Il y a un nombre croissant de cas rapportés de travailleurs invoquant leur droit de refuser d'exécuter un travail dangereux en raison de la COVID-19 en vertu de dispositions de lois applicables en matière de santé et de sécurité au travail. Par exemple :
- environ une douzaine de travailleurs de la Toronto Transit Commission (TTC) ont collectivement refusé de travailler dans un atelier de tramway en raison d'inquiétudes quant à la pertinence du nettoyage en profondeur des tramways[1];
- près de 166 travailleurs d'une usine d'assemblage automobile située à Windsor ont annoncé leur refus de travailler pendant une journée en réponse au placement en quarantaine volontaire d'un travailleur dû à son exposition indirecte potentielle à la COVID‑19.[2]
Dans les deux cas, un inspecteur du ministère du Travail de l'Ontario a jugé que le refus de travailler ne respectait pas les critères nécessaires, et que les travailleurs exprimant leur refus ont été tenus de reprendre le travail. On peut s'attendre à davantage de refus de travailler de ce type à mesure que la pandémie de la COVID-19 continue de sévir.
Ce bulletin aborde les responsabilités des employeurs en vertu de la législation en matière de santé et de sécurité au travail lorsqu'ils sont confrontés à un refus de travailler en raison d'un prétendu danger. Rappelons que des responsabilités peuvent s'ajouter, en milieu de travail syndiqué, selon les dispositions prévues à la convention collective applicable. Bien que l'accent soit mis sur les lois de l'Ontario, bon nombre de ces principes s'appliqueront de façon générale dans la plupart des autres provinces. Dans tous les cas, les employeurs doivent étudier la situation selon le contexte qui leur est propre.
Qu'est-ce le droit de refuser d'exécuter un travail dangereux ?
Conformément à la Loi sur la santé et la sécurité au travail (la « LSST »), les travailleurs de l'Ontario ont le droit de refuser de travailler s'ils ont des motifs de croire, entre autres, que « les conditions matérielles qui existent dans le lieu de travail », ou un matériel, une machine, un appareil ou un objet qu'ils utilisent ou font fonctionner, sont susceptibles de les mettre en danger. Les critères prévus par la loi pour justifier un refus d'exécuter un travail dangereux varieront selon la juridiction. Toutefois, dans toutes les juridictions, le travailleur n'est pas tenu de prouver qu'il est en danger afin d'entreprendre un refus de travailler, puisqu'il doit plutôt démontrer qu'il croit l'être.
Le droit de refuser d'exécuter un travail dangereux est plus limité pour certaines catégories de travailleurs, qui englobent notamment les pompiers, les agents de police et certains travailleurs de la santé. En général, ces travailleurs n'ont pas le droit de refuser d'exécuter un travail dangereux 1) qui est inhérent à leur emploi ou qui constitue une condition normale de leur emploi, ou 2) lorsque leur refus de travailler mettrait directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d'une autre personne.
Que doit faire un employeur à la suite d'un refus d'exécuter un travail dangereux ?
Si un travailleur exerce son droit de refuser d'exécuter un travail dangereux, l'employeur doit suivre le processus d'enquête et de rapport énoncé dans la loi. Il doit notamment :
- mener une enquête interne sur la situation (habituellement en la présence du travailleur exprimant son refus et un délégué à la santé et à la sécurité ou un représentant du travailleur);
- consigner les circonstances du refus de travailler et de l'enquête;
- s'assurer d'avoir pris les mesures nécessaires pour éliminer le danger, le cas échéant.
Si le travailleur refuse toujours de travailler, un inspecteur en santé et en sécurité du gouvernement doit en être informé, puis il visitera le milieu de travail pour mener une enquête sur le refus de travailler qui persiste. Si l'inspecteur conclut que les critères prévus par la loi pour justifier le refus de travailler ne sont pas remplis, alors le travailleur exprimant son refus devra reprendre le travail. Si l'inspecteur rend la décision inverse, il ordonnera habituellement la prise de mesures correctives.
De quelle manière cela s'applique-t-il pendant une pandémie ?
Sans grande surprise, l'exercice du droit de refuser d'exécuter un travail dangereux a augmenté dans le contexte d'autres maladies infectieuses. Dans un cas en particulier, deux billettistes d'une compagnie aérienne ont manifesté leur refus de travailler pendant l'épidémie de SRAS par peur de contracter la maladie au cours de leurs interactions avec les passagers. Ils ont insisté sur le port de gants et de masques afin de continuer leur travail.
La conclusion formulée par l'employeur, ainsi que dans l'enquête subséquente portant sur la santé et la sécurité en vertu du Code canadien du travail en vigueur au fédéral (le « CCT »), était qu'aucun « danger » n'existait tel que requis par le CCT pour justifier le refus de travailler. Leur conclusion était fondée sur les recommandations des autorités en matière de santé publique, dont l'Organisation mondiale de la santé et Santé Canada. Cette constatation a été confirmée en révision par la commission fédérale des relations de travail.
