Hasta La Vista Los Tres Amigos?
Lundi soir, le président désigné Trump a confirmé son intention d’imposer par décret, le jour de son entrée en fonction, des tarifs douaniers de 25 % sur les produits canadiens et mexicains ainsi que des tarifs supplémentaires de 10 % sur les produits chinois, le tout, en sus des tarifs habituels. M. Trump menace le Canada et le Mexique de leur imposer immédiatement des tarifs douaniers pour les encourager à freiner le trafic de drogues et le flux de migrants clandestins vers les États-Unis.
Toutefois, selon des sources canadiennes de haut niveau, le Canada n’a été mentionné qu’à la toute fin de l’annonce du président désigné Trump, lundi soir dernier, ce qui laisse entendre que son gouvernement pourrait se concentrer davantage sur la frontière au sud que sur la frontière au nord.
Il n’est donc pas surprenant de constater que le Canada s’efforce de se distancer du Mexique depuis les résultats de l’élection. Voilà pourquoi il convient d’examiner cette récente déclaration à la lumière d’une possible rupture du lien entre le Mexique et le Canada dans le cadre de négociations commerciales avec un partenaire commun encore plus puissant, les États-Unis.
Alex Steinhouse, avocat-conseil au sein du groupe RG&DP, fournit ci-dessous des précisions à ce sujet.
Le Mexique a été la cible de M. Trump lors de ses campagnes précédentes et ce fut encore le cas cette fois-ci. Lors de sa dernière campagne, M. Trump a promis d’imposer immédiatement un tarif de 25 % sur les biens en provenance du Mexique, à moins que ce pays ne mette fin à l’entrée de migrants clandestins, de fentanyl et de produits chinois subventionnés aux prix artificiellement bas. Si ses exigences ne sont pas respectées, M. Trump pourrait même aller jusqu’à imposer des tarifs de 100 %.
De plus, en ce qui concerne le secteur de l’automobile, M. Trump a promis l’imposition de tarifs d’au moins 200 % ou plus sur les véhicules importés à partir du Mexique. Il a également suggéré l’imposition de taxes pouvant atteindre 1 000 % auprès des constructeurs automobiles chinois qui exercent leurs activités au Mexique. M. Trump a exprimé sa consternation devant la possibilité que des constructeurs automobiles chinois construisent des usines de fabrication au Mexique. Et bien que ce ne soit pas encore le cas, BYD, le plus important fabricant de véhicules électriques chinois, prévoit effectivement construire une usine dans ce pays. Il convient toutefois de noter que bien que les investissements de la Chine au Mexique augmentent rapidement, ils demeurent relativement faibles comparativement à ceux d’autres pays (la Belgique, par exemple, y a investi davantage).
Depuis la conclusion de l’ALENA, en 1994, les liens entre Canada et le Mexique se sont immensément renforcés grâce aux accords commerciaux trilatéraux avec les États-Unis.
Partenaires commerciaux d’importance
Lors des négociations de l’ACEUM, selon des initiés, y compris un ancien haut fonctionnaire et négociateur mexicain, le Mexique aurait défendu l’inclusion du Canada dans l’accord commercial malgré les menaces des États-Unis de nous exclure. Il aurait également joué un rôle déterminant dans l’approbation des demandes du Canada, dont la conclusion de l’accord de règlement des différends et la prolongation du terme de l’accord, que le gouvernement Trump souhaitait d’abord plus court. Il est clair que le gouvernement du Canada reconnaissait l’utilité de ces négociations, car il a maintenu un front commun au lieu de faire cavalier seul face à son partenaire commercial tellement puissant et imposant.
Le Mexique est maintenant le troisième partenaire commercial de marchandises en importance du Canada (après les États-Unis et la Chine), tandis que le Canada est le quatrième plus important partenaire commercial de marchandises du Mexique. En ce qui concerne le poids combiné de nos deux pays sur le marché américain, le Canada et le Mexique représentent plus du tiers du commerce aux États-Unis, une part somme toute assez importante. Elle pèse toutefois peu dans la balance si on la compare au poids des États-Unis sur l’économie canadienne et mexicaine. Au Canada, 77 % des exportations se font vers les États-Unis; au Mexique, ce chiffre s’élève à plus de 80 %.
