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Ajout de la « supériorité » et de la « prédominance » à la condition du meilleur moyen pour régler les questions communes à la loi ontarienne sur les recours collectifs: effets en droit de la concurrence

Fasken
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Bulletin Litiges et résolution de conflits

Depuis la trilogie des arrêts de 2013 de la Cour suprême du Canada dans les affaires Pro-Sys, Sun-Rype et Infineon et de l’arrêt rendu en 2019 dans l’affaire Godfrey, les demandeurs réussissent facilement à faire certifier (« autoriser » au Québec) des recours collectifs privés en matière de droit de la concurrence au Canada. Les récentes modifications apportées à la Loi sur les recours collectifs de l’Ontario pourraient avoir un effet considérable sur cet état de chose. Tel qu’il est analysé plus en détail ci-dessous, la modification la plus importante apportée à la Loi sur les recours collectifs de l’Ontario vise la condition de certification voulant que les demandeurs établissent que le recours collectif est le meilleur moyen de résoudre les questions communes.

La condition du meilleur moyen pour résoudre les questions communes comprendra dorénavant un élément de supériorité et un élément de prédominance semblables à ceux que prévoit la Règle fédérale 23(b)(3) des États-Unis. Si ces dispositions sont interprétées comme l’est la Règle fédérale 23(b)(3) des États-Unis, les juges appelés à se prononcer sur la certification d'un recours collectif procéderont probablement à une analyse dite rigoureuse pour déterminer si les questions de droit ou de fait communes aux réclamations des membres du groupe, l’emportent sur les questions de droit ou fait individuelles, ce qui pourrait, par voie de conséquence, rendre plus difficile la certification des recours collectifs privés en matière de droit de la concurrence.

Modifications apportées à la Loi sur les recours collectifs

Comme il a été décrit dans un bulletin précédent, le projet de loi 161 de l’Ontario, la Loi de 2020 pour un système judiciaire plus efficace et plus solide (PDF), a reçu la sanction royale le 8 juillet 2020. Il s’agit d’un projet de loi omnibus qui modifie notamment la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario (la « LRC »). Les modifications s’appliqueront aux recours collectifs intentés après la proclamation du projet de loi 161, ce qui n’a pas encore été fait, mais devrait l’être sous peu.

Les modifications apportées à la LRC sont à la fois nombreuses et significatives. Elles toucheront tous les types de recours collectifs, notamment les recours collectifs privés exercés en vertu de la Loi sur la concurrence du Canada (la « Loi »). En bref, les modifications ont pour effet :

  • de modifier la condition de certification portant sur le meilleur moyen de résoudre les questions communes (plus de détails ci-après);
  • de rationaliser les voies d’appel découlant de la décision de certification;
  • de réformer et d’accélérer le processus de demande en cours d’instance;
  • d’exiger l’inscription des recours collectifs et de créer une base de données sur toutes les causes en cours;
  • de prévoir un processus de rejet automatique pour cause de retard si les demandeurs ne déposent pas une demande de certification dans l’année suivant le dépôt de l’acte introductif d’instance;
  • de créer des procédures pour la coordination multiterritoriale des recours collectifs avec les autres provinces du Canada;
  • d’encourager les demandes préliminaires préalables à la certification susceptibles de limiter les questions en litige ou même d’éliminer la nécessité de l’instance;
  • d’exiger la rédaction en « langage simple » des avis aux membres approuvés par le tribunal;
  • de prévoir expressément l’émission d’ordonnances selon le principe de l’aussi-près (cy près) lorsqu’il n’est ni pratique ni possible d’indemniser directement les membres du groupe;
  • de renforcer le processus d’homologation d’une transaction, notamment en augmentant les obligations en matière de preuve et de rapports;
  • d’exiger que le tuteur et curateur public et le Bureau de l’avocat des enfants soient avisés plus tôt des causes touchant les personnes qu’ils représentent.

