Le 30 avril 2020, la British Columbia Utilities Commission (la « BCUC ») a publié son rapport final (PDF disponible seulement en anglais) dans le cadre de son enquête sur la réglementation des entreprises d’utilité publique gérées par des Autochtones (l’« enquête »). Le rapport final comprend trente-cinq (35) recommandations destinées au gouvernement de la Colombie-Britannique dont l’objectif est de favoriser la mise en place d’entreprises d’utilité publique contrôlées par des Autochtones (y compris des projets d’électricité), et il fournit au gouvernement des règles pour les changements fondamentaux à apporter au cadre réglementaire applicable aux entreprises d’utilité publique et aux producteurs d’électricité.
Comme nous le verrons plus loin, le rapport final porte sur les questions suivantes :
- Les projets d’électricité contrôlés par des Autochtones devraient-ils pouvoir avoir accès au réseau de transport et vendre de l’électricité directement aux clients? Réponse : oui.
- Les entreprises d’utilité publique de gaz, d’électricité et d’énergie thermique contrôlées par des Autochtones devraient-elles pouvoir prendre de l’expansion au-delà des frontières des réserves ou des terres sous autonomie gouvernementale ou visées par un traité moderne? Réponse : oui, sous réserve de l’examen des principes énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « DNUDPA ») et d’autres aspects liés à l’intérêt public. Le cas échéant, de quelle façon seraient-elles réglementées?Réponse : par la BCUC.
- Comment la BCUC pourrait-elle éventuellement tenir compte des intérêts des Autochtones lorsqu’elle examinera les projets d’infrastructure ou les contrats d’achat d’énergie proposés par les entreprises d’utilité publique et les producteurs d’électricité allochtones? Réponse : elle pourrait leur accorder plus d’importance, selon les modifications législatives.
Origine de l’enquête
En Colombie-Britannique, les entreprises d’utilité publique sont réglementées par la BCUC qui applique la Utilities Commission Act (l’« UCA »),qui régit actuellement les entreprises d’utilité publique d’énergie (distribution, transport et/ou production) détenues ou exploitées par des groupes autochtones ou qui y sont autrement associées.
Le bien-fondé d’une réglementation unique pour les entreprises d’utilité publique autochtones a été examiné par la BCUC en 2016 à la suite du rejet de la demande de dispense à l’UCA présentée par la Première Nation de Beecher Bay. Cette dernière avait cherché à fournir des services d’utilité publique à la communauté de Spirit Bay, un ensemble résidentiel et commercial sur les terres de la réserve près de Victoria, en Colombie-Britannique.
Le 11 mars 2019, le gouvernement de la Colombie-Britannique a enjoint à la BCUC d’entreprendre l’enquête avec comme mandat d’étudier « la nature et la portée appropriées, au besoin, de la réglementation des entreprises d’utilité publique autochtones », y compris les éléments différenciateurs d’une entreprise d’utilité publique autochtone. Le processus d’enquête comprenait des consultations approfondies avec les communautés autochtones et les organisations représentatives, en plus d’autres parties prenantes.
Définition d’une entreprise d’utilité publique autochtone
Le rapport final présente plusieurs scénarios illustrant les formes que peut prendre une entreprise d’utilité publique autochtone. Comme les exemples ci-dessous le démontrent, les recommandations de la BCUC visaient à mettre en lumière les multiples fonctions que les entreprises d’utilité publique autochtones pourraient remplir :
- Une communauté autochtone éloignée et autonome qui développe un projet de production d’énergie verte pour remplacer l’électricité produite au diesel. L’électricité produite pourrait être distribuée par l’entreprise d’utilité publique autochtone ou vendue à une entreprise d’utilité publique existante pour être distribuée à la communauté.
- Un groupe autochtone propriétaire ou exploitant d’un réseau énergétique de quartier sur les terres de sa réserve aux fins de développement résidentiel ou commercial.
- Un groupe autochtone rural rattaché au réseau existant avec des réserves dispersées qui développe une centrale de coproduction d’énergie géothermique en utilisant l’infrastructure existante d’une entreprise d’utilité publique en place pour distribuer de l’électricité à chaque réserve. Le recours à un réseau de distribution et/ou de transport peut être nécessaire.
- Une entreprise d’utilité publique autochtone qui développe un projet de production d’énergie verte près d’une infrastructure de transport existante, dont l’électricité produite est vendue à une entreprise d’utilité publique existante à un prix qui permet à l’entreprise d’utilité publique autochtone de recouvrer ses coûts.
Afin de s’assurer que son cadre réglementaire proposé comprenne les scénarios mentionnés ci-dessus et ne puisse pas être exploité par les initiateurs de projets allochtones, la BCUC a restreint la définition d’« entreprise d’utilité publique autochtone » aux circonstances dans lesquelles un groupe autochtone a la capacité d’exercer une influence sur les décisions de l’entreprise d’utilité publique et les mesures prises par celle-ci. Cette exigence de « contrôle » pourrait prendre la forme d’un contrôle juridique (de jure) ou d’un contrôle effectif (de facto).
La définition donnée par la BCUC d’une entreprise d’utilité publique autochtone n’est pas géographiquement limitée; elle englobe donc les entreprises d’utilité publique autochtones exerçant des activités au-delà des terres contrôlées par le groupe autochtone.
