Le 11 juin 2015, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a rendu une décision très attendue dans l'affaire Equustek Solutions Inc. v. Google Inc., 2015 BCCA 265 (disponible en anglais seulement). Cette décision clé maintient le droit d'une partie lésée d'obtenir une injonction pour empêcher un moteur de recherche sur Internet, en l'occurrence Google, d'inclure des sites Web offensants dans des résultats de recherche. Cette décision devrait avoir de nombreuses ramifications permettant de contrer des agissements illégaux sur Internet, y compris en matière de diffamation, de violation de marques de commerce, de commercialisation trompeuse, de violation du droit d'auteur et d'atteinte à la vie privée, ainsi que d'autres formes d'activités illicites sur Internet. David Wotherspoon et Daniel Byma, de Fasken Martineau, ont représenté Electronic Frontier Foundation, l'un des intervenants dans le cadre de l'appel.
Les faits
Le demandeur a intenté une action pour commercialisation trompeuse, alléguant que les défendeurs vendaient des versions contrefaites des produits d'interface réseau du demandeur. Les défendeurs vendaient les produits en question sur différents sites Web et misaient sur l'utilisation de moteurs de recherche sur Internet, notamment Google, pour diriger des clients éventuels vers leurs sites Web.
Google a accepté de supprimer 345 pages Web des résultats de recherche sur Google.ca, mais le demandeur a prétendu que ce n'était pas suffisant parce que les défendeurs déplaçaient simplement le contenu contrevenant sur des nouvelles pages Web de leurs sites et que ces derniers réalisaient la plus grande partie de leurs ventes en ligne auprès d'acheteurs résidant à l'extérieur du Canada (qui n'effectuent pas de recherches sur Google.ca).
Equustek a demandé une injonction intérimaire empêchant Google d'inclure les sites Web des défendeurs dans les résultats de recherche à l'échelle mondiale. Il s'agit d'une nouvelle façon de procéder, non seulement parce que Google n'était pas partie au litige et qu'elle était une société non résidante, mais également parce que l'injonction demandée restreint les résultats de recherche au-delà des limites de sa compétence territoriale.
Dans Equustek Solutions Inc. v. Jack, 2014 BCSC 1063 (disponible en anglais seulement), le tribunal de première instance a déclaré que dans les quatorze jours suivant la date du jugement, Google Inc. devait cesser de permettre l'utilisation de fonctions d'indexation et de référence, dans les résultats de recherche obtenus grâce à ses moteurs de recherche sur Internet, relativement aux sites Web mentionnés dans l'Annexe A, y compris quant à toutes les sous-pages et tous les sous‑répertoires de ces sites Web, jusqu'à la conclusion de l'instruction de l'action ou jusqu'à ce que le tribunal émette une autre ordonnance. Google en a appelé de cette ordonnance.
La décision d'appel
Dans le cadre de l'appel, la question était de savoir si les tribunaux de la Colombie-Britannique pouvaient rendre une décision contre une société non résidante et non partie à l'action, et s'ils pouvaient imposer des restrictions quant aux activités d'une telle société à l'extérieur du Canada.
La Cour d'appel a jugé qu'en vertu de la loi intitulée Court Jurisdiction and Proceedings Transfer Act, la compétence territoriale sur l'action à laquelle étaient parties Equustek et les défendeurs était suffisante pour établir le pouvoir des tribunaux de la Colombie-Britannique d'émettre une injonction contre Google. La Cour a jugé qu'elle avait compétence in personam sur Google et que Google exerçait des activités en Colombie-Britannique du fait que cette dernière : recueillait des données en Colombie-Britannique, diffusait des publicités ciblant des utilisateurs de Google en Colombie-Britannique et vendait de l'espace publicitaire aux entreprises de la Colombie-Britannique. De plus, la Cour a jugé que les services de Google étaient liés de près au fond de l'action, car les défendeurs misaient sur l'utilisation du moteur de recherche pour diriger des clients éventuels vers leurs sites Web.
Google a soutenu que si les tribunaux de la Colombie-Britannique avaient compétence en ce qui a trait aux services de recherche de Google, alors des tribunaux du monde entier pouvaient également revendiquer une telle compétence. La Cour a mentionné que c'est la nature internationale des activités de Google et non pas un problème découlant de la loi qui donnait lieu à cette possibilité. En réaction à la position de Google selon laquelle la portée extraterritoriale de l'injonction violait les principes de courtoisie, la Cour a déclaré qu'il n'était pas réaliste de prétendre qu'une ordonnance limitée permettant d'éliminer des sites Web des résultats de recherche sur Google en attendant le procès irait à l'encontre des valeurs fondamentales ou des sensibilités d'autres nations. Comme personne n'a laissé entendre que les ordonnances rendues contre le défendeur allaient à l'encontre de la liberté d'expression, il s'ensuit que l'ordonnance accessoire rendue contre Google ne va pas non plus à l'encontre de la liberté d'expression.
Conséquences de la décision
La décision rendue dans Equustek Solutions Inc. v. Jack est une décision historique et elle devrait avoir de très nombreuses ramifications. Compte tenu de la portée internationale d'Internet et du commerce électronique, le pouvoir de faire valoir des droits à l'égard d'agissements préjudiciables provenant de l'extérieur du Canada est une question d'une importance vitale pour bon nombre de particuliers et d'organisations. La question de savoir si une injonction permanente sera accordée en vue d'empêcher un moteur de recherche d'inclure des sites Web contrevenants dans leurs résultats de recherche n'est pas encore tranchée, mais la décision rendue pourrait donner aux demandeurs un moyen efficace d'atténuer les préjudices que des défendeurs domestiques ou étrangers peuvent causer par l'entremise d'Internet.
Cette décision pourrait fournir à des demandeurs dans d'autres affaires le moyen d'atténuer les effets préjudiciables de sites Web qui contiennent des éléments diffamatoires, des renseignements personnels sensibles ou embarrassants publiés sans le consentement de la personne concernée, ou des sites qui violent, ou facilitent la violation, de droits de propriété intellectuelle ou d'autres droits. Cette affaire est suivie depuis un certain temps parce qu'elle pourrait permettre d'introduire au Canada un droit comparable au « droit à l'oubli (PDF) » qui a été introduit au sein de l'Union européenne.
D'un autre côté, cette décision soulève des questions importantes et difficiles en ce qui a trait à la liberté d'expression, au rôle et aux responsabilités des intermédiaires Internet (notamment les moteurs de recherche), et à la compétence des tribunaux. Il n'est pas difficile d'imaginer des scénarios dans le cadre desquels une ordonnance d'un tribunal étranger pourrait avoir des conséquences défavorables pour une personne physique ou pour une organisation canadienne. Par exemple, si, dans le cadre d'une instance étrangère, une partie allègue qu'une entité canadienne viole ses droits en vertu des lois de ce territoire, et que le tribunal ordonne à Google d'exclure des résultats de recherche les sites Web se rapportant à cette société canadienne, cette dernière pourrait subir un préjudice même si elle n'a violé aucune loi canadienne ou si elle n'a pu assurer sa défense devant le tribunal étranger.
Certains aspects de la décision rendue dans Equustek Solutions Inc. v. Jack pourraient sans doute être débattus devant la Cour suprême du Canada, et on peut s'attendre à la présentation d'une demande d'autorisation d'en appeler auprès de cette dernière.
Ce bulletin a été rédigé avec la collaboration de Clara Rozee.