La Cour suprême du Canada (la « CSC ») n’entendra pas les appels de trois Premières Nations visant à infirmer la deuxième approbation du gouvernement fédéral du projet d’expansion de Trans Mountain (le « projet » ou « TMX »). Les Premières Nations voulaient interjeter appel de la décision de février 2020 de la Cour d’appel fédérale, qui a jugé que la deuxième ronde de consultations du gouvernement en lien avec le projet était suffisante. Avec ce rejet, il n’existe désormais plus de contestation judiciaire en cours concernant le projet.
Nous présentons ci-dessous un résumé des contestations judiciaires auxquelles le projet a été confronté depuis sa proposition en 2013.
La longue route vers la sécurité judiciaire
En décembre 2013, Trans Mountain a demandé à l’Office national de l’énergie (l’« ONÉ ») la permission de construire et d’exploiter le projet.
L’ONÉ a mené de nombreuses audiences, à partir d’avril 2014, pendant lesquelles elle a reçu des observations de plus de 1 600 participants, dont environ 400 intervenants et 1 250 commentateurs.
En septembre 2014, la ville de Burnaby a demandé une injonction [1] (en anglais) à la Cour suprême de la Colombie-Britannique afin de faire cesser les travaux du projet dans l’aire de conservation du mont Burnaby, qui, selon elle, étaient contraires aux lois municipales. La Cour a jugé que la Loi sur l’Office national de l’énergie accordait à Trans Mountain le droit d’accéder à des terres privées, y compris dans l’aire de conservation du mont Burnaby, pour y mener des études techniques, et que tout appel des décisions de l’ONÉ doit être présenté devant la Cour d’appel fédérale. La demande d’autorisation d’appel de cette décision a été rejetée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique [2] (en anglais).
En octobre 2014, l’ONÉ a déterminé que la ville de Burnaby n’avait pas la compétence pour empêcher des travaux relatifs au projet et que ses règlements administratifs n’étaient pas applicables au projet. La ville de Burnaby a déposé une demande d’autorisation d’appel de cette décision à la Cour fédérale d’appel, laquelle a été rejetée.
En novembre 2014, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a émis une injonction [3] (en anglais) à l’encontre des manifestants qui empêchaient les travaux de levés et de forage sur le site du mont Burnaby, ce qui a mené à l’arrestation de plus de 100 personnes. Une demande subséquente visant à prolonger la durée de l’injonction pendant deux semaines a été refusée par la Cour [4] (en anglais).
En octobre 2015, la ville de Burnaby est retournée devant les tribunaux de la Colombie-Britannique et a soutenu que l’ONÉ n’avait pas la compétence pour juger des conflits constitutionnels entre les règlements administratifs de Burnaby et les pouvoirs accordés en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Ces arguments ont été rejetés par la Cour suprême en novembre 2015 [5] (en anglais) et la Cour d’appel en mars 2017 [6] (en anglais).
En octobre 2015, les Libéraux fédéraux, sous Justin Trudeau, ont remporté un mandat majoritaire au Parlement, mettant fin à plus de neuf années de règne du gouvernement conservateur.
En mai 2016, l’ONÉ a publié son rapport recommandant au gouvernement fédéral d’approuver le projet, sous réserve de 157 conditions.
En novembre 2016, le gouverneur en conseil fédéral (essentiellement le Cabinet fédéral) a approuvé le projet et a demandé à l’ONÉ d’émettre un certificat d’utilité publique à l’égard du projet. Le gouvernement Trudeau s’est engagé à ce que le projet soit construit.
À la suite de l’approbation, en décembre 2016, la ville de Burnaby a bloqué son approbation envers plusieurs demandes de planification et de coupe d’arbres, ce qui a empêché Trans Mountain de commencer les travaux relatifs au projet. En réponse, en octobre 2017, Trans Mountain a déposé une requête devant l’ONÉ afin de demander une dispense relative à la conformité aux règlements administratifs de Burnaby. En janvier 2018, l’ONÉ a jugé que le processus de révision des règlements administratifs de Burnaby n’était pas raisonnable et a causé des délais déraisonnables, et par conséquent a dispensé Trans Mountain de l’obtention des permis aux termes de ces règlements administratifs en les déclarant inapplicables. La Cour d’appel fédérale a rejeté le pourvoi en appel de Burnaby de la décision rendue. La CSC a ensuite refusé d’entendre l’appel.