Dans un autre cas, deux agents d'un centre de services gouvernementaux près d'un aéroport refusaient de travailler si leur employeur ne leur fournissait pas des masques et des gants. Certains clients avec lesquels ils interagissaient arrivaient directement de pays où le SRAS était prévalent. Bien que l'employeur les ait autorisés à porter des masques et des gants pendant ces interactions, il a insisté sur le fait que les travailleurs devaient obtenir l'équipement eux-mêmes ce qui a entraîné le refus de travailler.
Les constations de l'enquêteur en vertu du CCT, qui ont été confirmées en appel, ont révélé que l'employeur avait mis à exécution de façon appropriée les recommandations de Santé Canada, selon lesquelles leurs fonctions comportaient un faible risque en raison de leur contact limité avec le public. De plus, l'utilisation d'équipement de protection en question n'était pas nécessaire compte tenu du faible risque, et les voyageurs arrivant à l'aéroport étaient soumis à des contrôles en lien avec le SRAS. Par conséquent, les critères représentant un « danger » aux termes du CCT n'étaient pas remplis.
Bien que les décisions qui se rapportent à ces cas prennent appui sur une loi et des faits spécifiques, elles permettent d'en retirer quelques recommandations générales pour les employeurs quant à leurs obligations dans le contexte d'une pandémie.
Que peuvent faire les employeurs pour offrir un milieu de travail sécuritaire ?
Suivant les principes généraux de la LSST, tout comme dans d'autres juridictions, un employeur a l'obligation générale de prendre les précautions raisonnables pour assurer la santé et la sécurité de ses travailleurs. Dans le contexte d'une pandémie, un employeur peut également s'attendre à ce que ses travailleurs exercent leur droit de refuser d'exécuter un travail dangereux s'ils considèrent les mesures de protection inappropriées.
Dans les deux cas de refus de travailler décrits précédemment, les employeurs ont eu le mérite d'avoir suivi les recommandations des autorités en matière de santé publique grâce à la mise en œuvre de leurs politiques de protection au travail. Ainsi, ils ont pu démontrer qu'ils fournissaient des protections appropriées et un milieu de travail suffisamment sécuritaire qui ne justifiait pas des refus de travailler.
Pendant la pandémie de la COVID-19, les employeurs doivent impérativement mettre en œuvre des mesures de protection appropriées en suivant les recommandations les plus récentes de leurs agences de la santé publique municipales et provinciales, ainsi que celles de l'Agence de la santé publique du Canada (l'« ASPC »). Selon les recommandations de l'ASPC actuelles, les employeurs doivent prendre des mesures pour entre autres :
- limiter l'accès des personnes au milieu de travail conformément aux critères officiels qui déterminent l'auto-isolement recommandé ou obligatoire, y compris pour les personnes qui reviennent d'un voyage à l'extérieur du Canada;
- demander aux employés qui présentent des symptômes même légers de la COVID-19, conformément aux recommandations de l'ASPC, de rester chez eux, de communiquer avec les autorités en matière de santé publique et de suivre leurs instructions;
- encourager la distanciation sociale pour réduire les risques de contamination, notamment faciliter les conditions de travail à distance et réaménager le milieu de travail pour les autres travailleurs de façon pratique;
- promouvoir les bonnes pratiques d'hygiène, notamment se laver les mains souvent, éviter de se toucher le visage sans s'être d'abord lavé les mains, tousser ou éternuer dans le creux de son bras et s'assurer de nettoyer régulièrement les surfaces fréquemment touchées au sein du milieu de travail.
Conclusion
La pandémie de la COVID-19 est à bien des égards une situation sans précédent. À l'heure actuelle, il est particulièrement important que les employeurs soient proactifs dans la mise en œuvre des recommandations des autorités en matière de santé publique et dans la prise de précautions raisonnables pour apaiser les inquiétudes des travailleurs. Les employeurs doivent également avoir connaissance de leurs obligations spécifiques en cas de refus d'exécuter un travail dangereux, et pour s'assurer que ces refus soient correctement traités, le tout en conformité avec les lois applicables en matière de santé et de sécurité au travail.
[1] Oliver Moore, "Coronavirus concerns prompt TTC disruption as handful of workers refuse to work", Globe and Mail (12 March 2020), en ligne: "Coronavirus concerns prompt TTC disruption as handful of workers refuse to work" [disponible en anglais uniquement]
[2] "Production back up at Windsor Assembly after employees refuse work amid COVID-19 concerns", CBC News (13 March 2020), en ligne: "Production back up at Windsor Assembly after employees refuse work amid COVID-19" [disponible en anglais uniquement]