Depuis la décision de la Cour d'appel du Québec en 2005 dans l'affaire Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante[1] (la « décision Costco »), les tribunaux du Québec ont régulièrement appliqué une analyse en cinq étapes aux cas de congédiement pour incompétence. Cependant, la Cour supérieure du Québec a récemment confirmé une décision arbitrale qui ajoutait une étape supplémentaire que doivent franchir les employeurs avant de pouvoir congédier un salarié pour incompétence. En effet, dans l'affaire Commission scolaire Kativik c. Ménard[2], la Cour supérieure a statué que les employeurs devaient également vérifier si un autre poste plus convenable pouvait être offert au salarié au sein de l'organisation, avant de procéder au congédiement pour incompétence.
Les faits
L'employeur est une commission scolaire qui a congédié un salarié pour incompétence. Le salarié en question avait des problèmes de productivité et d'efficacité et les travaux qu'il effectuait étaient truffés d'erreurs. Afin de tenter de remédier à cette situation, l'employeur a demandé au salarié de prendre part à un plan d'amélioration du rendement. Le rendement du salarié ne s'est cependant jamais amélioré. Avant de congédier le salarié, l'employeur lui a offert un poste de réceptionniste. L'employeur a demandé au salarié de répondre à cette offre dans un délai de trois jours, même si le poste avait été affiché à l'intention des autres salariés pendant un délai plus long. Le salarié a refusé l'offre. Étant donné que le salarié avait refusé l'offre et qu'il était incapable d'améliorer son rendement, l'employeur l'a congédié. Le syndicat a déposé un grief afin de contester la décision de l'employeur.
Les décisions
L'arbitre Jean Ménard a accueilli le grief. L'arbitre a reconnu que, malgré le soutien de l'employeur, le salarié était incapable d'effectuer adéquatement ses tâches. L'arbitre était cependant d'avis que l'employeur avait congédié le salarié de manière abusive, principalement parce qu'il aurait dû rechercher une solution alternative raisonnable à son congédiement. L'arbitre estimait qu'il n'était pas raisonnable que l'employeur n'accorde au salarié que trois jours pour prendre en considération une offre d'emploi alternatif.
L'employeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre. Il alléguait que l'arbitre aurait dû respecter les critères établis par la décision Costco, lesquels ne comprennent pas l'obligation, pour un employeur, de tenter de trouver un poste convenable pour le salarié au sein de l'entreprise. Ces critères sont les suivants :
- Le salarié doit connaître les politiques de l'entreprise et les attentes fixées par l'employeur à son égard;
- Les lacunes du salarié doivent lui être signalées;
- Le salarié doit obtenir le soutien nécessaire pour se corriger;
- Le salarié doit bénéficier d'un délai raisonnable pour s'ajuster;
- Le salarié doit avoir été prévenu du risque de congédiement à défaut d'amélioration de sa part.
La Cour supérieure a rejeté le pourvoi en contrôle judiciaire de l'employeur et a confirmé la décision de l'arbitre, en se fondant principalement sur la sentence arbitrale Edith Cavell Private Hospital c. Hospital Employees' Union, Local 180[3] rendue en 1982 en Colombie-Britannique. Dans cette affaire, l'arbitre a décidé que dans de telles circonstances, l'employeur doit également démontrer [TRADUCTION] « qu'il a déployé des efforts raisonnables pour trouver au salarié un poste alternatif qui convient à ses compétences ». De plus, la Cour suprême du Canada a confirmé en 2004 une décision émanant de l'Alberta qui appliquait les principes de l'affaire Edith Cavell.
En conséquence, malgré le fait que ces décisions n'ont pas été rendues au Québec et qu'en 2005, la Cour d'appel n'a pas appliqué ce critère dans la décision Costco, la Cour supérieure était d'avis qu'il devait s'appliquer au Québec. Selon le raisonnement de la Cour, il ne serait pas logique qu'au Québec, les règles régissant le congédiement pour incompétence diffèrent de celles existant dans les autres provinces.
L'employeur a récemment déposé une requête en autorisation d'appel devant la Cour d'appel du Québec.
Autres juridictions
L'affaire Edith Cavell continue d'être fréquemment citée en Colombie-Britannique. Les décisions indiquent que le défaut de l'employeur d'offrir un autre poste est fatal à sa décision de congédier un salarié pour incompétence. Cela dit, les salariés n'ont pas été réintégrés dans tous les cas où l'employeur n'avait pas démontré qu'il [TRADUCTION] « avait déployé des efforts raisonnables pour trouver un poste alternatif qui correspondait aux compétences du salarié ». [4]
Les tribunaux, les arbitres et les commissions du travail de l'Ontario ne prennent cependant pas en considération le critère mentionné ci-dessus. Ils appliquent un test similaire à celui élaboré par la décision Costco.
Conclusion
Dans le cas où la Cour d'appel accorderait la permission d'appeler à l'employeur, il sera intéressant de voir si elle ajoutera ce critère à ceux qu'elle a appliqués en 2005 dans la décision Costco. Le cas échéant, une nouvelle obligation importante et plutôt incertaine sera imposée aux employeurs du Québec qui souhaitent congédier un salarié pour incompétence. Si la Cour d'appel confirme
la décision de la Cour supérieure, il sera également intéressant de constater comment les arbitres, les tribunaux et les commissions des relations du travail appliqueront ce critère supplémentaire, et si la décision de la Cour d'appel influencera l'état du droit dans les autres provinces appliquant un test similaire à celui de la décision Costco. Nous vous tiendrons au courant de tout développement concernant cette affaire importante.
[1] 2005 QCCA 788. (PDF)
[2] 2017 QCCS 4686. (PDF)
[3] (1982) 6 L.A.C. (3d) 229.
[4] BC Ferry Services Inc. c. British Columbia Ferry and Marine Workers' Union, 2013 CanLII 100803 (BCLA). (PDF - disponsible en Anglais seulement).