Le premier ministre se rend dans le Sud
Nouvelles de dernière heure : le premier ministre Justin Trudeau se trouve à West Palm Beach, en Floride, pour un souper avec le président désigné Trump. Il semble que notre premier ministre soit le premier dirigeant du G7 à rencontrer M. Trump en personne depuis son élection.
Peu avant, soit mercredi soir, M. Trudeau avait rencontré virtuellement ses homologues provinciaux dans le cadre d’une réunion convoquée de toute urgence pour discuter de la voie à suivre relativement à la menace de Trump d’imposer des droits de douane de 25 % au Canada et au Mexique. Alors que le gouvernement fédéral tente encore une fois de mettre en place une approche « Équipe Canada » dans les relations entre le Canada et les États-Unis, les failles dans le front commun proposé ne font que s’aggraver, tant parmi les provinces que parmi les partis d’opposition à Ottawa.
Alex Steinhouse, avocat-conseil au sein du groupe RG&DP, fournit ci-dessous des précisions à ce sujet.
Réunion des premiers ministres
Mercredi, le premier ministre Justin Trudeau, accompagné de la vice-première ministre Chrystia Freeland, du ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, et de l’ambassadrice du Canada aux États-Unis, Kirsten Hillman, a tenu une réunion virtuelle avec les premiers ministres des provinces et des territoires pour discuter de la relation entre le Canada et les États-Unis.
Selon le compte rendu de la réunion établi par le bureau de Justin Trudeau, les premiers ministres « ont discuté de la manière dont les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient collaborer au sein d’une même Équipe Canada pour renforcer les relations étroites entre le Canada et les États-Unis et veiller à ce que les deux pays travaillent ensemble dans des domaines d’intérêt mutuel ». Il s’agit notamment de favoriser le commerce et l’investissement, de maintenir la sécurité et l’intégrité de notre frontière commune, de protéger les chaînes d’approvisionnement transfrontalières et de soutenir les secteurs manufacturiers canadien et américain.
M. Trudeau a fait valoir que le gouvernement fédéral a grandement investi pour enrayer le fléau du fentanyl ainsi que pour assurer une meilleure application de la loi à la frontière. Il a rappelé aux premiers ministres provinciaux que le nombre de personnes appréhendées qui entrent aux États-Unis n’est pas très élevé par rapport au nombre de personnes qui arrivent du Mexique, et il en va de même pour la grande disparité des quantités de fentanyl qui entrent illégalement aux États-Unis.
Selon les chiffres des autorités douanières américaines (U.S. Customs and Border Protection) cités par le gouvernement du Canada lors du dernier exercice financier, les agents des services frontaliers américains ont procédé à 23 721 arrestations de migrants qui tentaient de traverser illégalement depuis le Canada, ce qui représente plus du double des 10 021 arrestations menées pendant l’exercice précédent (à la frontière sud, les agents des services frontaliers ont effectué 1,53 million d’arrestations au cours de la même période).
Toutefois, la situation à la frontière nord est plus complexe. Selon le témoignage des autorités douanières américaines devant le comité de la Chambre sur la sécurité intérieure le printemps dernier, la majorité des personnes qui traversent la frontière pour entrer aux États-Unis en provenance du Canada sont des [traduction] « personnes qui tentent d’échapper à leur arrestation, ce qui diffère de la frontière sud-ouest, où les chefs du secteur frontalier ont mentionné au comité [de la sécurité intérieure de la Chambre des représentants] que de grands groupes se livrent maintenant directement aux agents des services frontaliers dans l’espoir d’être libérés immédiatement dans le pays ».
En fait, la grande majorité des personnes qui traversent la frontière américaine en provenance du Nord sont des adultes célibataires, ce qui soulève des préoccupations quant aux menaces possibles à la sécurité que posent la majorité des personnes qui ne sont pas placées en détention immédiate avant leur procès. Fait alarmant, parmi les individus appréhendés à la frontière nord par les agents des services frontaliers, 87 % figuraient dans la base de données de détection du terrorisme aux États-Unis (US Terrorist Screening Database; également appelée « liste des terroristes recherchés ») au cours de l’exercice financier écoulé.