En janvier 2017, la province de la Colombie-Britannique a émis un certificat d’évaluation environnementale (un « CEE ») aux termes d’un accord d’équivalence avec l’ONE. Le permis comprenait 37 conditions supplémentaires que Trans Mountain devait respecter avant et pendant la construction.
En juin 2017, le gouvernement de la Colombie-Britannique a changé, pour passer d’un gouvernement libéral majoritaire à un gouvernement néodémocrate minoritaire, soutenu par le Parti vert. Le NPD et le Parti vert se sont engagés à prendre des mesures pour faire cesser la construction du projet.
En mars 2018, Trans Mountain a obtenu une autre injonction interlocutoire [7] (en anglais) contre des manifestants qui bloquaient l’accès à plusieurs sites du projet. Dans les mois suivants, des centaines de personnes ont été arrêtées près des lieux pour avoir violé l’injonction, dont certaines d’entre elles ont été accusées d’outrage au tribunal et déclarées coupables.
En avril 2018, le gouvernement démocrate provincial en Colombie-Britannique a proposé des modifications à la loi intitulée Environmental Management Act afin d’exiger des « permis relatifs à une substance dangereuse » pour le transport du « pétrole lourd ». La province a ensuite soumis la législation proposée à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, lui demandant de se prononcer sur l’autorité constitutionnelle de la province en la matière. La législation proposée aurait eu pour effet d’empêcher TMX de procéder, ce que le gouvernement néodémocrate s’était engagé à faire.
Plusieurs développements se sont succédé en mai 2018 :
- La Cour suprême de la Colombie-Britannique a refusé une contestation par la nation Squamish [8] (en anglais) concernant le caractère adéquat de la consultation menée par la Colombie-Britannique. Même si la province n’avait pas le pouvoir de refuser l’émission du CEE (conforme à l’accord d’équivalence), la Cour a soutenu qu’elle avait toujours l’obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones qui étaient possiblement touchés par le projet. La Cour a jugé que la consultation de la province avait été raisonnable et a maintenu l’émission du certificat.
- La Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté la contestation de la ville de Vancouver [9] (en anglais), qui soutenu que la province n’avait pas agi conformément à la loi sur l’évaluation environnementale provinciale lorsqu’elle s’est appuyée sur l’accord d’équivalence (abordé ci-dessus). La Cour a jugé que la province avait agi raisonnablement dans sa décision d’émettre le CEE et avait le droit de s’appuyer sur l’équivalent fédéral dans les circonstances.
- Le gouvernement fédéral a annoncé son intention d’acquérir le projet auprès de Kinder Morgan Canada Limited. Les actionnaires de la société ont approuvé la vente en août 2018.
En août 2018, la Cour d’appel fédérale a infirmé [10] la première approbation du projet par le gouverneur en conseil fédéral, en soutenant principalement que le gouvernement fédéral n’avait pas suffisamment consulté les peuples autochtones, n’avait pas évalué adéquatement l’incidence de l’augmentation cumulative du trafic de pétroliers et n’avait pas mesuré adéquatement les effets du projet sur les mammifères marins. À la suite de cette décision, l’ONÉ a entrepris un examen plus approfondi en tenant notamment une audience, et le gouvernement fédéral a mené une consultation supplémentaire.
En février 2019, l’ONÉ a publié un nouveau rapport qui recommandait l’approbation du projet sous réserve de 156 conditions ainsi que de 16 nouvelles recommandations pour mettre en œuvre des mesures uniquement dans le cadre de la compétence du Cabinet.
En mai 2019, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé [11] que la tentative de la province de réglementer le transport de « pétrole lourd » au moyen de modifications à la loi intitulée BC Environmental Management Act ne relevait pas de sa compétence constitutionnelle. Les modifications auraient fort probablement empêché la poursuite du projet.
En juin 2019, le gouverneur en conseil fédéral a approuvé le projet pour la deuxième fois.
