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Dans quels cas l'obligation de fiducie sans droit de regard est-elle applicable afin de pouvoir réaliser des opérations boursières dans le cadre d'une fonction publique?

Fasken
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Bulletin Droit politique

Les récentes allégations selon lesquelles plusieurs membres du Congrès américain auraient réalisé des opérations boursières à la lumière de renseignements obtenus lors d'une réunion d'information du gouvernement sur la pandémie de la COVID-19 ont suscité de la colère et de la frustration, mais également des réactions de surprise : comment est-il possible que les gens de la classe politique puissent effectuer des opérations boursières tout en exerçant une fonction publique?

Il ne fait aucun doute que les hommes et les femmes au pouvoir et le personnel politique canadiens sont également exposés à des renseignements précieux et non publics dans le cadre de leur travail (et particulièrement peut-être en cas de pandémie). Or, ces renseignements peuvent donner lieu à des conflits d'intérêts financiers et, s'ils sont exploités, à des infractions à la loi. Il va de soi que la même question se pose : les personnalités politiques canadiennes sont-elles autorisées à effectuer des opérations boursières?

Pour être bref, cela dépend.

Nous vous présentons ci-dessous un aperçu des personnes qui sont autorisées à effectuer des opérations boursières tout en occupant une fonction au sein du gouvernement fédéral ou du gouvernement de l'Ontario, celles qui ne le sont pas et celles qui doivent se dessaisir de leurs biens ou les placer dans une fiducie sans droit de regard. 

Quels membres de la classe politique fédérale sont tenus d'établir un fonds en fiducie sans droit de regard?

La Loi sur les conflits d'intérêts interdit aux titulaires de charge publique principaux du gouvernement fédéral d'acquérir et de détenir des biens contrôlés pendant la durée de leur mandat. Le ou la titulaire de charge publique principal(e) doit se dessaisir de ses biens contrôlés en les vendant dans le cadre d'une opération sans lien de dépendance ou en les plaçant dans une fiducie sans droit de regard dans les 120 jours qui suivent son entrée en fonction [1]

Parmi les titulaires de charge publique principaux du fédéral figurent les postes suivants : 

  • le premier ministre;
  • les ministres;
  • les ministres d'État;
  • les secrétaires parlementaires;
  • les membres d'un cabinet nommés, qui exercent leurs fonctions à temps plein et qui sont salariés, y compris les sous-ministres et de nombreux chefs d'organismes;
  • les conseillers ministériels;
  • les membres du personnel ministériel qui travaillent plus de 15 heures par semaine [2].

Les biens contrôlés sont les biens dont la valeur peut être influencée directement ou indirectement par les décisions ou les politiques gouvernementales. Ils comprennent notamment :

  • les valeurs cotées en bourse de sociétés et les titres de gouvernements étrangers;
  • les REER et les REEE autogérés;
  • les FERR qui sont autogérés et qui sont composés d'au moins un bien qui serait considéré comme un bien contrôlé s'il était détenu à l'extérieur du régime ou du fonds;
  • les marchandises, les marchés à terme et les devises étrangères;
  • les options d'achat d'actions, les bons de souscription d'actions et les droits de souscription [3].

Il importe de noter que les députés et leur personnel ne sont pas titulaires de charge publique principaux du fédéral et, à ce titre, ils ne sont pas tenus de se départir de leurs avoirs financiers en les vendant ou en les plaçant dans une fiducie sans droit de regard en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts. Le Code régissant les conflits d'intérêts des députés ne prévoit pas non plus d'exigence de dessaisissement à l'égard des députés.

Toutefois, si le commissaire aux conflits d'intérêts estime que la participation d'un député dans une société publique est si importante qu'elle peut avoir une incidence sur ses obligations en vertu du Code, le député peut continuer à se conformer au Code en mettant ses titres dans une fiducie sans droit de regard [4].

Les députés peuvent également demander un avis au commissaire aux conflits d'intérêts fédéral concernant leurs obligations en vertu du Code, notamment en ce qui concerne leurs investissements [5].

Quels membres de la classe politique provinciale de l'Ontario sont tenus d'établir une fiducie sans droit de regard?

Dans la même veine, la Loi de 1994 sur l'intégrité des députés interdit à tout membre du Conseil exécutif (ministres du cabinet, ministres ou membres du cabinet) de détenir des valeurs mobilières, des actions, des contrats à terme ou des marchandises et d'effectuer des opérations sur ceux-ci [6]. S'ils occupent un de ces postes, ils doivent céder les éléments d'actif énumérés ou les placer dans une fiducie sans droit de regard.

Les députés qui ne font pas partie du Conseil exécutif sont libres de détenir des valeurs mobilières, des actions, des contrats à terme et des marchandises ou d'effectuer des opérations sur ceux-ci [7], mais ils ne doivent pas utiliser de renseignements obtenus en leur qualité officielle pour favoriser leur intérêt personnel ou celui d'une autre personne [8]. De même, le personnel ministériel n'est pas tenu de céder ses titres ou de les placer dans une fiducie sans droit de regard. Toutefois, ils ont l'obligation d'informer le commissaire à l'intégrité de tout intérêt pécuniaire qui pourrait donner lieu à des conflits d'intérêts potentiels en vertu de la Loi de 2006 sur la fonction publique de l'Ontario [9].

