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La CSC conclut que les escomptes sous forme de réduction des taux d’intérêt accordés en cas de remboursement rapide enfreignent l’article 8 de la Loi sur l’intérêt

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Bulletin Immobilier et Financement et opérations bancaires

Dans une décision majoritaire à six contre trois, la Cour suprême du Canada a confirmé vendredi dernier que les clauses d’une entente de prêt hypothécaire qui accordent au débiteur une réduction du taux d’intérêt en cas de paiements ponctuels ont pour effet d’élever les charges sur les arrérages au-dessus de celles imposées sur le principal non arriéré, et donc enfreignent l’article 8 de la Loi sur l’intérêt (L.R.C. 1985, ch. I-15).

Il s’agit de la première décision rendue par le plus haut tribunal du pays sur la question de savoir si le fait d’imposer un taux d’intérêt ne prenant effet que si le débiteur hypothécaire est en défaut de paiement parce qu’il n’effectue pas les paiements d’intérêts prévus suivant un taux inférieur contrevient à l’article 8.

Faits

Dans l’affaire Krayzel Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 SCC 18 (Krayzel), le débiteur d'un prêt hypothécaire s’est trouvé incapable de rembourser le prêt à l’échéance. Le prêteur a consenti une première prolongation de sept mois, assortie pour les six premiers mois d’un taux d’intérêt majoré par rapport au prêt original, et pour le septième mois d’un taux d’intérêt à nouveau majoré de 25 %. Le prêteur a par la suite consenti une deuxième prolongation prenant effet rétroactivement un mois avant l’échéance de la première prolongation. Cette deuxième prolongation était assortie d’un taux d’intérêt de 25 %, mais prévoyait un « taux payable » (« pay rate ») correspondant au plus élevé des taux suivants : 7,5 % ou le taux préférentiel majoré de 5,25 %, l’écart étant ajouté au montant du prêt. La deuxième prolongation prévoyait de plus que si l’emprunteur ne faisait pas défaut et payait ponctuellement les versements mensuels et le prêt à échéance, le prêteur acceptait de renoncer aux intérêts accumulés.

Article 8 de la Loi sur l’intérêt

L’article 8 de la Loi sur l’intérêt se lit comme suit :

« Il ne peut être stipulé, retenu, réservé ou exigé, sur des arrérages de principal ou d’intérêt garantis par hypothèque sur immeubles ou biens réels, aucune amende, pénalité ou taux d’intérêt ayant pour effet d’élever les charges sur ces arrérages au-dessus du taux d’intérêt payable sur le principal non arriéré. » (c’est nous qui soulignons)

Décision majoritaire

Le juge Brown, écrivant au nom de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Karakatsanis, Wagner et Gascon ainsi qu’en son propre nom, a conclu qu’aux fins de l’application de l’article 8, l’analyse doit porter sur « l’effet de la condition hypothécaire attaquée » (par. 25). Le fait qu’une disposition soit présentée comme un escompte plutôt qu’une majoration de taux est sans pertinence. Pour le juge Brown, « [l]e fond, et non la forme, doit l’emporter. […] Si [la disposition contestée] a pour effet d’imposer sur les arrérages un taux plus élevé que celui payable sur la somme non arriérée, elle contrevient à l’art. 8 » (par. 25).

Les juges majoritaires concluent ensuite que la condition énoncée dans l’arrangement hypothécaire en cause, correspondant dans les faits à un escompte sur un taux d’intérêt stipulé, va à l’encontre de l’article 8 de la Loi sur l’intérêt, de sorte que le taux d’intérêt exigible en l’espèce était le plus élevé des taux suivants : 7,5 % ou le taux préférentiel plus 5,25 %.

Bien que le texte du jugement y accorde peu d’attention, la renonciation automatique aux intérêts accumulés correspondant à la différence entre le taux stipulé de 25 % et le « taux payable » réduit a de toute évidence constitué un facteur décisif dans la décision de la Cour. On peut penser que si cette différence s’était simplement ajoutée au montant du prêt pour devenir payable à l’échéance, la décision de la Cour aurait pu être autre.

