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Nintendo c. King : Une décision qui répond à certaines questions et en pose de nouvelles au sujet des mesures techniques de protection

Fasken
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Bulletin Communications

La décision récente de la Cour fédérale dans l’affaire Nintendo of America c. King figure parmi les premières à appliquer les nouvelles dispositions de la Loi sur le droit d’auteur portant sur les mesures techniques de protection (« MTP »). Les MTP sont des mécanismes, comme le chiffrement et la protection par mot de passe, utilisés par les titulaires de droits pour restreindre l’accès non autorisé à leurs œuvres. Cette décision répond à plusieurs interrogations concernant le régime canadien des MTP et constituera un précédent utile pour les titulaires de droits d’auteur. Elle soulève par ailleurs plusieurs nouvelles questions intéressantes.

La décision

Go Cyber Shopping annonçait et offrait en vente des dispositifs, désignés dans le jugement par les termes « game copiers » (copieurs de jeux) et « mod chips » (puces pirates), qui permettaient à ses clients d’utiliser des copies de jeux Nintendo téléchargées illégalement sur différents systèmes de jeux Nintendo. Go Cyber Shopping proposait également des services d’installation de puces pirates. La Cour fédérale a statué que ces activités constituaient à la fois une violation du droit d’auteur et un contournement des MTP et a accordé à Nintendo 11,7 millions de dollars en dommages-intérêts préétablis et un million de dollars en dommages-intérêts punitifs.

Réponses aux questions posées

Les détaillants de copieurs de jeux et de puces pirates peuvent-ils être tenus responsables d’un contournement des MTP?

Oui. La Cour a souligné la large portée de la définition législative des « MTP », qui couvre « toute technologie ou tout dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement : a) […] contrôle […] l’accès à une œuvre […] ». Cette définition très large a permis à la Cour de conclure que la forme et la configuration matérielle des cartes des jeux de Nintendo, que reproduisaient les copieurs de jeux, étaient en soi une MTP au sens large donné par la Loi. Comme la forme matérielle de la carte de jeu et la disposition des broches électriques créaient un système clé-serrure, la Cour a conclu que cette configuration permettait de contrôler efficacement l’accès aux jeux de Nintendo et constituait donc une MTP.

Il faut également souligner la décision de la Cour selon laquelle la réplication d’une MTP peut être considérée comme un contournement. Go Cyber Shopping avait fait valoir que la simple copie d’une MTP n’équivalait pas à un contournement de celle-ci. La Cour a rejeté cet argument en statuant que [Traduction] « un individu qui utilise une clé reproduite de manière illicite en vue d’éviter ou de contourner un système de fermeture pour s’introduire dans une maison n’est pas moins un cambrioleur que celui qui utilise un crochet à serrure. ».

Enfin, Go Cyber Shopping avait fait valoir que ses services et ses produits relevaient de l’exception au contournement des MTP au titre de l’interopérabilité des programmes d’ordinateur. Go Cyber Shopping alléguait que ses activités permettaient à ses clients d’utiliser des jeux « faits maison » sur leur système de jeux Nintendo et qu’ils étaient en droit de se prévaloir de l’exception au titre de l’interopérabilité. Cet argument a été rejeté pour cinq raisons : le but premier des activités de Go Cyber Shopping était de permettre à ses utilisateurs de jouer à l’aide de copies illégales des jeux de Nintendo; l’ampleur de l’utilisation théorique des jeux « faits maison » était minime par rapport au marché des activités illicites; Go Cyber Shopping ne proposait en réalité aucun jeu « fait maison »; Nintendo offrait des mécanismes licites permettant aux développeurs d’élaborer des logiciels sans contourner les MTP; enfin, rien ne prouvait que l’un ou l’autre des clients de Go Cyber Shopping avait bel et bien utilisé les produits de cette dernière pour jouer à des jeux « faits maison ». L’exception au titre de l’interopérabilité a donc reçu une interprétation plutôt étroite.

Le montant des dommages-intérêts préétablis pour le contournement des MTP devrait-il être calculé par œuvre ou par MTP?

La Loi sur le droit d’auteur n’indique pas de modalité précise de calcul des dommages-intérêts préétablis pour le contournement d’une MTP; faut-il multiplier le montant préétabli (entre 500 $ et 20 000 $) par le nombre de MTP contournées, ou par le nombre d’œuvres rendues accessibles par le contournement? Compte tenu de toutes les circonstances, la Cour a décidé de calculer les dommages-intérêts préétablis en multipliant le montant maximal par le nombre total de jeux de Nintendo auxquels les utilisateurs auraient pu accéder de manière illicite, à savoir 585.

La gravité des conséquences possibles de l’offre de services de contournement varie donc en fonction du nombre de jeux, de livres ou d’albums qui sont protégés par la même MTP. Plus le portefeuille de droits d’auteur du requérant est volumineux, plus les dommages-intérêts sont élevés.

Une partie peut-elle rédiger elle-même le jugement la concernant? 

Un aspect qui, pour de nombreux avocats, constitue l’élément le plus intéressant de la décision est que la Cour fédérale a eu recours à un processus inusité pour la rédaction du jugement. Après le dépôt de la preuve, Nintendo et la personne physique défenderesse, Jeramie King, ont conclu un règlement. Le juge, conscient de la valeur potentielle de précédent de cette décision, a demandé à Nintendo de déposer une argumentation écrite libellée comme s’il s’agissait du jugement final. La personne morale défenderesse, Go Cyber Shopping, avait la possibilité d’y répondre, mais a choisi de ne pas le faire. Le juge a accepté l’argumentation écrite de Nintento et l’a adoptée comme constituant ses motifs.

Questions soulevées

Quelle est la signification du terme « technique » dans les dispositions sur les MTP? Cette décision a-t-elle élargi la portée de la législation canadienne sur le droit d’auteur canadien au domaine physique?

Dans la présente décision, la Cour a statué que la forme et la configuration matérielle particulières des copieurs de jeux constituent une MTP parce qu’elles agissent de manière similaire à un système clé-serrure. Cette conclusion amène à se demander quel doit être le degré de sophistication d’un dispositif de blocage d’accès pour qu’il puisse être considéré comme une MTP aux termes de la Loi. D’autres dispositifs de contrôle d’accès encore plus simples peuvent être utilisés pour protéger les œuvres sous droit d’auteur selon un mécanisme analogue à celui du système clé-serrure, et il sera intéressant de voir quels critères de distinction seront retenus.

Ce précédent sera-t-il pertinent à l’extérieur du Canada? 

Bon nombre d’États ont adopté récemment des prohibitions similaires en matière de contournement de MTP et, selon toute vraisemblance, les titulaires de droits d’auteur affirmeront à tout le moins que cette décision vaut la peine d’être examinée dans les pays où de telles prohibitions s’appliquent.

S’agit-il du premier d’une longue série de jugements à venir qui seront rédigés par l’une des parties?

On peut aisément comprendre que le processus utilisé dans cette affaire pourrait devenir une tendance très populaire, en particulier lorsqu’il est question de nouvelles technologies.

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