Encourager le développement tout en protégeant les consommateurs
Les recommandations de la BCUC visent essentiellement à encourager le développement des entreprises d’utilité publique autochtones en abordant la question des barrières systémiques existantes, y compris grâce à la mise en place d’un cadre réglementaire qui permet une viabilité économique. Les éléments clés du cadre réglementaire sont les suivants :
- Affirmation de la DNUDPA : La BCUC tient à souligner que, malgré son statut d’organisme de réglementation indépendant, elle est guidée par les « directives générales du gouvernement », notamment par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « LDNUDPA »). La LDNUDPA affirme que la DNUDPA s’applique aux lois de la Colombie-Britannique, contribue à sa mise en œuvre et appuie le développement des relations avec les groupes autochtones. Les politiques et les principes énoncés dans la LDNUDPA sont intégrés dans les recommandations du rapport final. Il est possible d’obtenir de plus amples renseignements au sujet de la LDNUDPA en cliquant ici.
- Autoréglementation : La BCUC a recommandé de permettre aux groupes autochtones de se retirer facilement du cadre réglementaire de la BCUC en ce qui concerne leur réserve ou leurs terres sous autonomie gouvernementale ou visées par un traité moderne pour adhérer plutôt àun cadre réglementaire prescrit par le groupe même. Bien que la portée et la forme de la réglementation pourraient varier selon la capacité du groupe autochtone, un processus rigoureux de résolution des plaintes et des différends devra être mis en place pour assurer la protection des consommateurs (tel qu’approuvé par un groupe ou un organisme de personnes autochtones et non par la BCUC).
- Statu quo quant au territoire traditionnel (pour l’instant) : En vertu du cadre proposé, les entreprises d’utilité publique autochtones pourraient exercer leurs activités au-delà de leur réserve ou de leurs terres sous autonomie gouvernementale ou visées par un traité moderne, mais dans ce cas, elles demeureraient assujetties au cadre réglementaire de la BCUC. Cependant, en vertu de la réglementation de la BCUC, ils tireraient avantage des contreparties modifiées lors de leurs demandes d’approbation de projets (certificat de commodité et de nécessité publiques). La BCUC a également recommandé au gouvernement de la Colombie-Britannique de donner aux producteurs d’électricité autochtones un accès aux réseaux de transport et de distribution de BC Hydro pour faciliter le transport de l’électricité d’un secteur de la province à un autre.
La BCUC a souligné que les groupes autochtones pourraient négocier des zones élargies d’autoréglementation au moyen de traités modernes ou d’autres accords selon ce qui est prévu par la LDNUDPA.
Réorienter la BCUC pour favoriser la réconciliation
Le rapport final met fortement l’accent sur l’importance de donner les moyens aux groupes autochtones de s’autoréglementer, en mettant notamment à profit les compétences de la BCUC pour acquérir de l’expertise et encadrer la mise en œuvre de ses recommandations. Dans le cadre de ce processus, la BCUC a également expliqué comment elle doit changer pour mieux prôner la réconciliation et répondre aux problèmes relatifs aux peuples autochtones de façon générale.
Les changements institutionnels proposés incluent : (1) un rôle plus important pour les peuples autochtones lors des procédures de la BCUC en recrutant des employés, des consultants et des commissaires autochtones; (2) l’élaboration d’une stratégie pour renforcer la capacité de la réglementation des entreprises d’utilité publique autochtones; et (3) la modification des politiques et des procédures réglementaires de la BCUC pour refléter plus justement les objectifs de réconciliation.
Un programme d’offre permanente 2.0 ?
Le programme d’offre permanente de BC Hydro (le « POP ») a été lancé pour la première fois en 2008 afin d’offrir aux producteurs d’énergie indépendants la possibilité de développer des projets d’énergie renouvelable à petite échelle en vendant l’électricité produite à BC Hydro. Le programme a été suspendu en 2017, mettant ainsi en lumière un surplus continu d’électricité de BC Hydro.
Le rapport final prépare le terrain pour la relance éventuelle du POP dans le but de favoriser des occasions d’affaires pour les communautés autochtones. La BCUC propose d’apporter des changements législatifs à l’UCA qui faciliteraient la conclusion de contrats d’achat d’électricité entre des entreprises d’utilité publique comme BC Hydro et des producteurs d’électricité autochtones dont le prix est généralement basé sur les prix d’électricité du marché. Cependant, « dans certaines circonstances, il pourrait être approprié d’accorder une subvention (ou une prime par rapport au prix du marché) s’il peut être démontré qu’une subvention ou une prime est nécessaire afin d’“atténuer les incidences environnementales, économiques, sociales, culturelles ou spirituelles négatives” ». Les primes par rapport au prix offert par le POP « pourraient être fournies par le gouvernement s’il est établi qu’un projet spécifique en a besoin pour atténuer les incidences économiques négatives et que cette atténuation a été requise pour que la province respecte ses obligations en vertu de la LDNUDPA ».
La réglementation des services publics à l’avenir
Le rapport final de la BCUC et la réglementation des entreprises d’utilité publique autochtones en Colombie-Britannique seront maintenant examinés par le gouvernement de la Colombie-Britannique, ce qui mènera vraisemblablement à des réformes de l’Utilities Commission Act (l’« UCA ») ou à la création d’un nouveau cadre juridique applicable aux entreprises d’utilité publique autochtones.
Bien que le délai de mise en œuvre des recommandations de la BCUC demeure incertain, le rapport final présente des règles claires pour le gouvernement provincial au moment où il élabore les orientations futures. Il reste à voir si certaines des recommandations de la BCUC, y compris son appui au processus de conclusion de traités modernes, seront réalisables.
Étant donné l’importance des questions examinées, toutes les prochaines étapes suivant l’enquête nécessiteront en principe davantage de consultations avec les groupes autochtones, les entreprises d’utilité publique en place et le public pour assurer la stabilité de l’approvisionnement en énergie et la protection des consommateurs tout au long d’une période de changements.