Depuis notre dernière mise à jour, l’administration Trump a imposé des tarifs de 25 % sur l’acier et l’aluminium canadiens le 12 mars. Le Canada a imposé des tarifs de rétorsion touchant 29,8 milliards de dollars de biens américainsle jour suivant, le 13 mars.
Cette semaine, nous avons sur notre radar les menaces du président Trump concernant le 2 avril et les premiers jours de la réponse canadienne sous la gouverne du nouveau premier ministre Mark Carney, alors que des élections fédérales sont largement attendues. Elles seront lancées ce week-end, et le jour du scrutin devrait être le 28 avril ou le 5 mai.
À quoi devons-nous nous attendre pour le 2 avril?
Comme nous l’avons mentionné dans notre dernier bulletin, le président Trump promet que des tarifs douaniers « réciproques » seront imposés dès le 2 avril. Par conséquent, les représentants de l’administration Trump 2.0 se prépareraient à appliquer des tarifs sur des importations équivalant à des « billions » de dollars (article en anglais).
Depuis l’imposition des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, le premier ministre ontarien Doug Ford, accompagné des ministres fédéraux Dominic LeBlanc et François-Philippe Champagne, a rencontré le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, le 13 mars. L’objectif était de faire baisser la tension après la surtaxe de 25 % appliquée par l’Ontario à ses exportations d’électricité (la province a depuis fait marche arrière), à laquelle les Américains avaient répliqué en menaçant d’imposer des tarifs de 50 % sur l’acier et l’aluminium canadiens.
Les représentants canadiens espéraient que cette rencontre à Washington serait un pas dans la bonne direction et permettrait de réparer notre partenariat commercial crucial avec nos voisins du Sud et d’éviter des droits de douane supplémentaires.
Toutefois, selon le premier ministre de l’Ontario, les États-Unis ont fait savoir, à huis clos, leur intention d’aller de l’avant avec les tarifs douaniers mondiaux du 2 avril. Le Canada doit donc « travailler à être en première ligne pour des exemptions ». « Je peux vous dire ce qu’ils veulent, a poursuivi M. Ford. Le 2 avril, ils vont imposer des droits de douane sur le monde entier. Nous nous efforçons d’être les premiers en ligne pour obtenir des exemptions, et nous avons dit très clairement à l’administration en quoi, à notre avis, ces droits de douane nuiront au peuple américain. Oui, ça va faire mal au Canada, mais ça va aussi faire mal aux Américains. »
En expliquant pourquoi il avait changé d’idée quant à la surtaxe d’hydroélectricité, Doug Ford a insisté sur le fait que s’il n’avait pas été prêt à l’imposer, « la réunion n’aurait jamais eu lieu » et « nous nous serions renvoyé la balle de part et d’autre » dans un cycle sans fin. « Nous avons quitté le pays en sachant ce que les États-Unis veulent », a-t-il déclaré.
Au sujet de la menace du 51e État de M. Trump, M. Ford a lancé (article en anglais) : « Je le prends d’une autre façon. C’est tout un compliment. Chose certaine, nous ne serons jamais le 51e État. Le Canada n’est pas à vendre. Mais c’est quand même flatteur que quelqu’un pense que nous avons le meilleur pays au monde et qu’il veut y avoir accès, non? Ma réponse est simple : vous voulez un accès. Travaillons ensemble pour bâtir une forteresse Amérique-Canada. »
Mercredi, Edith Dumon, lieutenante-gouverneure de l’Ontario, a assermenté le nouveau cabinet du premier ministre Ford, qui conserve la même taille qu’avant les élections et présente un seul nouveau visage. M. Ford a indiqué que le cabinet se concentrerait sur les menaces économiques qui pèsent sur le Canada, les qualifiant de « l’un des défis les plus urgents et les plus grands de l’histoire de notre province ».
À l’approche du 2 avril, Scott Bessent, secrétaire au Trésor, a laissé savoir (article en anglais) que l’administration Trump envisage d’imposer un seul taux tarifaire par pays à chacun des partenaires commerciaux des États-Unis, qui auront la possibilité de les éviter en diminuant leurs propres tarifs ou en prenant d’autres mesures pour apaiser les Américains : « Le 2 avril, chaque pays recevra un chiffre qui, selon nous, est représentatif de ses tarifs. Pour certains pays, il pourrait être assez bas tandis que, pour d’autres, il pourrait être assez élevé. »
« Nous allons leur dire : “Voilà où nous pensons que les droits de douane doivent être en raison des barrières non tarifaires, de la manipulation des devises, du financement injuste, de la répression de la main-d’œuvre, etc. Si vous arrêtez tout ça, nous n’érigerons pas de mur tarifaire” », a-t-il ajouté.