L’agence frontalière américaine a saisi 43 lb de fentanyl à la frontière canado-américaine au cours de la dernière année, excluant octobre, comparativement à 21 148 lb à la frontière mexico-américaine au cours de la même période.
Commentaires de la vice-première ministre et du ministre de la Sécurité publique sur la réunion des premiers ministres
Lors de la conférence de presse qui a suivi celle des premiers ministres, la vice-première ministre Freeland a énuméré une série de faits notables sur la relation canado-américaine : le Canada est, de loin, le plus important marché pour les États-Unis – il est en fait plus important que la Chine, le Japon, le Royaume-Uni et la France, réunis. Qui plus est, les États-Unis comptent sur le Canada pour leurs produits essentiels, dont le pétrole, l’électricité, les minéraux critiques et les métaux. Avec l’adoption croissante de l’intelligence artificielle, les besoins des États-Unis en matière d’exportations ne feront qu’augmenter.
Quant au ministre LeBlanc, il a annoncé qu’il travaillera avec les premiers ministres des provinces et des territoires au cours des prochaines semaines pour établir une approche « Équipe Canada » en matière de sécurité frontalière et nationale et pour veiller à ce que le système d’immigration soit en ordre. Il a souligné la nécessité de dépenser davantage d’argent à court terme, notamment pour accroître la capacité d’intervention des agents de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), ainsi que pour acquérir de nouvelles technologies, des drones et des hélicoptères. Il espère que l’opposition politique à Ottawa mettra de côté l’obstruction pour agir dans l’intérêt du Canada à cet égard.
M. LeBlanc n’a cependant fourni ni détail ni échéancier concernant ces nouvelles dépenses, si ce n’est qu’il a dit que son bureau travaille depuis des mois avec les fonctionnaires du ministère des Finances, la GRC et l’ASFC pour déterminer ce qui est nécessaire et faisable.
Depuis, des sources gouvernementales ont laissé entendre que ces investissements dans la sécurité frontalière seront annoncés dans les semaines à venir, soit dans l’Énoncé économique de l’automne, soit séparément, si l’impasse parlementaire persiste à Ottawa.
Les deux ministres ont affirmé que tous les participants à la réunion se sont mis d’accord sur le fait qu’« il est temps que tout le monde joue pour l’équipe canadienne ».
Lorsque Mme Freeland a été interrogée sur la véracité de cette affirmation, elle a admis qu’il y avait des points de vue différents à la table, mais elle a souligné que l’un des premiers ministres, qui n’est généralement pas d’accord avec M. Trudeau, avait déclaré qu’il n’arrivait pas à croire qu’il était d’accord avec ce dernier sur autant de points.
Que disent les premiers ministres provinciaux?
Plusieurs premiers ministres ne portent pas les mêmes lunettes roses que le gouvernement fédéral en ce qui concerne les perspectives d’une approche unifiée d’Équipe Canada. Avant la réunion, de nombreux premiers ministres ont clairement indiqué qu’ils s’attendaient à ce que le premier ministre Trudeau présente un plan détaillé pour assurer la sécurité à la frontière. Ils ont quitté la réunion déçus et ont commencé à planifier des mesures d’urgence au sein de leurs propres territoires de compétence.
Dans une déclaration faite immédiatement après la réunion, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a indiqué qu’il avait fait part, au cours de la réunion, de ses critiques concernant la lenteur de la réaction d’Ottawa aux préoccupations des États-Unis en matière d’économie et de sécurité. « J’ai souligné que le gouvernement fédéral a tardé à réagir et reste sur la défensive », a-t-il déclaré.
M. Trudeau a indiqué qu’il espérait que cette rencontre, qu’il avait lui-même demandée lundi, serait « le début d’une approche plus proactive de la part du gouvernement fédéral, notamment en montrant qu’il prend au sérieux la sécurité de notre frontière en réprimant les passages illégaux à la frontière et en arrêtant le transport d’armes et de drogues illégales et illicites comme le fentanyl, ou en risquant le chaos économique des tarifs douaniers de Trump ».
Plus tôt ce jour-là, le gouvernement de l’Ontario a annoncé qu’il prenait les choses en main, en lançant une campagne publicitaire de plusieurs millions de dollars aux États-Unis pour souligner les liens économiques étroits entre ce pays et la province et les possibilités futures entre les deux. M. Ford a également annoncé que la Police provinciale de l’Ontario (OPP) était prête à collaborer avec les organismes fédéraux pour renforcer l’application de la loi à la frontière.