Également en juin 2019, la nation Squamish et la ville de Vancouver ont toutes deux porté en appel les décisions rendues en mai 2018 par la Cour suprême de la Colombie-Britannique (voir ci-dessus). Lors de l’appel, les parties ont invoqué un motif additionnel voulant que, lors de l’octroi du CEE, la province se soit appuyée sur la première approbation fédérale, qui a ensuite été jugée déficiente; par conséquent le fondement de l’approbation de la province était donc également déficient. Dans deux décisions distinctes, publiées en septembre 2019, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé [12] (en anglais) que le défaut du Canada d’avoir mené des consultations adéquates ne rendait pas automatiquement la consultation de la province inadéquate. La Colombie-Britannique a mené des consultations supplémentaires séparément du processus fédéral et a suivi les exigences légales en vertu de la loi sur l’évaluation environnementale provinciale. Toutefois, dans les deux décisions, la Cour a ordonné à la province de réévaluer l’émission du CEE à la lumière des conclusions du deuxième rapport de l’ONE, même si elle n’a pas invalidé le CEE original.
À la suite de la deuxième approbation fédérale du projet, douze groupes différents ont déposé des demandes à la Cour d’appel fédérale pour porter en appel la décision du gouvernement fédéral. En septembre 2019, la Cour d’appel fédérale a rejeté six de ces demandes [13], réduisant de façon importante la portée des questions concernant l’appel et refusant d’entendre les arguments fondés sur les préoccupations environnementales. Les seuls appels autorisés étaient des contestations concernant le caractère adéquat de la deuxième ronde de consultation des peuples autochtones. En mars 2020, la demande d’autorisation d’appel de la décision sur la portée à la CSC a été refusée.
En octobre 2019, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a été réélu, cette fois-ci avec un gouvernement minoritaire. Ils se sont encore engagés à ce que le projet soit construit.
En décembre 2019, Trans Mountain a posé la première section du pipeline près d’Edmonton, en Alberta.
En janvier 2020, l’appel de la province de la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui déclarait que ses modifications législatives à la loi intitulée BC Environmental Management Act ne relevaient pas de sa compétence constitutionnelle, a été unanimement rejeté séance tenante par la CSC, cette dernière accueillant les motifs de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.
En février 2020, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée [14] sur les six appels restants, en déclarant que la deuxième ronde de consultations avec les peuples autochtones était suffisante et en maintenant la deuxième approbation fédérale du projet.
En mai 2020, la province de la Colombie-Britannique a émis un CEE modifié (en anglais) en réponse aux décisions de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique en septembre 2019.
En juillet 2020, la CSC a refusé la demande de trois Premières Nations qui voulaient porter en appel la décision de la Cour d’appel fédérale de février 2020.
Conclusion
La plus récente décision de la Cour suprême du Canada de refuser d’entendre l’appel des trois groupes autochtones signifie qu’il ne reste plus de contestation judiciaire en cours concernant le projet. La sécurité juridique a été difficile à atteindre pour ce projet, et la décision de la CSC est une étape importante vers sa concrétisation. Même s’il est toujours possible que de nouvelles contestations judiciaires
se produisent dans l’avenir, le projet les a toutes surmontées et semble être en voie de se réaliser.
[1] Burnaby (City) v. Trans Mountain Pipeline ULC, 2014 BCSC 1820 (en anglais).
[2] Burnaby (City) v. Trans Mountain Pipeline ULC, 2014 BCCA 465 (en anglais).
[3] Trans Mountain Pipeline ULC v. Gold, 2014 BCSC 2133 (en anglais).
[4] Trans Mountain Pipeline ULC v. Gold, 2014 BCSC 2403 (en anglais).
[5] Burnaby (City) v. Trans Mountain Pipeline ULC, 2015 BCSC 2140 (en anglais).
[6] Burnaby (City) v. Trans Mountain Pipeline ULC, 2015 BCCA 132 (en anglais).
[7] Voir, par exemple : Trans Mountain Pipeline ULC v. Mivasair, 2018 BCSC 1070 (en anglais).
[8] Squamish Nation v. British Columbia (Environment), 2018 BCSC 844 (en anglais).
[9] Vancouver (City) v. British Columbia (Environment), 2018 BCSC 843 (en anglais).
[10] Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153.
[11] Reference re Environmental Management Act (British Columbia), 2019 BCCA 181 (en anglais).
[12] Squamish Nation v. British Columbia (Environment), 2019 BCCA 321 (en anglais); Vancouver (City) v. British Columbia (Environment), 2019 BCCA 322 (en anglais).
[13] Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 224.
[14] Coldwater First Nation c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34.