20. Droit autochtone
Introduction
Les peuples autochtones du Canada (Premières Nations, Inuits et Métis) ont des droits ancestraux (y compris des droits issus de traités) qui peuvent comprendre des titres ancestraux rattachés à de vastes territoires. Ces droits doivent être pris en compte par les entreprises dans le cadre de la mise en valeur ou du financement de projets, notamment dans les secteurs des ressources naturelles, de l’exploitation minière, de l’énergie et de l’immobilier ou de tout autre projet nécessitant un permis ou une approbation gouvernementale. Le gouvernement a l’obligation de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder les peuples autochtones afin d’éviter ou d’atténuer les répercussions qu’une activité proposée pourrait avoir sur les droits et titres ancestraux ou issus de traités. Le gouvernement peut déléguer certaines de ces obligations au secteur concerné, ce qui se produit souvent dans les faits. Par conséquent, au Canada, une collaboration judicieuse avec les peuples autochtones est essentielle pour faire avancer tout projet ou toute opération d’envergure, et assurer la viabilité continue des installations et des opérations existantes. Souvent, la bonne stratégie de collaboration (et sa mise en œuvre diligente) peut faire la différence entre le succès et l’échec.
Le contexte a considérablement évolué au cours des dernières années en raison de changements importants en matière de jurisprudence et, plus récemment, de politiques gouvernementales.
Droits ancestraux et droits issus de traités des peuples autochtones
Les droits ancestraux et les droits issus de traités des peuples autochtones du Canada sont protégés en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (l’« article 35 »). L’article 35 protège les titres ancestraux qui subsistent sur certaines terres au Canada, les droits ancestraux d’utilisation des terres à certaines fins traditionnelles, comme la chasse, la pêche ou le trappage, et les droits conférés aux peuples autochtones par les traités historiques et modernes (article 35, « Droits »).
Obligation de consultation et d’accommodement
Afin de concilier les droits garantis par l’article 35 et la souveraineté de la Couronne, les gouvernements fédéral et provinciaux (la « Couronne ») ont l’obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones si la Couronne envisage des mesures qui pourraient avoir un effet préjudiciable sur leurs droits en vertu de l’article 35.
Parmi les exemples de mesures de la Couronne qui pourraient rendre applicable l’obligation de consulter, mentionnons les décisions d’accorder des droits de surface pour des terrains publics, la délivrance de nouveaux permis ou la modification de permis existants (comme les certificats et autorisations délivrés à la suite d’une évaluation environnementale ou du processus d’évaluation d’impact sur l’environnement), les décisions approuvant les transferts de permis (p. ex., dans le cadre d’une acquisition) et plusieurs autres.
Le seuil de déclenchement de l’examen de l’obligation de consulter de la Couronne est bas. Il est atteint lorsque la Couronne a connaissance (réelle ou implicite) de l’existence possible d’un titre ou de droits ancestraux et qu’il envisage de prendre des décisions qui pourraient avoir un effet préjudiciable sur de tels droits ou un tel titre. L’obligation prévaut avant que la preuve des droits ou du titre n’ait été établie, et ce, même en présence d’une preuve minime d’un préjudice potentiel.
Une fois l’obligation déterminée, le contenu de l’obligation, à savoir ce que la Couronne doit effectuer pour la remplir, varie d’un cas à l’autre. Dans les cas les moins complexes, seuls l’avis et le partage de l’information relative au projet pourraient être requis. Dans les cas les plus complexes, où de solides arguments permettent d’établir l’existence d’un titre ou de droits ancestraux et où la possibilité de préjudice est grande, l’obligation de consulter peut nécessiter des mesures concrètes d’atténuation ou de compensation des effets préjudiciables appelées accommodements, lesquelles peuvent comprendre des modifications au projet et/ou le partage des revenus de la part de la Couronne.