Dans les motifs de sa décision majoritaire, la Cour confirme en outre qu’« une hausse du taux d’intérêt déclenchée par le seul écoulement du temps (et non par suite d’un défaut de paiement) […] ne contrevient manifestement pas à l’art. 8 » (par. 33).

Décision minoritaire (des juges dissidents)

La juge Côté, écrivant au nom de la minorité dissidente formée des juges Abella et Moldaver et d’elle-même, aurait confirmé la validité de la disposition contestée en faisant valoir que le taux d’intérêt stipulé dans l’entente hypothécaire en cause était de 25 % et que ce taux était le même avant et après le défaut de paiement.

Selon l’interprétation que fait la juge Côté de l’arrangement hypothécaire, les dispositions sont tout à fait claires quant au taux d’intérêt applicable, à savoir un taux de 25 %, et n’enfreignent pas l’article 8. Les sommes représentant la différence entre le taux stipulé et le « taux payable » viennent s’ajouter chaque mois au principal du prêt, ce qui correspond essentiellement à un financement provisoire additionnel. Étant donné que le montant d’intérêt calculé au taux de 25 % est effectivement payé chaque mois (soit par paiement, soit par ajout au principal du prêt) et non simplement « retenu, réservé ou exigé » en cas de défaut de paiement, la juge Côté en vient à la conclusion que l’intérêt payable à l’égard des arriérés est le même que l’intérêt payable sur le principal non arriéré. Elle poursuit en affirmant que « [l]a possibilité que le débiteur puisse être libéré d’une partie de ces paiements d’intérêt n’a pas eu pour “effet” de réduire l’intérêt qui était payable mensuellement sur le principal non arriéré. » (par. 45)

Par ailleurs, la juge Côté conclut également qu’un escompte (qui est expressément mentionné à l’article 2 de la Loi sur l’intérêt comme étant autorisé sous réserve des dispositions de la Loi et des autres lois du Parlement et qui n’est pas mentionné à l’article 8), n’est pas interdit par l’article 8 dans la mesure où il s’agit d’un « escompte libératoire ».

Dans ses motifs, la juge Côté déplore que la décision majoritaire puisse, dans ses effets, aller à l’encontre des intentions du législateur en dissuadant les prêteurs de conclure des arrangements allégeant le fardeau des débiteurs en difficulté lorsqu’un tel allégement est conditionnel à un paiement ponctuel, et faire bénéficier l’emprunteur d’un avantage purement fortuit.

Observations

L’arrêt Krayzel donne aux praticiens des indications utiles pour l’application de l’article 8 de la Loi sur l’intérêt en confirmant que les réductions ou escomptes de taux d’intérêt entrent dans la catégorie des amendes, pénalités ou taux d’intérêt susceptibles de tomber sous le coup dudit article 8. De surcroît, l’arrêt confirme que les majorations de taux d’intérêt déclenchées par le seul écoulement du temps (et non par suite d’un défaut de paiement) sont autorisées.

Dans sa décision majoritaire, la Cour a pris soin de préserver la certitude pour les parties co-contractantes en appliquant un critère qui met l’accent sur l’effet des dispositions contestées plutôt que sur leur intention. Cependant, cette décision pourrait avoir pour effet de dissuader les prêteurs d’accorder des allégements ou des prolongations du terme conditionnels à un paiement ponctuel. Les prêteurs se montreront réticents à accorder des prolongations à plus long terme ou à convenir à l’avance d’allégements des intérêts s’ils n’ont pas l’assurance qu’ils pourront bénéficier d’un paiement ponctuel pendant une période de prolongation, tandis que l’emprunteur en difficulté essaie de refinancer son prêt.

Il convient de souligner que les règles énoncées à l’article 8 de la Loi sur l’intérêt s’appliquent uniquement aux prêts garantis par hypothèque sur des biens immeubles (ou mortgages on real estate).

Pour lire la décision intégrale, veuillez consulter le site Web de la CSC.

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  • Martin Racicot, Associé, Montréal, QC, +1 514 397 5128, mracicot@fasken.com

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