Le lien d’emploi est assorti d’une condition essentielle selon laquelle les employés doivent être traités avec dignité et respect. Par conséquent, un employeur peut enfreindre un contrat d’emploi en fermant les yeux sur le harcèlement en milieu de travail et en créant un climat de travail hostile, ce qui peut ensuite entraîner une réclamation pour congédiement déguisé.
Toutefois, à la suite de certaines modifications législatives récentes dans certaines provinces, les régimes d’indemnisation des accidents du travail prévoient maintenant les lésions professionnelles attribuables au stress. Dans certains cas, ces nouvelles dispositions empêchent les employés d’intenter une action en dommages découlant d’un congédiement déguisé, les limitant plutôt à une indemnisation en vertu des régimes d’indemnisation des accidents du travail.
Ontario
Depuis le 1er janvier 2018, le gouvernement de l’Ontario a modifié l’article 13 de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail (« LSPAAT ») afin de permettre expressément les réclamations découlant de stress mental. Une conséquence possiblement inattendue de cette modification est ressortie d’une décision récente du Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario dans Morningstar v. Hospitality Fallsview Holdings Inc. (Décision no 1227/19), 2019 ONWSIAT 2324 (CanLII).
L’employée travaillait pour Hospitality Fallsview Holdings Inc. (la demanderesse) depuis mai 2015. En février 2018, elle a démissionné, alléguant un congédiement déguisé en raison de harcèlement et d’intimidation. En avril 2018, elle a intenté une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vue d’obtenir des dommages pour cause de congédiement déguisé, d’intimidation, de harcèlement et/ou d’un milieu de travail malsain aux termes de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, du délit de harcèlement et des dommages‑intérêts punitifs, majorés et/ou moraux.
En réponse au dépôt de la demande introductive d’instance, l’employeur a déposé une requête en vertu de l’article 31 de la LSPAAT en vue d’interdire l’action en réclamation de l’employée pour lésion attribuable au stress mental chronique survenant du fait de son emploi, étant donné qu’elle donnait droit à une indemnisation en vertu de la LSPAAT.
Le Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (« TASPAAT ») s’est rangé du côté de l’employeur et a soutenu que l’action était essentiellement une réclamation pour stress mental chronique lié au travail. Selon le TASPAAT, la façon dont une action est présentée « n’est pas déterminante ». L’analyse devrait plutôt être consacrée à la « nature fondamentale de l’action » afin de déterminer si les « circonstances de la réclamation dans le cadre d’un congédiement injustifié sont indissociablement liées à l’accident du travail. »
Le TASPAAT a conclu que la nature fondamentale de l’action correspondait à une réclamation pour harcèlement et intimidation en milieu de travail qui relevait plutôt de la LSPAAT. Par conséquent, le tribunal a interdit l’action intentée contre l’employeur.
Colombie-Britannique
L’alinéa 5.1(1)(a)(ii) de la Workers Compensation Act de la Colombie-Britannique permet à un travailleur de recevoir des indemnités pour un trouble mental dû en majeure partie à un facteur de stress important attribuable au travail, lequel comprend explicitement l’intimidation et le harcèlement.
À ce jour, aucune décision n’a été publiée qui permet de déterminer si des anciens employés peuvent toujours déposer une réclamation pour congédiement déguisé. Cependant, compte tenu de l’inclusion spécifique du harcèlement et de l’intimidation, la législation en matière d’indemnisation des accidents du travail de la Colombie-Britannique pourrait également interdire les actions en réclamation pour congédiement déguisé découlant du harcèlement.
Alberta
Même si l’Alberta a mis à jour sa Occupational Health and Safety Act en matière de harcèlement et de violence en milieu de travail, un employé peut néanmoins intenter une action en réclamation pour des dommages subis à la suite d’un « accident » en vertu de la Workers’ Compensation Act de l’Alberta, lequel peut comprendre les lésions psychologiques attribuables au harcèlement et à l’intimidation.
Ainsi, selon la jurisprudence de l’Alberta, le traitement des plaintes pour congédiement déguisé en lien avec le harcèlement en milieu de travail est différent, tel que constaté dans Ashraf v. SNC Lavalin ATP Inc., 2015 ABCA 78.
Dans cette affaire, l’employé a travaillé pour l’employeur jusqu’à ce qu’il devienne invalide en raison d’un certain nombre de maladies liées au stress. Il a intenté une action contre son employeur pour stress et lésions corporelles invalidantes connexes découlant, selon lui, du harcèlement et de l’intimidation qui l’ont poussé à quitter son emploi. L’employé n’a pas allégué de congédiement déguisé.
En réponse, SNC a demandé la radiation de la demande en alléguant que la Cour n’était pas compétente pour entendre l’affaire puisque celle-ci relevait de la compétence exclusive du Workers’ Compensation Board. Le tribunal de première instance a ordonné l’interdiction de l’action en vertu de l’article 21 de la Workers’ Compensation Act.
En appel, l’employé a demandé une modification de sa déclaration introductive d’instance pour inclure une réclamation pour congédiement déguisé et une annulation de l’ordonnance du tribunal de première instance. Le juge en chambre a autorisé la modification, mais a conclu que le « caractère essentiel » du différend découlait d’un « accident » au sens de la Workers’ Compensation Act et que le Workers’ Compensation Board avait la compétence exclusive. Par conséquent, le juge a rejeté l’action en réclamation pour congédiement déguisé.
La décision a été portée en appel devant la Cour d’appel de l’Alberta. Celle-ci a jugé que la réclamation de l’appelant constituait : (i) une cause d’action pour des lésions physiques et psychologiques subies en milieu de travail et (ii) un congédiement déguisé. La Cour d’appel a rétabli la réclamation pour congédiement déguisé, laissant entendre que les employés peuvent présenter des réclamations civiles pour congédiement déguisé découlant de milieux de travail hostiles.
Leçons à tirer pour les employeurs
Les employeurs qui font face à une réclamation pour congédiement déguisé découlant de harcèlement en milieu de travail devraient consulter un conseiller juridique pour établir si la réclamation relève de la compétence de la loi en matière d’indemnisation des accidents du travail, plutôt que de celle des tribunaux civils. Si tel est le cas, d’autres stratégies peuvent être envisagées, comme la présentation d’une demande de suspension ou de jugement sommaire, afin de limiter le recours en indemnisation de l’employé à celui prévu au régime d’indemnisation des accidents du travail.