Le 19 mars 2020, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que la Loi sur la production de défense pourrait bientôt être invoquée pour répondre à la crise de la COVID-19. M. Trudeau, qui s'est exprimé depuis son domicile où il s'est placé en isolement préventif, a ajouté que le gouvernement envisageait plusieurs options.
La déclaration du premier ministre a fait suite à la publication dans le Globe & Mail, le 15 mars dernier, d'une lettre ouverte signée par plus d'une centaine des principaux chefs d'entreprise du Canada, qui exigent une action concertée afin de répondre à la crise. Ils exhortent tous les dirigeants d'entreprise ou de gouvernement du pays à se concentrer immédiatement sur un « objectif unique : freiner le rythme de transmission du coronavirus ».
Parallèlement, le 18 mars, Donald Trump a invoqué la Defense Production Act des États-Unis, qui confère au président le pouvoir de forcer les entreprises à produire certains biens et à les livrer au gouvernement (M. Trump a par la suite tweeté qu'il n'appliquerait cette loi qu'en dernier recours). Cette loi a déjà été utilisée dans le passé, mais habituellement en temps de guerre ou lors d'une catastrophe majeure.
Bien que les accords commerciaux nationaux et internationaux du Canada visent à garantir des marchés publics ouverts et concurrentiels, leur application s'arrête là où des mesures, comme des appels d'offres limités et des délais d'approvisionnement réduits, sont prises aux fins de la sécurité nationale, de la préservation de la santé et de la sécurité publiques, de l'ordre public, ainsi que de la préservation et de la protection de la santé et de la vie humaines. La pandémie de COVID-19 s'inscrit clairement dans au moins une de ces catégories.
À ce jour, plus de 5 800 réponses ont été reçues à un appel fait à l'industrie pour fournir les biens et les services[1] nécessaires.
Comment orienter la réponse de l'industrie à la pandémie de COVID-19?
Comme nous l'avons mentionné plus haut, le président Trump a invoqué la Defense Production Act. Cette loi donne au gouvernement fédéral américain le pouvoir de demander aux entreprises privées de répondre aux besoins liés à la « défense nationale ». Le gouvernement américain a déjà invoqué ce pouvoir pour gérer l'état de préparation aux urgences nationales dans des situations précises; la dernière fois, c'était pour fournir des secours aux sinistrés de l'ouragan qui a dévasté Porto Rico en 2017.
La loi canadienne confère à la ministre des SPAC des pouvoirs étendus lui permettant de faire l'acquisition de « matériel de défense » pour le gouvernement, pouvoir qu'elle exerce régulièrement, notamment pour acquérir des biens et services pour les Forces armées canadiennes et la Garde côtière canadienne, entre autres. La Loi comporte aussi des dispositions permettant à la ministre de « prendre les mesures nécessaires à la mobilisation, l'utilisation rationnelle et la coordination des installations économiques, notamment industrielles », notamment la fabrication de fournitures, le stockage de matières et de substances essentielles afin de prévenir les pénuries et l'octroi de prêts ou d'avances (ou de garanties de remboursement) en vue de fournir une assistance ou des capitaux à l'industrie pour réaliser la production de matériel de défense. Hormis en période de guerre, jamais le gouvernement n'a exercé ce pouvoir supplémentaire consistant à donner des directives à l'industrie et à assumer le contrôle de la production industrielle.
L'utilisation de ce pouvoir supplémentaire pour faire face à une pandémie nationale soulèverait des questions importantes pour tout gouvernement en ce qui concerne la manière dont il interagit avec l'industrie en temps de paix, d'autant plus qu'il s'agirait d'une mesure sans précédent. En outre, le gouvernement canadien dispose d'autres options et ressources, dont beaucoup sont déjà exploitées, et peuvent sans doute permettre d'atteindre le niveau de réponse requis pour combattre la COVID-19.
Des fonds ont déjà été alloués pour combattre la COVID-19. Des processus, comme le cadre de sécurité civile pour le Canada[2], ont été mis en place. Le gouvernement réoriente également les mécanismes de financement existants afin de concentrer les efforts de recherche et de développement pour répondre à la COVID-19. Le 20 mars, le gouvernement a annoncé que la politique industrielle actuelle du Canada sera recentrée pour soutenir la lutte contre la COVID-19. Cela signifie que les fonds réservés pour aider les entreprises à innover, comme le Fonds stratégique pour l'innovation, serviront à soutenir les activités de recherche et de développement de produits et de services pouvant être utilisés au pays en réponse à l'urgence sanitaire (masques, respirateurs, désinfectant pour les mains, etc.).
Enfin, le gouvernement fédéral dispose de la Loi sur les mesures d'urgence et de sa loi complémentaire, la Loi sur la gestion des urgences qui, par l'entremise du ministre de la Sécurité publique, fournit un cadre permettant de gérer les urgences pancanadiennes et d'y répondre. Bien que la Loi sur les mesures d'urgence soit souvent considérée comme une loi de dernier recours, elle est probablement plus appropriée pour coordonner la réponse à la COVID-19 que la LPD.
Marcia Mills est avocate-conseil dans le domaine de l'approvisionnement au bureau de Fasken d'Ottawa et compte plus de 20 ans d'expérience dans les secteurs public et privé, dont plus de 10 ans en tant qu'avocate auprès de Services publics et Approvisionnement Canada, où elle a fourni des conseils au gouvernement dans le cadre d'importants contrats d'approvisionnement de défense et de la Loi sur la production de défense. On peut la joindre à l'adresse courriel suivante : mmills@fasken.com.
Peter Mantas dirige le groupe Approvisionnement de Fasken. Les entreprises font souvent appel à ses conseils pour des dossiers complexes concernant le gouvernement. Il possède une expertise en matière d'approvisionnement, notamment dans le domaine de la défense nationale du Canada, et une expérience avec la Defense Production Act des États-Unis. On peut le joindre à l'adresse courriel suivante : pmantas@fasken.com.
Andrew House pratique le droit dans les domaines des relations gouvernementales, de l'éthique et de la sécurité nationale. Il travaille avec des clients devant résoudre des problèmes urgents et nouveaux en lien avec la réglementation gouvernementale des entreprises en matière de protection des infrastructures essentielles, de certification des chaînes d'approvisionnement et de sécurité des citoyens. Il a été chef de cabinet du ministre de la Sécurité publique du Canada de 2010 à 2015. On peut le joindre à l'adresse courriel suivante : ahouse@fasken.com.
[1] Voir notre bulletin Déclenchement d'une réclamation pour « retards justifiables » au cours de la pandémie de la COVID-19 : ce que les entrepreneurs fédéraux doivent savoir.
[2] Le Groupe d'intervention en cas d'incident et un Comité consultatif spécial sur le nouveau coronavirus (CCS) fédéral-provincial-territorial ont été mis sur pied en janvier. En mars, le Cabinet chargé de la réponse fédérale à la maladie du coronavirus (COVID-19) a été formé.