que le Canada allait bientôt ajouter les cartels au Code criminel en raison de leur trafic de fentanyl.

Enfin, l’ancien premier ministre canadien Stephen Harper a reçu des éloges de différents partis pour avoir déclaré, en anglais, ce qui suit cette semaine : « Je serais prêt à appauvrir le pays et à ne pas être annexé, si c’était l’option à laquelle nous sommes confrontés. Je pense que si Trump était déterminé, il pourrait vraiment causer des dommages structurels et économiques importants, mais je n’accepterais pas ça. Je serais prêt à accepter n’importe quel niveau de dommages pour préserver l’indépendance du pays. »

Les premiers ministres débarquent à Washington

Les premiers ministres provinciaux et territoriaux du Canada se sont rendus à Washington la semaine dernière et, grâce au travail d’une entreprise de lobbyisme américaine, 11 d’entre eux ont assisté à une réunion organisée à la dernière minute avec deux représentants de l’administration Trump à la Maison-Blanche.

Les premiers ministres ont décrit la réunion comme une occasion positive de faire valoir leurs arguments contre les tarifs douaniers. Toutefois, l’un de ces représentants de Trump a dévoilé par la suite qu’ils n’avaient « jamais convenu » que le Canada ne serait pas le 51ᵉ État. Des sources du gouvernement fédéral n’ont pas été impressionnées par cette réunion, estimant que les premiers ministres ont commis une série d’« erreurs de débutants » en acceptant la rencontre alors qu’ils n’y étaient pas préparés. Les premiers ministres auraient aussi sous-estimé les opinions fermes de l’administration Trump concernant l’imposition de tarifs douaniers.

De son côté, François Legault, le premier ministre du Québec, a attiré l’attention cette semaine en raison de certaines de ses déclarations à Washington.

Le premier ministre a affirmé que le Canada devrait renégocier immédiatement l’ACEUM et qu’il était prêt à faire des compromis dans ce processus, notamment dans les secteurs de l’aéronautique, de la foresterie et de l’aluminium, mais pas en ce qui concerne la gestion de l’offre ou la protection de la langue et de la culture françaises. Le premier ministre a également suggéré que le Canada impose des taxes à l’exportation sur les exportations d’aluminium vers les États-Unis, notamment pour inciter les producteurs québécois à diversifier leurs marchés d’exportation.

Dans une entrevue en anglais avec Politico, le premier ministre a raconté une anecdote sur M. Trump qui date de l’époque où il travaillait à Air Transat :

« En 1989, M. Trump a lancé un service aérien régional entre Boston et New York, nommé le Trump Shuttle. Le code de transporteur d’Air Transat – le code à deux caractères utilisé dans le monde entier – est “TS”.

M. Trump voulait l’acheter. Je lui ai dit : “No f--kin’ way” », a relaté M. Legault mercredi. (Le transporteur aérien de M. Trump a plutôt reçu le code TB.)

Lorsque les deux hommes se sont retrouvés à Paris l’année dernière à l’occasion de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame, M. Legault a demandé à M. Trump s’il se souvenait de cette histoire.

« Oui, je m’en souviens », aurait répondu M. Trump.

« Je lui ai demandé : “Vous souvenez-vous de ma réponse?” Il a répondu qu’il ne s’en souvenait pas. Je lui ai rappelé que je lui avais dit “No f--kin’ way”. Il m’a dit : “Tu es mon genre de gars.” »

Jeudi, les premiers ministres des territoires ont pris part à une conférence visant à plaider en faveur d’une collaboration canado-américaine sur le développement du Nord. Selon eux, cette collaboration est essentielle pour la sécurité et la diplomatie continentales et apportera d’immenses occasions économiques.

En outre, la ministre des Finances de la Colombie-Britannique a annoncé que le gouvernement provincial annulait son programme de remboursement de 1 000 $ pour l’épicerie et interrompait l’embauche gouvernementale, puisque la province se prépare aux tarifs américains. La ministre Brenda Bailey a fait savoir que les effets économiques des menaces de tarifs douaniers se font déjà sentir en Colombie-Britannique et qu’il ne faut pas sous-estimer leur incidence.

Contactez les auteurs

Pour plus d'informations ou pour discuter d'un sujet, veuillez nous contacter.

Contactez les auteurs

Auteurs

  • Daniel Brock, Associé | Responsabilité sociale d’entreprise, Toronto, ON | Ottawa, ON, +1 416 865 4513, dbrock@fasken.com
  • Guy W. Giorno, Associé | Droit politique, Toronto, ON | Ottawa, ON, +1 613 696 6871, ggiorno@fasken.com
  • Alex Steinhouse, Avocat-conseil | Relations gouvernementales et stratégie, Montréal, QC, +1 514 397 4356 , asteinhouse@fasken.com

    Abonnement

    Recevez des mises à jour de notre équipe

    S'inscrire