Les députés et le personnel ministériel peuvent demander un avis consultatif au commissaire à l'intégrité pour s'assurer que leurs investissements sont conformes à toute règle en matière de conflits d'intérêts applicable. Le commissaire à l'intégrité, par exemple, a conseillé à une haute fonctionnaire du cabinet d'un ministre de se départir des actions qu'elle détenait dans des sociétés de cannabis, car ses fonctions l'obligeaient à travailler éventuellement avec des intervenantes et des intervenants du secteur du cannabis [10]. Dans d'autres cas, le commissaire à l'intégrité peut estimer qu'une fiducie sans droit de regard serait une mesure appropriée pour assurer le respect de ces règles.

Caractéristiques des fiducies sans droit de regard obligatoires

Une fiducie sans droit de regard est un type de fiducie pour laquelle le fiduciaire a pleine autorité sur les éléments d'actif détenus dans la fiducie et le bénéficiaire n'a aucun renseignement sur les éléments d'actif détenus dans la fiducie.

Comme nous l'avons expliqué précédemment, seuls les titulaires de charge publique principaux du gouvernement fédéral et les membres du conseil exécutif de l'Ontario sont tenus de placer leurs biens dans une fiducie sans droit de regard (s'ils choisissent de ne pas s'en dessaisir).

Les fiducies sans droit de regard obligatoires sont soumises aux exigences suivantes :

  • Le titulaire de charge publique principal ou le membre du Conseil exécutif de l'Ontario n'a aucun pouvoir ou contrôle sur les biens en fiducie;
  • Le fiduciaire ne doit pas consulter ou demander d'instructions au titulaire de charge publique principal ou à un membre du Conseil exécutif de l'Ontario en ce qui concerne l'administration de la fiducie;
  • Le fiduciaire ne doit pas fournir de renseignements sur la composition des biens en fiducie au titulaire de charge publique principal ou au membre du Conseil exécutif de l'Ontario;
  • La durée de la fiducie doit correspondre à la durée du mandat du titulaire de charge publique principal ou du membre du Conseil exécutif de l'Ontario. 

En outre, dans le cas des fiducies établies par un membre du Conseil exécutif de l'Ontario, les dispositions de la convention de fiducie et le fiduciaire doivent être approuvés par le commissaire à l'intégrité de l'Ontario [11]. La loi n'exige pas que le commissaire aux conflits d'intérêts fédéral approuve les dispositions de la convention de fiducie d'un titulaire de charge publique principal, mais il doit néanmoins avoir l'assurance qu'il n'y a pas de lien de dépendance entre le titulaire de charge publique principal et le fiduciaire [12].

Les titulaires de charge publique principaux et les membres du Conseil exécutif de l'Ontario qui doivent placer leurs biens dans une fiducie sans droit de regard ont droit au remboursement de frais raisonnables liés à la création et à l'administration de la fiducie.

Conclusion

La loi interdit aux titulaires de charge publique principaux et aux membres du Conseil exécutif de l'Ontario d'effectuer des opérations boursières; ils doivent se dessaisir de leurs biens ou les placer dans une fiducie sans droit de regard.

Nous vous invitons à communiquer avec tout membre de l'équipe de droit politique de Fasken pour obtenir de plus amples renseignements sur l'objet du présent bulletin.


 


[1] Loi sur les conflits d'intérêts (Canada), paragraphe 27(1).

[2] Loi sur les conflits d'intérêts (Canada), paragraphe 2(1). La loi précise qu'un conseiller ministériel est une personne, autre qu'un fonctionnaire, qui occupe un poste au cabinet d'un ministre ou d'un ministre d'État et qui fournit des conseils en matière de politiques, de programmes et de finances à cette personne sur des questions relevant des attributions de celui-ci en cette qualité, et ce, même s'il le fait à temps partiel ou sans rétribution. 

[3] Loi sur les conflits d'intérêts (Canada), article 20.

[4] Code régissant les conflits d'intérêts des députés, article 17.

[5] Code régissant les conflits d'intérêts des députés, paragraphe 26(1).

[6] Loi de 1994 sur l'intégrité des députés (Ontario), article 11.

[7] Loi de 1994 sur l'intégrité des députés (Ontario), paragraphe 9e).

[8] Loi de 1994 sur l'intégrité des députés (Ontario), paragraphe 3(1).

[9] Loi de 2006 sur la fonction publique de l'Ontario, paragraphe 69(3).

[10] Le Bureau du commissaire à l'intégrité, « Rapport annuel 2018-2019 », p. 29 (PDF).

[11] Loi de 1994 sur l'intégrité des députés (Ontario), paragraphe 11(3).

[12] Loi sur les conflits d'intérêts (Canada), alinéa 27(4)i).

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Auteur

  • Kai Olson, Avocat, Ottawa, ON, +1 613 696 6880, kolson@fasken.com

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