La frontière Canada–États-Unis passe avant tout à Ottawa
La deuxième réunion du Comité du Cabinet chargé des relations canado-américaines s’est tenue au début de la semaine dernière. Elle a porté notamment sur les préoccupations relatives à la frontière canado-américaine.
Cette réunion s’inscrivait dans la foulée des déclarations de certaines des personnes nommées par le président désigné Trump à des postes de haut niveau au sein de son administration qui avaient exprimé, au cours de la semaine, leurs doutes concernant les contrôles frontaliers du Canada vers les États-Unis, perçus comme insuffisants. Par exemple, Tom Homan, nommé par le président désigné Trump comme « tsar des frontières » – lui qui connaît bien la frontière canado-américaine, ayant grandi dans le nord de l’État de New York –, a fait des commentaires qui ont attiré l’attention.
Alex Steinhouse du groupe RG&DP met en contexte, dans les lignes ci-dessous, les préoccupations et les délibérations du Comité du Cabinet chargé des relations canado-américaines à Ottawa.
M. Homan, ancien directeur intérimaire d’Immigration and Customs Enforcement (l’organisme gouvernemental responsable du contrôle de l’immigration et des frontières), a déclaré qu’il y a une « vulnérabilité extrême à la sécurité nationale » (article en anglais) le long de la frontière canado-américaine et qu’il prévoit s’en occuper dès que l’administration Trump prendra le pouvoir le 20 janvier 2025. Des conversations difficiles entre le Canada et l’administration Trump à ce sujet sont donc à prévoir.
D’après M. Homan, des personnes originaires de pays qui, selon les États-Unis, parrainent des activités terroristes se servent du Canada comme porte d’entrée vers les États-Unis en raison de la nature poreuse de la frontière canado-américaine.
Les statistiques du US Customs and Border Protection (l’organisme responsable des douanes et de la protection des frontières américaines) étayent les déclarations de M. Homan. Des agents de la patrouille frontalière des États-Unis ont appréhendé plus de 19 000 personnes entre le 3 octobre 2023 et le 2 octobre 2024, en provenance de 97 pays différents, le long de la frontière entre l’État de New York, le Vermont, le Québec et l’est de l’Ontario. Bien qu’il ne soit pas comparable au nombre de migrants clandestins traversant la frontière entre le Mexique et les États-Unis, ce nombre est néanmoins supérieur au total des 17 exercices financiers précédents combinés.
En plus de M. Homan, Elise Stefanik, représentante du nord de l’État de New York au Congrès et candidate choisie par le président désigné Trump pour le poste d’ambassadrice aux Nations Unies, et Marco Rubio, sénateur et candidat au poste de secrétaire d’État, ont exprimé leur inquiétude (article en anglais) quant à la hausse alarmante de la traite de personnes et du trafic de drogues en provenance du Canada. De nombreux « terroristes et criminels connus » entreraient notamment illégalement aux États-Unis.
Il faut noter que le passage de migrants clandestins, qui est de plus en plus lucratif au Canada, a également soulevé des préoccupations dans l’opinion publique, certains de ces voyages ayant été mortels (article en anglais).
Lors de la conférence de presse qu’elle a donnée à l’issue de la réunion du Comité du Cabinet, la vice-première ministre Freeland a reconnu la légitimité des préoccupations de la future administration Trump et a déclaré que le gouvernement veillerait à ce que l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») dispose de l’effectif et des ressources nécessaires pour patrouiller et assurer la sécurité de la frontière. Le syndicat de l’ASFC avait déjà laissé entendre que 3 000 agents à temps plein (article en anglais) de plus seraient nécessaires pour lui permettre de s’acquitter efficacement de ses fonctions.
Au cours d’une conférence de presse précédente, Marc Miller, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, a livré un message semblable à celui de la vice-première ministre Freeland en se ralliant à M. Homan à ce sujet. Selon M. Miller, il faut en faire plus pour assurer la sécurité de nos frontières et le gouvernement attend avec impatience les « conversations difficiles » à venir.
En outre, face aux menaces de déportations massives de migrants par l’administration Trump et aux inquiétudes concernant l’afflux potentiel qui en résulterait au Canada, le ministre Miller a affirmé clairement la semaine dernière (article en anglais) que toute personne entrant au Canada le fera par la voie normale et que la « réalité est que tout le monde n’est pas le bienvenu ici ».
Dans un suivi à ce sujet, le ministre Miller a déclaré que le Canada s’attend à ce que les États-Unis respectent l’Entente sur les tiers pays sûrs, en vertu de laquelle les demandeurs d’asile sont tenus de présenter leur demande dans le premier pays sûr où ils arrivent, à moins d’être visés par une exception prévue par l’entente. Tout changement à cette entente devra être négocié, selon le ministre Miller, et ce, dans l’intérêt national du Canada et des États-Unis.
Il faut rappeler le contexte entourant cette conversation au sujet de l’Entente sur les tiers pays sûrs : à compter de 2017, et donc pendant la première administration Trump, le Canada a dû composer avec un afflux de migrants haïtiens le long d’un passage frontalier « clandestin » sur le chemin Roxham, au Québec. En plus des difficultés logistiques liées à l’hébergement et au traitement des demandes d’asile et des obstacles politiques considérables que la situation a créés pour le gouvernement libéral et ses homologues du Québec et de l’Ontario, il a fallu renégocier l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les Américains, ce qui a été un processus long et complexe.
En fin de compte, l’entente mise à jour sous l’administration Biden en 2023 a resserré les règles précédentes, qui avaient permis à des milliers de demandeurs d’asile des États-Unis de présenter leur demande au Canada. Toutefois, l’Entente sur les tiers pays sûrs renégociée contient toujours des exceptions, notamment celle de permettre à toute personne qui est entrée illégalement au Canada depuis les États-Unis et qui n’a pas été découverte pendant 14 jours de présenter une demande d’asile au Canada. En plus de la future exploitation potentielle de cette exception, la mise en œuvre de l’entente actuelle et toute renégociation future pourraient également faire l’objet de contestations judiciaires quant à leur conformité à la Charte.
Ces préoccupations relatives aux frontières et à l’immigration émergent alors que les sondages montrent que les Canadiens sont de plus en plus inquiets des niveaux élevés d’immigration et, plus précisément, du nombre de réfugiés et de personnes protégées que le Canada accepte. Dans cette optique, nous devrions nous attendre à ce que la sécurité frontalière, de façon générale, et l’Entente sur les tiers pays sûrs, en particulier, deviennent des sujets chauds importants tant au pays qu’avec l’administration Trump au cours des prochains mois.
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