Optimiste, M. Bessent estime que de nombreux droits de douane n’entreront pas en vigueur parce que des pays accepteront de modifier leurs propres droits sur les importations avant l’annonce du 2 avril.
On ne sait pas exactement quelle autorité juridique le président invoquera pour appliquer les tarifs. Le plan pourrait être de ramener le tarif américain moyen à son niveau du début des années 1930, soit 20 %.
Le Wall Street Journal rapporte que ce plan pour le 2 avril fait suite à un plan précédent visant à « simplifier l’imposition de droits de douane à des centaines de partenaires commerciaux des États-Unis en classant les pays dans trois catégories de droits de douane (élevés, moyens, faibles) ».
Le président Trump et les élections fédérales à venir au Canada
Au cours d’une entrevue accordée à Fox News cette semaine, le président Trump a affirmé qu’il lui importait peu que les mesures prises par son administration contre le Canada puissent propulser le Parti libéral vers la victoire aux prochaines élections fédérales (qui devraient fort probablement être déclenchées dans les jours à venir) et que son administration représente un enjeu important pour de nombreux électeurs canadiens : « Je pense qu’il est plus facile de traiter avec un libéral, et peut-être qu’il va gagner, mais je m’en fiche complètement. Ça ne m’importe absolument pas. »
En ce qui concerne le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, le président a fait les commentaires suivants : « Le conservateur qui se présente n’est, bêtement, pas mon ami. Je ne le connais pas, mais il a tenu des propos négatifs. Et quand il dit des choses comme ça, je m’en fiche royalement. »
M. Poilievre a répondu en ligne que l’opinion de M. Trump prouve qu’il est mieux placé que le premier ministre Carney pour négocier avec lui : « Hier soir, le président Donald Trump a appuyé Mark Carney. Pourquoi? Parce que, comme il l’a dit, c’est “plus facile” de le gérer, et il sait que je serai un négociateur déterminé qui mettra toujours le Canada d’abord. »
Puis, lors d’une conférence de presse, M. Poilievre a réitéré sa position, en anglais : « C’est vrai. Je suis un leader fort, je suis intraitable dans mes négociations, je défends avec ferveur mes convictions, et je ferai toujours passer le Canada en premier. »
Il a ajouté que les libéraux avaient « bloqué des projets d’exploitation de ressources, augmenté les impôts et fait des investissements d’un demi-billion de dollars aux États-Unis. Mark Carney ne lui tiendra pas tête et ses politiques libérales maintiendront le Canada dans une position de faiblesse ».
À quand le premier contact Trump-Carney?
Décision symbolique : le premier ministre Carney a rendu visite à ses homologues britannique et français dans leur capitale respective puis s’est rendu à Iqaluit pour faire une annonce sur la sécurité dans l’Arctique, plutôt que d’essayer d’obtenir une rencontre à la Maison-Blanche. Ce voyage inaugural de 36 heures avait pour but de rappeler les racines britanniques, françaises et autochtones du Canada dans le contexte de la guerre commerciale avec nos voisins américains.
Au moment d’écrire ces lignes, le premier ministre Carney n’avait pas encore parlé au président Trump. À ce propos, le premier ministre a d’ailleurs affirmé, en anglais, qu’il n’était pas pressé de le faire ni « accaparé par les “initiatives” quotidiennes du président Trump » et qu’il se concentrait plutôt sur la construction d’une économie canadienne plus forte et plus diversifiée.
M. Carney a souligné que le « point de départ » d’un appel avec M. Trump sera la réaffirmation par le président de la souveraineté canadienne : « J’ai hâte d’avoir, au moment opportun, une discussion entre deux pays souverains qui sera exhaustive et qui ne ciblera pas un seul enjeu. Il y aura un large éventail de questions dont nous devrons discuter lorsque ce moment arrivera », a-t-il précisé.
Kirsten Hillman, ambassadrice du Canada à Washington, a mentionné que la conversation n’aura pas lieu immédiatement, mais « au moment opportun ».
Et qu’est-ce que le premier ministre Carney pense que le président Trump attend de cette guerre commerciale? « Une fin à la crise du fentanyl aux États-Unis. Je respecte cela. Il veut des emplois bien rémunérés aux États-Unis. Il veut plus d’investissements aux États-Unis. Il souhaite le rapatriement de nombreuses industries et entreprises américaines aux États-Unis, et je respecte pleinement cela », a affirmé M. Carney.
« Je pense qu’il respectera le fait qu’en tant que premier ministre du Canada, je veux mettre fin à la crise du fentanyl au Canada. Je veux créer des emplois de qualité et bien rémunérés au Canada. Et, bien sûr, avec mes collègues, je veux protéger, réaffirmer et renforcer la souveraineté du Canada en entier. Voilà le point de départ de la discussion. »
M. Carney a également déclaré, en anglais, que les droits de douane imposés par l’administration Trump remettaient en question la validité de l’ACEUM et notre relation de sécurité avec les États-Unis : « Cela signifie que nous devrions avoir une conversation plus large, qui portera sur nos relations commerciales et, par le fait même, sur nos relations en matière de sécurité avec les États-Unis », a-t-il affirmé.