La plus importante de ces modifications touche la condition de certification portant sur le meilleur moyen de résoudre les questions communes. Les répercussions sur les recours privés en matière de droit de la concurrence sont analysées plus en détail ci-dessous.

Meilleur moyen de résoudre les questions communes: ajout des critères de « supériorité » et de « prédominance »

À l’heure actuelle, l’analyse relative au meilleur moyen de résoudre les meilleurs moyens aux termes de la LRC comporte deux volets fondamentaux : même s’il existe un groupe identifiable de personnes dont les réclamations soulèvent des questions communes, ces questions ne seront pas tranchées dans le cadre d’un recours collectif sauf si : (1) un tel recours soit intrinsèquement juste, efficace et pratique; et (2) s’il est préférable aux autres moyens raisonnablement disponibles pour régler les demandes des membres du groupe. Il incombe au représentant des demandeurs de démontrer l’existence d’un certain fondement factuel selon lequel le recours collectif est préférable à tout autre moyen raisonnablement disponible pour régler les demandes des membres du groupe. Toutefois, si le défendeur invoque un autre moyen, il a le fardeau d’en prouver la viabilité.

Les modifications apportées à la LRC mettront dorénavant sur les épaules des demandeurs le fardeau de satisfaire à deux nouvelles exigences relatives au meilleur moyen de résoudre les questions communes. Le recours collectif sera considéré comme étant le meilleur moyen de résoudre les questions communes seulement si, au minimum, les conditions suivantes sont réunies :

  • ce moyen est supérieur à tous les autres moyens raisonnablement disponibles pour établir le droit des membres du groupe à une mesure de redressement ou examiner la conduite reprochée au défendeur, notamment, selon le cas, une procédure quasi judiciaire ou administrative, la gestion des causes pour les demandes individuelles dans une instance civile ou un mécanisme ou programme de réparation hors du cadre d’une instance;
  • les questions de fait ou de droit communes aux membres du groupe l’emportent sur les questions qui touchent uniquement les membres du groupe pris individuellement.

Ces modifications introduisent des critères de supériorité et de prédominance s’apparentant à ceux que prévoit la Règle fédérale 23(b)(3) des États-Unis. La professeure Jasminka Kalajdzic et Paul-Erik Veel ont effectué dans leurs billets de blogue respectifs une analyse fort éclairante des répercussions de ces modifications quant à la condition de certification portant sur le meilleur moyen pour résoudre les questions communes.

Pour ce qui est du critère de supériorité, les expressions « établir le droit des membres du groupe à une mesure de redressement » et « examiner la conduite reprochée au défendeur » semblent obliger les demandeurs à démontrer que le recours collectif est préférable pour régler entièrement les demandes des membres du groupe, y compris la mesure de redressement ultime pour chaque membre du groupe.

Il est généralement satisfait à la condition du meilleur moyen pour résoudre les questions communes lorsque que celle-ci constituent un élément important des demandes des membres du groupe même si des procès sur des questions individuelles ou des processus d’évaluation des demandes seront nécessaires pour adjuger définitivement les demandes de chaque membre du groupe. Cependant, comme le signale la professeure Kalajdzic, l’énumération des « autres moyens raisonnablement disponibles », à savoir « une procédure quasi judiciaire ou administrative, la gestion des causes pour les demandes individuelles dans une instance civile ou un mécanisme ou programme de réparation hors du cadre d’une instance », donne à penser qu’il revient entièrement aux demandeurs de prouver qu’aucun des autres moyens n’est supérieur au recours collectif.

Pour ce qui est du critère de prédominance, l’expression « les questions de fait ou de droit communes aux membres du groupe l’emportent sur les questions qui touchent uniquement les membres du groupe pris individuellement » laisse entendre que le nombre de questions communes doit l’emporter sur les questions individuelles pour pouvoir répondre la condition du meilleur moyen pour résoudre les questions communes.

