Un règlement interdisant de fumer dans les parties privatives d'une copropriété peut-il être adopté à 50 % des voix des copropriétaires? L'adoption d'un tel règlement change-t-elle la destination d'un immeuble à caractère résidentiel? Porte-t-elle atteinte à la vie privée et à l'inviolabilité de la demeure des fumeurs qui souhaitent fumer dans le confort de leur foyer?
Alors que ces questions ont fait l'objet de plusieurs opinions diverses et opposées au cours des dernières années, la Cour supérieure a récemment clôt le débat en se prononçant pour la première fois en faveur de la validité d'un règlement adopté à 50 % des voix, interdisant de fumer à l'intérieur des parties privatives d'une copropriété.
Pour entendre l'entrevue de Karine Fournier sur les ondes du 98.5 FM à ce sujet, cliquez ici.
Les faits
Dans l'affaire El-Helou c. Syndicat de la copropriété du 7500, 7502 et 7504 rue Saint-Gérard, Montréal, un syndicat de copropriété adopte, par un vote majoritaire de ses copropriétaires, un règlement interdisant l'usage de tout produit fumé à l'intérieur des parties privatives. Le syndicat justifie l'adoption de son règlement par l'infiltration de fumée secondaire qui se constate par l'odeur de fumée dans les unités des autres copropriétaires non-fumeurs. Cette infiltration crée des craintes relatives à la santé de ces copropriétaires. Malgré différentes tentatives de calfeutrage, rien n'y fait.
Le demandeur, un copropriétaire de l'immeuble, conteste la validité de ce règlement et soutient que son adoption requérait un vote à 90 %, en raison du changement à la destination de l'immeuble qu'occasionne l'interdiction de fumer dans les parties privatives.
Le demandeur soutient également que le règlement modifie l'usage de la destination privative qu'il peut en faire, contrairement à l'article 1102 du Code civil du Québec ( « C.c.Q. »). De plus, un tel règlement porterait atteinte à son droit à la vie privée et à l'inviolabilité de sa demeure, puisque le syndicat de copropriété lui interdit de fumer chez lui.
Décision
Alors que la destination de l'immeuble dans cette affaire est décrite comme étant « destiné exclusivement à l'habitation résidentielle », la Cour supérieure est d'avis qu'un règlement antifumée n'a pas pour effet de modifier la destination de l'immeuble, mais s'inscrit plutôt dans le prolongement de sa destination résidentielle compte tenu du caractère non étanche des unités d'habitation. Effectivement, en présence d'un immeuble qui n'est pas étanche, il existe un lien rationnel entre l'interdiction de fumer et la destination résidentielle de l'immeuble, puisque la fumée peut facilement s'infiltrer d'une unité à l'autre et incommoder les habitants. Ainsi, un vote à la majorité suffit.
La Cour rejette également l'argument soutenant qu'un tel règlement change l'usage qu'un copropriétaire peut faire de sa partie privative, puisque l'usage résidentiel doit s'entendre d'un usage qui préserve le droit à la vie et à la sécurité des autres résidents. L'interdiction de fumer ne change en rien l'usage de l'unité soit se nourrir, se loger, se protéger etc.
Mais il y a plus. Les copropriétaires ne peuvent nuire aux autres occupants d'un immeuble, et ce, en vertu des règles de non nuisance prévues au C.c.Q. ainsi qu'aux règles générales que l'on retrouve dans la déclaration de copropriété, le tout, même en l'absence d'un règlement spécifique prohibant de fumer.
S'inspirant de plusieurs décisions analogues rendues par différents tribunaux, la Cour supérieure reconnaît la corrélation indéniable entre les effets de la fumée de tabac secondaire et la santé des personnes qui y sont exposées.
Relativement à l'argument du demandeur quant à son droit inaliénable de fumer chez lui, la Cour souligne que le législateur québécois ne confère aucun droit de la sorte. Le droit à la vie, à la sûreté et à l'intégrité de la personne, lesquels sont prévus par la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte ») penchent plutôt vers une obligation de s'abstenir de fumer lorsque d'autres personnes sont susceptibles de voir leur santé compromise par la fumée de tabac secondaire. Le préambule de la Charte prévoit par ailleurs que les droits et libertés de la personne sont inséparables des droits et libertés des autres et du bien-être général.
Points à retenir
La Cour supérieure confirme que l'adoption d'un règlement interdisant de fumer du tabac ou du cannabis dans une copropriété ne nécessite qu'un vote à 50 % des copropriétaires lorsqu'il existe une preuve d'infiltration de fumée de tabac secondaire ou de cannabis. Ce règlement ne change alors pas la destination de l'immeuble et ne contrevient pas à la Charte.
Recours en l'absence d'un règlement?
Les copropriétaires importunés par la fumée secondaire provenant de copropriétaires fumeurs sont-ils dépourvus de recours, lorsqu'aucun règlement n'est adopté par un syndicat de copropriété? Il faut répondre à cette question par la négative. Il est possible de déposer une injonction pour demander aux tribunaux d'ordonner à une personne de cesser de fumer et de porter atteinte à ses droits. Il est également possible de tenir un copropriétaire fumeur responsable de dommages et intérêts, puisque nul ne peut imposer à ses voisins de supporter des inconvénients anormaux ou excessifs, tel que les effets reliés à la fumée de tabac secondaire ou de cannabis.
Fumer la cigarette ou le cannabis est certainement légal, mais il peut ne pas être permis d'exercer ces habitudes de vie dans certaines circonstances lorsqu'on nuit à autrui.
Et les locataires incommodés?
Les locataires incommodés ont leurs recours devant la Régie du logement laquelle intervient de plus en plus pour faire cesser l'exposition à la fumée de tabac secondaire.