Au cours de la première présidence de Trump, le Mexique a pu profiter des mêmes tarifs que la Chine, ce qui lui a permis de la surpasser pour devenir le plus important partenaire commercial des États-Unis en 2021.
Cependant, au cours des semaines précédant l’élection, le Canada a manifesté de diverses façons sa volonté de sortir du statu quo afin d’éviter une guerre commerciale plus importante avec nos voisins du Sud.
Les premiers ministres canadiens s’expriment
Cela dit, le Canada envisage une nouvelle approche pour faire face à l’arrivée imminente du gouvernement Trump. Doug Ford, premier ministre de l’Ontario, a été le premier politicien canadien à suggérer l’expulsion du Mexique de l’ACEUM. Il soutient ainsi le point de vue de M. Trump selon lequel le Mexique ne partage pas la même vision que le Canada et les États-Unis quant à l’entrée de pièces chinoises dont le prix est artificiellement bas dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine, surtout pour les véhicules électriques.
Avant l’élection américaine, M. Ford était l’un des dirigeants canadiens à avoir convaincu le premier ministre Justin Trudeau d’appliquer, à l’instar du président Joe Biden, des tarifs douaniers de 100 % sur les véhicules électriques chinois dont les subventions de Pékin permettaient de faire chuter facticement les prix. Son intervention visait à protéger le secteur émergent des véhicules électriques de l’Ontario.
Peu après l’élection de M. Trump, M. Ford a fait remarquer que les échanges bilatéraux entre l’Ontario et les États-Unis se chiffraient à 493 G$ par année comparativement à seulement 40 G$ pour le Mexique. M. Ford, également président du Conseil de la fédération, a depuis déclaré que les premiers ministres étaient parvenus à un consensus clair sur le fait que le pays a besoin d’accords séparés avec les États-Unis et le Mexique.
« Tous les premiers ministres, nous savons que le Mexique importe des pièces chinoises bon marché, y appose des autocollants “fabriqué au Mexique” et les expédie via les États-Unis et le Canada, ce qui entraîne une perte d’emplois américains et canadiens », a souligné le premier ministre ontarien.
M. Ford a annoncé que les premiers ministres se rencontreront en personne à Toronto les 15 et 16 décembre pour se pencher davantage sur la question. Danielle Smith, première ministre de l’Alberta, s’est également prononcée sur le sujet en approuvant à « 1 000 % » la position de M. Ford sur l’exclusion du Mexique de l’accord commercial trilatéral. M. Ford a demandé la tenue d’une réunion des premiers ministres ce soir pour discuter d’une approche de type Équipe Canada afin de soutenir la collaboration avec le nouveau gouvernement Trump.
Réaction du gouvernement fédéral
En réponse au premier ministre Doug Ford, la vice-première ministre Chrystia Freeland a confirmé la possibilité de soustraire le Mexique des négociations commerciales, car elle reconnaît les préoccupations « légitimes » à l’égard des investissements chinois au Mexique. Elle estime que le Canada partage le même avis que les États-Unis en ce qui concerne les tarifs sur les véhicules électriques chinois, l’acier et l’aluminium, tandis que le Mexique, au contraire, s’y oppose.
Après avoir rencontré la présidente du Mexique Claudia Sheinbaum en marge de la réunion du G20 tenue la semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré avoir discuté directement avec elle des préoccupations réelles et légitimes au sujet des investissements de la Chine au Mexique. Même si M. Trudeau préférerait que le Mexique demeure un partenaire de libre-échange en Amérique du Nord, il est possible, selon lui, que nous devions envisager d’autres options s’il ne répond pas aux préoccupations relatives aux fabricants chinois qui cherchent à se tailler une place dans notre marché à travers le Mexique. Le premier ministre n’a pas voulu se prononcer davantage sur les options envisagées.