Négociation
La Couronne peut déléguer les aspects procéduraux de la consultation à des entreprises et à d’autres promoteurs, mais il n’est pas obligatoire pour telle entreprise ou tel promoteur d’obtenir le consentement des peuples autochtones sur des terres où le titre ancestral n’a pas encore été établi par une déclaration judiciaire ou un traité. Des changements récents font évoluer les structures réglementaires vers des structures qui confèrent une plus grande importance au consentement et à l’établissement d’un consensus, particulièrement en ce qui concerne les systèmes fédéraux et provinciaux d’évaluation environnementale. D’ailleurs, de nombreuses entreprises cherchent, préalablement ou parallèlement aux procédures réglementaires, à obtenir un consentement pour des projets et des opérations qui touchent des terres visées par des revendications de droits et de titres ancestraux. Dans certains territoires, principalement dans le nord du Canada, les promoteurs de projets d’envergure sont tenus de négocier une entente sur les répercussions et les avantages avec les peuples autochtones potentiellement touchés en vertu des accords sur les revendications territoriales ou les lois régissant la mise en valeur des ressources. Les autorités fédérales et provinciales chargées de la délivrance des permis accordent de plus en plus d’importance au consentement (sans toutefois l’exiger) et, à tout le moins, à l’obligation d’obtenir le consentement lorsqu’un titre ancestral pourrait être touché.
Peu importe l’approche adoptée par la Couronne, en consultant les peuples autochtones et en tentant de répondre au plus grand nombre possible de leurs préoccupations, les promoteurs ont été en mesure d’éviter ou de limiter toute opposition potentielle aux projets et aux opérations ainsi que les conséquences négatives qui pourraient découler d’un manque de communication et de collaboration avec les peuples autochtones, comme des contestations d’une décision gouvernementale de délivrer un permis ou une licence en raison de consultations déficientes.
1. Développements récents
(a) Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « DNUDPA ») décrit les droits des peuples autochtones dans le monde et donne des directives sur les relations de coopération avec les peuples autochtones fondées sur des principes d’égalité, de partenariat, de bonne foi et de respect mutuel.
Un aspect important de la DNUDPA est celui du consentement préalable donné librement et en connaissance de cause (le « CPLCC ») qui exige, entre autres, que le gouvernement consulte les peuples autochtones et collabore avec ces derniers de bonne foi dans le but d’obtenir leur CPLCC avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives qui pourraient les concerner et avant d’approuver tout projet visant leurs terres, leurs territoires ou d’autres ressources. (Dans des situations où les répercussions sont très importantes, comme le déplacement, l’entreposage ou l’enlèvement de substances dangereuses, il peut être obligatoire d’obtenir le CPLCC.)
Le gouvernement fédéral a exprimé son plein appui à la DNUDPA, ce que certaines provinces du Canada ont fait également.
(b) Réponse du gouvernement à la DNUDPA
Le 15 décembre 2015, après six ans d’audiences sur le système des pensionnats autochtones du Canada, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (la « CVR ») a publié son rapport final : Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir. Le rapport comprend 94 appels à l’action visant à guider la réconciliation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Bon nombre de ces recommandations portent sur la mise en œuvre de la DNUDPA par le gouvernement.
Le 21 juin 2021, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C-15 en réponse à ces appels à la mise en œuvre de la DNUDPA en tant que cadre de réconciliation au Canada. Un plan d’action est en cours d’élaboration, en collaboration avec les peuples autochtones, afin de tracer la voie à suivre pour permettre au gouvernement fédéral d’harmoniser les lois fédérales actuelles et futures avec la DNUDPA. Ce plan d’action devrait être terminé d’ici juin 2023 et doit inclure des mesures :
- visant à lutter contre les injustices, à combattre les préjugés
et à éliminer toute forme de violence, de racisme
et de discrimination auxquels se heurtent les peuples
autochtones, ainsi que les aînés, les jeunes, les enfants,
les personnes handicapées, les femmes, les hommes et
les personnes de diverses identités de genre ou bispirituelles; - visant à promouvoir le respect et
la compréhension mutuels et de bonnes relations,
notamment grâce à de la formation sur les droits de la personne; - de contrôle ou de surveillance,
de suivi, des voies de recours, des mesures de réparation ou d’autres
mesures de reddition de comptes en lien avec la
mise en œuvre de la Déclaration; - concernant le suivi de la mise en œuvre
du plan, son examen et sa modification.