Depuis sa déclaration, M. Ford a semblé plus enthousiaste à l’égard de la réunion, affirmant qu’il croyait que la conversation avait été très constructive. Dans une entrevue accordée jeudi dernier, il a insisté sur le fait qu’il est persuadé que nous parviendrons rapidement à envoyer à M. Trump le message que le Canada fait de la sécurité frontalière une priorité.
Quant au premier ministre du Québec, François Legault, il a déclaré hier soir que le premier ministre Trudeau n’avait pas réussi, au cours de la réunion, à présenter un plan suffisamment détaillé qui puisse satisfaire M. Trump. M. Legault a déjà déclaré qu’il enverrait des agents de la Sûreté du Québec à la frontière entre le Québec et les États-Unis et a exigé que le Québec ait son propre représentant à la table des négociations économiques avec les Américains. Il craint que les principales industries du Québec, comme l’aérospatiale, la foresterie et l’agriculture, ne soient sacrifiées pour épargner le secteur pétrolier de l’Alberta et celui de l’automobile de l’Ontario.
Cependant, jeudi matin, M. Legault a quelque peu changé de discours, en déclarant qu’il était satisfait de ce qu’il avait entendu par la suite de la part des ministres Freeland et LeBlanc, et qu’il avait hâte de connaître tous les détails du plan.
Danielle Smith, la première ministre de l’Alberta, a pour sa part déclaré que sa province [traduction] « agira de toute urgence et de manière décisive pour patrouiller à la frontière commune [de l’Alberta] avec le Montana, et que davantage de détails seraient annoncés bientôt à cet égard ». Bien qu’elle s’oppose aux droits de douane, elle estime que M. Trump a « des préoccupations valables liées aux migrants illégaux et à la contrebande de drogues à notre frontière commune ». Elle a déjà laissé entendre que le premier ministre Trudeau n’était peut-être pas la bonne personne pour affronter M. Trump lors des négociations en raison de l’animosité politique qui règne entre eux.
En plus d’exiger que le Canada atteigne immédiatement son objectif de 2 % de son PIB pour l’OTAN, Mme Smith a également affirmé que le gouvernement fédéral devait immédiatement renoncer à promulguer un « plafond de production d’énergie qui entraînerait une réduction massive des livraisons de pétrole aux États-Unis [...] en signe d’engagement envers la sécurité énergétique et le partenariat nord-américains ».
Quant au premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, il a déclaré que sa province partageait les préoccupations de M. Trump concernant les frontières et a fait part à plusieurs reprises à Ottawa de ses inquiétudes concernant les coupes dans le financement de l’ASFC, notamment en ce qui concerne le contrôle des cargaisons de fentanyl ou de produits chimiques précurseurs dans les ports de la province.
Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a indiqué que sa province était disposée à faire cavalier seul, en déclarant que la Saskatchewan était [traduction] « prête à utiliser tous les leviers à sa disposition pour mettre un terme aux droits de douane et qu’elle s’adresserait directement aux États-Unis ».
De son côté, Wab Kinew, premier ministre du Manitoba, a déclaré qu’il se réjouit de jouer un rôle au sein d’Équipe Canada mais que sa priorité est de diriger le Manitoba. Il continue d’exhorter le gouvernement fédéral à remplir sans délai l’objectif fixé par l’OTAN et à intensifier ses efforts pour lutter contre le trafic de stupéfiants et renforcer la sécurité à la frontière. Il a également laissé entendre que les premiers ministres étaient unis dans leur volonté de préserver cette relation essentielle.
Enfin, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrey Furey, qui préside le groupe des premiers ministres de la région de l’Est, dont fait partie le Québec, souhaite rencontrer ses homologues de la Nouvelle-Angleterre pour leur expliquer les effets qu’auraient les droits de douane sur leurs tarifs d’électricité.
M. Furey a formulé quelques commentaires positifs sur la réunion de mercredi en ce qui concerne l’approche Équipe Canada : [traduction] « Même si nous avons souvent des divergences d’opinions avec le gouvernement fédéral, comme c’est le cas dans presque toutes les autres provinces, je pense qu’il y a eu, qu’il peut y avoir et qu’il devrait y avoir un front uni dans notre approche vis-à-vis des États-Unis, tout en respectant les particularités régionales ».