Chefs d’entreprises et dirigeants syndicaux canadiens
Les chefs d’entreprises et les dirigeants syndicaux canadiens soutiennent qu’il serait prématuré d’expulser le Mexique de l’ACEUM avant même d’avoir commencé sa révision en juin 2026. La Chambre de Commerce du Canada est d’avis que les trois pays doivent collaborer, que nous sommes meilleurs ensemble et que l’ACEUM a bénéficié aux Canadiens et aux entreprises canadiennes.
En outre, le président de l’Association des fabricants de pièces d’automobile du Canada, Flavio Volpe, qui faisait partie de l’Équipe Canada ayant participé aux négociations de l’ACEUM, affirme qu’il ne voit pas la valeur stratégique d’annoncer l’exclusion du Mexique avant même de connaître la nature de la menace. Il ajoute que nous devons nous assurer que notre message au Mexique est clair, être de bons partenaires et l’aider en ce sens. M. Volpe soutient notamment que les assembleurs canadiens et américains ont intérêt à garder le Mexique dans leur chaîne d’approvisionnement et que nous n’avons aucune chance de rivaliser avec la Chine si nous concédons nos rapports avec le Mexique.
Malgré ces discours, l’ACEUM ne contient aucune clause permettant au Canada ou aux États-Unis d’exclure le Mexique de l’accord avant 2036, ce qui rend peu probable une telle issue à court terme. L’article 34.6 permet toutefois à chacun des pays de se retirer, sous réserve d’un préavis de six mois. Selon les explications de Gabriela Siller, l’article 34.7 prévoit qu’un pays insatisfait à l’égard des actions d’un autre pays lors de l’examen conjoint de 2026 peut demander un nouvel examen chaque année subséquente afin de trouver une solution, et ce, pendant 10 ans, c’est-à-dire jusqu’au terme de l’accord. Si nous nous fions à ce qui est couché sur papier, il serait plus réaliste de conclure que le Mexique continuera de faire partie de l’ACEUM au moins jusqu’en 2036.
Quoi qu’il advienne, le Mexique entend le message haut et fort et réagit en conséquence. La présidente Claudia Sheinbaum a récemment déclaré que son gouvernement avait l’intention de remplacer la majorité des importations chinoises visées par ses propres produits, et ce, par l’entremise d’entreprises mexicaines ou majoritairement nord-américaines. Cette initiative comprendrait la fabrication de micropuces au Mexique. Et tandis que le gouvernement mexicain élimine divers organismes indépendants de surveillance et de réglementation, malgré les préoccupations des chefs d’entreprises canadiennes et américaines, il prétend le faire en s’efforçant de respecter les normes minimales exigées par l’ACEUM.
Dans une lettre publiée hier, Mme Sheinbaum expose les plans du Mexique à l’égard des pièces et des véhicules électriques chinois, ainsi que sa stratégie de lutte contre le trafic de fentanyl. Elle souligne également que les efforts déjà déployés par le Mexique ont considérablement réduit le nombre d’arrestations de migrants clandestins à la frontière mexico-américaine. Cela dit, elle a également envoyé un message clair à M. Trump : le Mexique envisagera l’imposition de tarifs de rétorsion sur les importations américaines si le président désigné met ses menaces à exécution, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sur les fabricants automobiles américains ayant des usines au Mexique, comme General Motors et Ford. Mme Sheinbaum prévoit s’entretenir avec M. Trump et envoyer une lettre au premier ministre Justin Trudeau dès que possible.
La prospérité des zones d’échanges commerciaux en Amérique de Nord suscite l’envie du monde entier. En fait, les études démontrent que le marché nord-américain, composé de près d’un demi-million de personnes, a tout ce qu’il faut pour devenir le plus important bloc économique dans plusieurs secteurs : énergie et ressources; talents; technologies et innovation en sciences de la vie; et technologies de l’information. Compte tenu des bouleversements qui s’annoncent, il nous incombe de rappeler aux décideurs qu’il vaut mieux garder la tête froide et que le multilatéralisme est la solution la plus avantageuse pour tous les Nord-Américains.
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