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Quelle est l’origine de votre nom? - une question moins rose qu’il n’y parait

Fasken
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Bulletin Travail, emploi et droits de la personne

Introduction

Une décision rendue le 22 mars dernier par le Tribunal des droits de la personne, l’affaire Kerdougli c. Vie en Rose inc.[1], se penche sur la discrimination à l’embauche, plus particulièrement au sujet de l’origine ethnique ou nationale.

Les parties en cause impliquent en demande Monsieur Salim Kerdougli («monsieur Kerdougli»), lequel se représente seul à l’encontre de la partie défenderesse, La Vie en Rose Inc. («La Vie en Rose»).

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la « Commission ») n’est pas partie au litige.  Après avoir fait enquête au sujet de la plainte de monsieur Kerdougli, elle conclut que la preuve quant à l’allégation du refus d’embauche discriminatoire est insuffisante et que sur cet aspect du dossier, elle cesse d’agir. Par contre, puisqu’elle considère qu’une question a été posée au demandeur en lien avec son origine ethnique dans le contexte de l’entrevue, la preuve d’une atteinte au droit de monsieur Kerdougli à un processus de sélection exempt de discrimination est suffisante pour soumettre le litige à un tribunal. Par conséquent, le plaignant a décidé de saisir lui-même le Tribunal de sa demande, comme lui le permettait l’article 84 de la Charte des droits et libertés de la personne (la «Charte»).

Faits

Monsieur Kerdougli, d’origine algérienne, postule à l’automne 2015 à La Vie en Rose pour le poste de coordonnateur logistique - division internationale. Ce dernier affirme qu’il n’a pas obtenu le poste qu’il convoitait en raison de son origine ethnique. En effet, lors de son entrevue d’embauche, une représentante de La Vie en Rose lui a posé la question suivante : « Quelle est l’origine de votre nom?».

Monsieur Kerdougli prétend être victime de discrimination fondée sur son origine ethnique, en contravention avec les articles 4, 10, 16 et 18.1 de la Charte. Il se sent insulté et affecté dans sa dignité par la question.

La Vie en Rose affirme que le but de la question était de vérifier l’hypothèse de la représentante selon laquelle monsieur Kerdougli était d’origine algérienne, marocaine ou tunisienne. Certains partenaires d’affaires de la Vie en Rose se situent dans ces pays.

Sa candidature n’ayant pas été retenue, monsieur Kerdougli réclame 50 000 $ à titre de dommages moraux et 25 000 $ à titre de dommages punitifs.

Décision

Le Tribunal devait d’abord déterminer si le renseignement concernant l’origine du nom était relié aux aptitudes ou qualités requises pour le poste offert. Dans le cas d’une réponse négative, le Tribunal devait déterminer le montant approprié des dommages à accorder.

De l’avis du Tribunal, l’article 18.1 de la Charte a pour objectif d’éliminer, à la racine même, la discrimination dans l’embauche en interdisant toute question portant sur une caractéristique personnelle. Ainsi, une simple question en lien avec l’un des motifs énumérés à l’article 10 entraîne une violation automatique de l’article 18.1. Les deux exceptions surviennent lorsque l’information était nécessaire en raison d’une aptitude ou qualité requise par l’emploi (article 20 de la Charte) ou pour l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande.

À cet égard, le fait que la question puisse avoir été posée par simple «curiosité, pour casser la glace ou pour détendre l’atmosphère» ne peut justifier une atteinte au droit protégé par l’article 18.1.

En l’espèce, La Vie en Rose allègue que l’origine ethnique de monsieur Kerdougli aurait pu être un atout pour l’emploi. Or, monsieur Kerdougli ne s’est pas fait questionner sur les liens qu’il conservait avec son pays d’origine. La preuve révèle que la même question n’a pas été posée à l’autre candidate qui postulait pour le même poste.

Le Tribunal détermine donc que l’atteinte discriminatoire envers monsieur Kerdougli est véritablement démontrée.

Question des dommages 

Monsieur Kerdougli affirme avoir été déstabilisé et s’être senti mal à l’aise, en plus d’avoir craint d’être discriminé au cours de ce processus d’embauche.

Le Tribunal commente en l’espèce la banalisation du fait de poser certaines questions concernant les motifs présents à l’article 10 de la Charte lors d’une entrevue d’embauche et accorde à monsieur Kerdougli un montant de 5000 $ à titre de dommages moraux.

En l’absence d’une atteinte intentionnelle de la part de la représentante de La Vie en Rose, aucun dommage punitif n’est accordé au demandeur.

Conclusion

Cette décision fait ressurgir l’importance à accorder aux types de questions posées lors d’entrevues d’embauche et encourage à cesser la banalisation des questions liées à un quelconque motif de discrimination interdit par la Charte.

La question de l’origine d’un nom doit être en lien avec les aptitudes ou qualités requises par l’emploi. Dans le cas contraire, comme La Vie en Rose l’a appris, la curiosité a un prix.


 


 

[1] 2018 QCTDP 8

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Auteure

  • Magali Cournoyer-Proulx, Associée | Santé, Montréal, QC, +1 514 397 5266, mproulx@fasken.com

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