Qu’en est-il des partis d’opposition au fédéral?
Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, a qualifié la menace tarifaire de Trump d’« injustifiée » et a laissé entendre qu’il serait prêt à imposer des droits de douane en représailles si nécessaire. Cependant, contrairement à la dernière fois où des conservateurs de haut rang, comme l’honorable Rona Ambrose et l’honorable James Moore, ont joué un rôle actif au sein de l’Équipe Canada, M. Poilievre ne semble pas souhaiter se joindre à une équipe unie pour faire face à l’administration Trump.
M. Poilievre a été catégorique en affirmant que le gouvernement libéral n’était pas prêt pour l’administration Trump, et que tout ce qui a été proposé comme réponse à la menace des droits de douane est un « appel Zoom » – c’est-à-dire la réunion des premiers ministres. Il a également insisté sur le rôle des provinces pour combler le vide laissé par l’inaction d’Ottawa en matière de sécurité frontalière.
Jusqu’à maintenant, M. Poilievre rejette l’approche « Équipe Canada » lorsqu’on lui demande ce qu’il en pense, affirmant qu’elle n’est guère utile : [traduction] « Ce dont nous n’avons pas besoin, c’est d’un spectacle de politiciens assis autour de tables, qui se réunissent et se livrent à des séances de photos, a-t-il déclaré. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un plan d’action avec des éléments tangibles. »
En ce qui concerne la stratégie des conservateurs pour faire face à l’administration Trump et aux droits de douane plus particulièrement, M. Poilievre avance que le Canada a besoin d’un leader ayant [traduction] « un cerveau, une colonne vertébrale et un plan mettant le Canada au premier plan ». Ce plan comprend nécessairement l’abrogation de la taxe fédérale sur le carbone et la fin du plafonnement des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur pétrolier et gazier. Selon M. Poilievre, la meilleure façon de contrer la menace des droits de douane est de renforcer la productivité du Canada qui est à la traîne, et de consolider notre économie pour qu’elle puisse y résister. Pour ce faire, il faut selon lui que les Canadiens se rendent immédiatement aux urnes pour élire un nouveau gouvernement.
Parallèlement, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a suggéré au premier ministre de « se battre bec et ongles » et a appelé le gouvernement à mettre en place une « cellule de crise » : [traduction] « la seule chose à laquelle répond un intimidateur, c’est la force », a déclaré le chef du NPD lors de la période de questions. De plus, le député néo-démocrate Blake Desjarlais a invité le Canada à diversifier son commerce en dehors des États-Unis.
Quant au chef du Bloc Québécois, Yves-François Blanchet, il a appuyé les demandes du premier ministre Legault concernant la représentation du Québec à la table des négociations ainsi que l’augmentation considérable des ressources afin de mieux gérer l’immigration régulière et irrégulière à la frontière.
Prochaines étapes
Les Canadiens ne doivent pas s’étonner des liens de plus en plus distendus entre notre fédération et notre Parlement fédéral, qui se manifestent de manière encore plus évidente face à la menace des droits de douane américains.
Au cours de la dernière administration Trump, le premier ministre Trudeau venait de remporter un gouvernement très majoritaire. Les premiers ministres provinciaux et les partis d’opposition gagnaient à reconnaître la force de son mandat et à travailler ensemble contre la menace commune.
Or, cette fois-ci, le gouvernement minoritaire du premier ministre est menacé chaque jour davantage, et il n’y a guère de gain politique à se ranger derrière lui. Chacun exploite à son avantage la faiblesse apparente du gouvernement. C’est le cas aussi bien pour les premiers ministres provinciaux, comme M. Ford, qui ont l’intention de se positionner contre le gouvernement Trudeau lors des prochaines élections, que pour les conservateurs fédéraux qui sont considérés comme les grands favoris des prochaines élections fédérales.
Alors que nous ne sommes qu’au début du tumultueux parcours qui nous attend avec l’administration Trump, nous espérons que nos dirigeants politiques partout au pays trouveront des solutions pour rester unis, et ne pas laisser l’administration Trump nous diviser et nous vaincre.
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