Si ces dispositions sont interprétées comme l’est la Règle fédérale 23(b)(3) des États-Unis, les juges appelés à se prononcer sur la certification d’un recours collectif procéderont probablement à une analyse rigoureuse (PDF) pour déterminer si les questions de droit ou de fait communes l’emportent sur les questions individuelles. Bien que la jurisprudence découlant du critère de prédominance aux termes de cette règle américaine varie quelque peu, les juges appelés à se prononcer sur la certification en vertu de ces dispositions prennent effectivement en considération le nombre potentiellement trop élevé des questions individuelles à résoudre, même si les questions communes peuvent constituer un élément important des réclamations des membres du groupe, rendant le recours collectif peu pratique et peu susceptible de promouvoir l’économie des ressources judiciaires.

En pratique, la nouvelle mouture de la condition de certification portant sur le meilleur moyen de résoudre les questions communes pourra avoir pour effet que les nouveaux recours collectifs ayant peu de questions communes, dont notamment un question portant sur la responsabilité, pourront ne pas satisfaire aux nouvelles exigences parce que les questions individuelles portant sur la perte et les dommages l’emportent sur les questions communes.

Comme il est indiqué ci-dessous, cela touche particulièrement les recours collectifs en matière de droit de la concurrence dans lesquels les questions en litige tendent à mettre l’accent sur la perte ou les dommages que les membres du groupe auraient subis et, de plus en plus, sur la mesure de redressement ultime pour chacun des membres du groupe – acheteurs directs, acheteurs indirects et acheteurs sous parapluie – plutôt que sur la question de savoir si une violation de la Loi a effectivement eu lieu.

Répercussions des ajouts à la condition du meilleur moyen pour résoudre les questions communes en matière de droit de la concurrence

Le paragraphe 36(1) de la Loi confère un droit d’action en dommages-intérêts à quiconque a subi une perte ou des dommages par suite d’un comportement allant à l’encontre de la partie VI de la Loi (c’est-à-dire les infractions criminelles prévues par la Loi). Les recours collectifs alléguant un comportement allant à l’encontre de la partie VI de la Loi portent généralement sur de la collusion (par exemple : fixation des prix, truquage des offres) et, dans une moindre mesure, sur des pratiques commerciales trompeuses d’ordre criminel.

Le tribunal peut ordonner une mesure corrective en vertu du paragraphe 36(1) de la Loi si l’intéressé démontre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi une perte ou des dommages suivant un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de la Loi. La perte ou les dommages indemnisables en vertu de la Loi se limitent à la simple réparation, soit une somme égale au montant de la perte ou des dommages que la personne est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour cette personne, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du paragraphe 36(1).

Par conséquent, une condition préalable au recouvrement en vertu du paragraphe 36(1) est l’existence de dommages ou d’une perte réellement subis par le demandeur, ainsi que d’un lien de causalité entre les dommages ou la perte subis et le comportement reproché, quel qu’il soit. Par exemple, les éléments constitutifs de l’infraction de collusion sont le fait que des concurrents ont convenu de se livrer à un certain comportement reproché, qu’il s’agisse de fixer les prix, de restreindre la production ou d’attribuer des parts de marché. Toutefois, pour qu’un demandeur privé obtienne des dommages-intérêts pour le comportement à la base de telles infractions, il doit prouver qu’il a subi une perte ou des dommages réels et qu’il existe un lien de causalité entre le comportement à la base de l’infraction et la perte ou les dommages allégués.

À titre d’exemple supplémentaire, dans le cas de l’infraction d’indications fausses ou trompeuses aux termes de la Loi, il n’est pas nécessaire de prouver qu’une personne a effectivement été trompée ou induite en erreur pour obtenir une déclaration de culpabilité. Toutefois, pour qu’un demandeur privé obtienne des dommages-intérêts, il doit prouver qu’il a subi une perte ou des dommages réels et qu’il existe un lien de causalité entre les indications fausses ou trompeuses et la perte ou les dommages allégués.