Certaines provinces ont également adopté des lois en application de la DNUDPA et travaillent sur des plans d’action qui permettront d’atteindre les objectifs de cette déclaration au fil du temps.
En outre, plusieurs entreprises élaborent des politiques de réconciliation décrivant leur engagement et les mesures qu’elles prendront pour faire avancer la réconciliation avec les peuples autochtones au Canada.
(c) Commission de vérité et réconciliation
En 2014, la CVR a recommandé 94 appels à l’action afin de remédier aux séquelles laissées par les pensionnats et de faire progresser le processus de réconciliation au Canada. Ces recommandations exigent, notamment, que les entreprises utilisent la DNUDPA comme cadre de réconciliation et visent à obtenir le CPLCC, et que la Couronne adopte la DNUDPA comme cadre de réconciliation ainsi que le processus visant à obtenir le CPLCC.
(d) Rôle accru des peuples autochtones dans les évaluations environnementales et dans d’autres lois
En août 2019, la Loi sur l’évaluation d’impact est entrée en vigueur. Les peuples autochtones sont au cœur de cette nouvelle loi, qui prévoit diverses dispositions visant à s’assurer que leurs droits, leur culture et leurs connaissances traditionnelles soient pris en considération aux différents stades de l’évaluation d’impact. La loi élargit l’examen des projets, qui ne se limite plus aux évaluations axées principalement sur l’environnement, mais s’étend à un plus large éventail d’effets, y compris davantage de consultations avec les peuples autochtones à toutes les étapes du processus d’évaluation d’impact. Des modifications connexes ont été proposées en ce qui concerne d’autres lois relatives à l’environnement et à la réalisation de projets. Certaines provinces ont récemment adopté des lois reflétant ces changements fédéraux.
Le 26 septembre 2022, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada a publié le « Cadre stratégique sur le savoir autochtone dans le contexte des examens de projets et des décisions réglementaires » pour encadrer la manière dont les fonctionnaires fédéraux tiennent compte des connaissances autochtones et les protègent dans le contexte des examens de projets et des décisions réglementaires prises en vertu de différentes lois, notamment, la Loi sur l’évaluation d’impact, la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, la Loi sur les pêches et la Loi sur les eaux navigables canadiennes.
2. Éléments à considérer lorsqu’on souhaite faire affaire au Canada
En raison de l’évolution du cadre législatif, la participation des Autochtones aux opérations et aux projets augmente rapidement dans tous les secteurs de l’économie canadienne. Les promoteurs et les exploitants cherchent activement à conclure des ententes avec les peuples autochtones afin d’obtenir leur consentement et leur appui à l’égard de nouveaux projets et des installations existantes qui pourraient avoir une incidence sur les droits conférés par l’article 35.
Parallèlement, les peuples autochtones cherchent à conclure des alliances commerciales avec le secteur privé pour combler le manque d’infrastructures au sein de leurs communautés, ainsi que créer de la richesse et des possibilités économiques pour les générations futures. De ce fait, les peuples autochtones jouent un rôle actif dans la mise en valeur de leurs territoires : ils ne sont pas que consultés ou employés dans le cadre de projets, ils participent à l’exploitation d’entreprises et d’installations industrielles à titre d’actionnaires. Pour ce qui est des participants au capital-actions, il y a eu une progression, passant des petites prises de participation ou de la pleine propriété de petits projets à des partenariats élaborés ou à d’autres accords commerciaux. On s’attend à ce que cette tendance se maintienne au cours des prochaines années.