Annonces du premier ministre Carney en matière de défense
En ce qui concerne l’aspect sécurité de notre relation avec les Américains, l’annonce faite à Iqaluit concernait ce qui serait la plus importante exportation de matériel de défense de l’Australie si elle était menée à terme. Le Canada a l’intention de s’associer à l’Australie pour mettre au point une technologie de radar transhorizon perfectionnée, ce qui constituerait « un investissement de plus de 6 milliards de dollars visant à assurer une couverture radar d’alerte lointaine et un suivi des menaces jusqu’à l’Arctique ». Le financement en tant que tel n’est pas nouveau (article en anglais), ayant déjà été alloué à cette fin, mais n’ayant pas encore été dépensé.
Dans les médias australiens, on rapporte que cette technologie devait initialement être vendue aux États-Unis, mais qu’à la suite d’une conversation cette semaine entre le premier ministre Carney et le premier ministre australien Anthony Albanese, la situation a changé : « Les États-Unis poursuivant leur campagne de droits de douane à l’égard d’autres pays, le premier ministre Anthony Albanese a jugé qu’il était judicieux pour l’Australie de “diversifier” ses relations commerciales. »
M. Carney a également annoncé à Iqaluit que le Canada assurera une présence plus importante et soutenue des Forces armées canadiennes dans l’Arctique tout au long de l’année par le biais d’un investissement de 420 millions de dollars.
Toujours sur le plan de l’approvisionnement en matière de défense, le New York Times rapporte que le Canada est en « pourparlers avancés » avec l’Union européenne pour participer à son nouveau projet industriel militaire, une « mesure qui permettrait au Canada de prendre part à la construction d’avions de chasse et d’autres équipements militaires européens dans ses propres installations industrielles » au Canada.
Deux représentants, l’un de l’Union européenne et l’autre du Canada, ayant une connaissance directe des discussions ont mentionné que des pourparlers détaillés étaient en cours pour intégrer le Canada dans la nouvelle initiative de défense de l’Union européenne. L’objectif est de stimuler le secteur de la défense de l’UE et d’offrir éventuellement une solution de rechange crédible aux États-Unis, qui dominent actuellement le secteur de la défense.
Cette annonce fait suite à un appel récent (dimanche) entre le premier ministre Carney et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, au cours duquel la coopération militaro-industrielle a été abordée.
La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a confirmé cette information, en anglais : « Nous avons eu des discussions avec l’Union européenne pour nous assurer que nous pourrions travailler ensemble sur l’approvisionnement en matière de défense. Je pense que les bonnes nouvelles s’en viennent, car, en fin de compte, nous devons nous assurer que nous pouvons être plus près des Européens, [...] y compris en ce qui concerne l’approvisionnement en défense ».
Le premier ministre Carney a également ordonné un réexamen du projet d’achat par le Canada de 88 avions de chasse F-35 à la société américaine Lockheed Martin. Le Canada avait signé une entente de 19 milliards de dollars pour l’achat des 16 premiers avions, avec des options pour le reste. M. Carney a confirmé que le Canada se réservait le droit de ne pas exercer ces options d’achat.
Mercredi, le premier ministre a rencontré virtuellement les membres du Conseil sur les relations canado-américaines, puis il a présidé sa première réunion du Comité du Cabinet chargé des relations canado-américaines et de la sécurité nationale. En plus de ce comité du Cabinet, le premier ministre a pris la parole devant trois autres comités du Cabinet : le Conseil du Trésor, le Comité chargé des opérations et le Groupe d’intervention en cas d’incident.
Enfin, cette semaine, le premier ministre Carney devrait convoquer une réunion virtuelle des premiers ministres provinciaux et territoriaux axée sur le commerce entre le Canada et les États-Unis (article en anglais). Il a rencontré la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, à Edmonton jeudi.
Acheter canadien
Ce n’est pas seulement un sujet d’actualité : le boycottage canadien des destinations de voyage américaines depuis que les menaces et les actions du président Trump à l’égard du Canada est bel et bien réel.
Selon les données du US Customs and Border Protection, près de 500 000 voyageurs de moins ont traversé la frontière terrestre entre le Canada et les États-Unis en février par rapport au même mois l’an dernier. Il s’agit du niveau de voyageurs le plus bas depuis avril 2022, lorsque les restrictions de voyage liées à la COVID-19 étaient encore en vigueur.
Les voyagistes américains rapportent aussi des baisses des réservations pouvant atteindre 85 %. Au Canada, les ventes de produits d’épicerie ont augmenté de 10 %.