La « disposition d’obligation générale » que l’on retrouve dans toutes les lois canadiennes en matière de santé et de sécurité au travail est une clause difficile à observer. Il s’agit d’une disposition qui oblige les employeurs, et parfois les superviseurs, comme en Ontario, à prendre « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la protection du travailleur ».
La disposition d’obligation générale s’inspire de la législation fédérale américaine en matière de santé et de sécurité au travail, où elle est largement utilisée. Au Canada, les organismes de réglementation de la SST ont tardé à communiquer aux employeurs et aux autres intervenants en milieu de travail leurs attentes précises en ce qui concerne les clauses d’obligation générale.
Les premières poursuites intentées contre des employeurs pour violations alléguées d’une disposition d’obligation générale semblaient créer un renversement du fardeau de la preuve et faire en sorte qu’il incombe à ces derniers de prouver qu’un accident ne résultait pas de leur défaut d’observer la disposition d’obligation générale. En d’autres termes, les procureurs ont fait valoir que la survenance d’un accident constituait une preuve du défaut d’observer la disposition d’obligation générale.
Toutefois, en 2018, la Cour d’appel de l’Alberta a corrigé cette erreur de droit dans l’affaire Precision Diversified Oil Field Service Corp. [1]. Cette erreur de droit a également été corrigée par les cours d’appel en Saskatchewan , à Terre-Neuve et en Ontario [2]. Les accusations portées en vertu de la clause générale d’obligation doivent être fondées sur des éléments précis qui suggèrent un manquement de l’employeur à des attentes raisonnables dans les circonstances du dossier. Il incombe ensuite à la Couronne de prouver ce manquement hors de tout doute raisonnable.
Cela nous mène à la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire Quinton Steel. Dans cette affaire, un travailleur est tombé d’une plateforme de travail provisoire qui se trouvait à une hauteur de six pieds et six pouces au-dessus du sol dans un établissement industriel. Le règlement n’exigeait pas qu’un travailleur soit muni d’un système d’arrêt des chutes ni de garde-corps à une telle hauteur.
En première instance et dans le cadre du premier appel, Quinton Steel avait réussi à faire valoir que la disposition d’obligation générale de la législation ontarienne en matière de SST ne peut imposer une norme de sécurité supérieure à celle de la réglementation industrielle applicable. Toutefois, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que la disposition d’obligation générale pouvait imposer des mesures de sécurité plus rigoureuses que celles prévues dans la réglementation applicable. La Cour d’appel a soutenu qu’il s’agissait d’une question d’interprétation des « circonstances de l’affaire » et que chaque cas doit être évalué en fonction de ce qui constitue une précaution raisonnable dans un lieu de travail particulier. [5]
Le nouveau procès de l’affaire Quinton Steel a donné lieu à un jugement exhaustif, circonstancié et motivé de 33 pages. L’éminent juge de paix a déclaré ce qui suit :
« [TRADUCTION] La Couronne n’a pas été en mesure d’invoquer une norme objectivement raisonnable pour établir si un garde-corps constituait une précaution raisonnable… Bien que Quinton Steel soit un établissement industriel, l’entreprise avait adopté le Règlement sur les chantiers de construction, un règlement plus normatif qui traite expressément des structures provisoires. La politique de Quinton Steel exigeait qu’un garde-corps soit installé sur une plateforme provisoire, peu importe les circonstances, à une hauteur de huit pieds ou plus. Cette politique était connue du ministère du Travail avant et après l’incident du 7 juin 2012. Le ministère du Travail s’est également fondé sur cette norme pour fournir des conseils à un autre type d’établissement industriel en ce qui concerne les plateformes provisoires… Il incombait à la Couronne de prouver le caractère raisonnable “dans les circonstances”… Je ne suis pas en mesure de conclure que Quinton Steel n’a pas pris les précautions raisonnables nécessaires dans les circonstances en omettant d’installer un garde-corps. » [6]
Les trois principales conclusions découlant de cette analyse des clauses d’obligation générale sont les suivantes :
• l’interprétation des clauses d’obligation générale oblige maintenant les employeurs à évaluer les circonstances du lieu de travail lorsqu’ils effectuent une évaluation des risques au travail;
• même si la politique en matière de sécurité d’un employeur est conforme à la réglementation applicable, elle pourrait ne pas être conforme à la loi si les circonstances du lieu de travail exigent une norme de sécurité plus élevée pour protéger les employés;
• tous les employeurs devraient effectuer une évaluation des risques du lieu de travail afin de respecter leurs obligations en vertu d’une disposition d’obligation générale.
[1] R. v. Precision Diversified Oil Field Service Corp., 2018 ABCA 273.
[2] R. v. Viterra, 2017; R. v. St. John (City), 2017 NLCA71; R. v. Brampton Brick Ltd. [2004] OJ No. 3025.
[3] R. v. Quinton Steel, 2017 ONCA 1006, au para 29.
[4] The Queen v. Quinton Steel, décision non publiée, 8 mai 2019 au para 168-171.