Reconnaissant le lien entre l’application publique et l’application privée des lois sur la concurrence au Canada, la Loi permet au demandeur privé d’utiliser les « procès-verbaux relatifs aux procédures » engagées devant le tribunal pénal qui a déclaré le défendeur coupable de l’infraction comme preuve réfutable que le défendeur s’est livré au comportement reproché. Comme de nombreux recours collectifs portant sur la fixation des prix au Canada sont intentés à la suite à des plaidoyers de culpabilité, les demandeurs sont dispensés de prouver que les défendeurs ont commis une infraction à la Loi, en l’absence de preuve contraire.

À l’égard de ce qui précède, la responsabilité constitue rarement un élément central des recours collectifs en matière de droit de la concurrence. La responsabilité touche généralement un nombre limité de questions communes, notamment : (i) la question de savoir si les défendeurs, ou l’un ou plusieurs d’entre eux, se sont livrés à un comportement déterminé allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de la Loi; et (ii) la période pendant laquelle le comportement a eu lieu. Tel qu’il a été indiqué plus haut, les « procès-verbaux relatifs aux procédures » traitent généralement de ces questions communes, en totalité ou en partie.

En revanche, et comme le démontrent de nombreux recours collectifs en matière d’antitrust aux États-Unis, le caractère commun de la perte ou des dommages subis et le critère de prédominance présentent des difficultés uniques et complexes pour les demandeurs. Souvent (PDF), les modèles économiques sont loin d’établir que des dommages peuvent être mesurés à l’échelle d’un groupe, y compris lorsque les modèles économiques proposés ne comportent pas une liste de variables clairement définie et ne démontrent pas l’existence de données se rapportant aux variables proposées (PDF).

La description des groupes dans le cadre des recours collectifs canadiens portant sur la fixation des prix, particulièrement selon l’arrêt Godfrey de la Cour suprême du Canada, est vaste et diversifiée, englobant les acheteurs directs, les acheteurs indirects et maintenant les acheteurs sous parapluie. Le scepticisme ne manque pas quant à la viabilité des méthodes économiques visant à établir que les majorations alléguées ont été transférées à divers niveaux de la chaîne de distribution. Le scepticisme entoure également les méthodes offrant une possibilité réaliste d’établir la perte à l’échelle du groupe.

S’il est établi que des examens individuels sont nécessaires à la détermination de la perte ou des dommages aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi et de la mesure de redressement ultime à laquelle chaque membre du groupe a droit, il peut être conclu que les questions relatives à la perte ou aux dommages l’emportent sur les questions communes au groupe. De plus, si les juges appelés à se prononcer sur la certification estiment à propos d’examiner le bien-fondé de la cause dans le cadre de l’analyse de la prédominance – ce qui n’est pas sans précédent dans les recours collectifs en matière d’antitrust aux États-Unis – les méthodes proposées censées offrir une possibilité réaliste d’établir la perte à l’échelle du groupe pourront être vivement contestées sur le plan de la preuve. En ce qui a trait à ces questions en particulier, les demandeurs pourraient être incapables de satisfaire aux critères du meilleur moyen pour résoudre les questions communes.

Bien entendu, le critère du meilleur moyen pour résoudre les questions communes sera interprété par les juges ontariens appelés à se prononcer sur la certification, et il est impossible de prédire comment ces nouvelles modifications seront interprétées et quelles décisions seront rendues, notamment si les juges ontariens les interpréteront comme l’est généralement la Règle fédérale 23(b)(3) aux États-Unis. Toutefois, la nouvelle rédaction de la condition de certification pour résoudre les questions communes pourrait changer la donne dans une province où les demandeurs réussissaient par ailleurs aisément à faire certifier des recours collectifs privés en matière de droit de la concurrence.

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Auteur

  • Antonio Di Domenico, Associé, Toronto, ON, +1 416 868 3410, adidomenico@fasken.com

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