Dans une décision divisée (3-2-4), la Cour suprême du Canada (la « Cour suprême ») a reconnu la validité de la Loi sur la non-discrimination génétique, une loi fédérale visant à protéger les renseignements personnels et prévenir la discrimination génétique.
Les juges ont conclu à la majorité que les renseignements génétiques font partie des renseignements biographiques essentiels et qu'en conséquence, la protection de leur confidentialité est un objet de droit criminel valide.
Le contexte
Jusqu'à l'avènement de la recherche de pointe en génomique, il était parfois impossible de déterminer pourquoi certaines personnes souffraient de certaines maladies ou troubles débilitants. Désormais, il est possible d'étudier le profil génétique d'une personne pour déterminer les probabilités que celle-ci développe ou transmette à ses descendants certaines caractéristiques génétiques néfastes.
Alors qu'il est de plus en plus apparent que les caractéristiques génétiques jouent un rôle important, sinon déterminant, dans le développement de certaines maladies, des rapports d'experts et de chercheurs médicaux démontrent qu'un nombre croissant de Canadiens hésitent ou refusent de chercher à connaître leur profil génétique tant qu'il n'existe pas de protection contre la discrimination génétique, par crainte de perdre leur couverture d'assurance, leur emploi ou leur statut social.
Parallèlement, les liens entre le portrait génétique d'une personne et sa réponse aux traitements médicaux deviennent de plus en plus clairs. La médecine personnalisée, qui évalue les mesures curatives nécessaires selon les caractéristiques de chaque patient, est maintenant reconnue comme jouant un rôle clé dans la réussite des traitements.
Selon le témoignage d'un expert rendu devant un comité parlementaire, dès 2015, de nombreux Canadiens ne se sentaient pas prêts à se prévaloir du dépistage de leur profil génétique en raison des conséquences néfastes qu'un test pourrait avoir sur eux-mêmes ou sur leurs enfants. Plusieurs groupes de soutien, des groupes représentant des familles affligées par des troubles génétiques graves, des scientifiques et des chercheurs du domaine médical ont interpellé le gouvernement fédéral pour que celui-ci adopte des mesures législatives permettant de pallier aux excès potentiels du recours aux tests génétiques.
Le parcours sinueux de la Loi sur la non-discrimination génétique
En 2017, le Parlement a promulgué la Loi sur la non-discrimination génétique, en dépit de l'avis du ministre fédéral de la Justice à l'effet qu'une telle empiétait potentiellement sur des pouvoirs de compétence provinciale et qu'elle ne serait pas à l'abri d'une contestation judiciaire.
Tel que discuté précédemment, la loi, dont le libellé est assez succinct, a une triple vocation : elle (1) modifie le Code canadien du travail pour protéger les employés contre des tests génétiques obligatoires; (2) ajoute la discrimination génétique aux motifs de distinction illicite de la Loi canadienne sur les droits de la personne; et (3) crée de nouvelles infractions au Code criminel pour quiconque contraint une personne à : (i) subir un test génétique; ou (ii) divulguer les résultats d'un test génétique préexistant comme condition pour recevoir des biens et services ou pour conclure un contrat.
Les modifications au Code canadien du travail et à la Loi canadienne sur les droits de la personne n'étaient pas contestées (les deux étant évidemment de compétence fédérale), mais les articles 1 à 7 de la loi, visant à interdire de contraindre les gens à divulguer leurs renseignements génétiques étaient perçus comme empiétant sur les compétences provinciales en matière de propriété et de droits civils, plus particulièrement eu égard au droit des assurances et de l'emploi.
Par conséquent, le gouvernement du Québec a demandé à la Cour d'appel du Québec de statuer sur la constitutionnalité des articles 1 à 7 de la loi, lesquels ajoutent de nouvelles infractions au Code criminel, arguant qu'il était du ressort des provinces de légiférer sur ce sujet. La Cour d'appel a conclu en faveur du gouvernement du Québec et a déclaré lesdits articles ultra vires. Le 10 juillet 2020, la Cour suprême a infirmé cette décision; une majorité de juges a déclaré que la loi constituait un exercice valable de la compétence fédérale.
La décision : la protection contre la discrimination génétique relève du droit criminel
Les juges Abella, Karakatsanis et Martin ont reconnu la validité de la loi, considérant que la protection de l'autonomie, de la vie privée et de la dignité de la personne constitue un objet valide de droit criminel. Elles considèrent que de forcer une personne à subir ou divulguer le résultat de tests génétiques va à l'encontre de ces valeurs, puisque les renseignements génétiques sont au coeur des renseignements biologiques essentiels. Il est ainsi justifié que le Parlement utilise son pouvoir criminel pour limiter les abus potentiels en matière de dépistage génétique.
Les juge Moldaver et Côté ont penché dans le même sens que les trois juges susmentionnés, au sens où le pouvoir en matière criminelle permettait au Parlement d'adopter les articles 1 à 7 de la Loi. Toutefois, ils sont plutôt d'avis que le caractère véritable de la loi est la protection de la santé. Ils sont d'avis que les dispositions contestées ont pour effet, à juste titre, de prohiber les conduites qui amenuisent le contrôle que peuvent exercer les gens sur les renseignements intimes que révèlent les tests génétiques.
Les juges Wagner, Brown, Rowe et Kasirer, quant à eux, forment la minorité. Ces derniers rejettent les arguments précédents et sont d'avis que les articles 1 à 7 empiètent sur la compétence provinciale en matière de droits civils et de propriété, considérant qu'il s'agit là de réglementation de la fourniture de biens et de services. Ils ajoutent que les débats en matière de partage des compétences ne peuvent qu'aller en augmentant, étant donné l'avènement de nouvelles technologies et leurs impacts sur la protection de la vie privée et l'autonomie.
L'impact
Le partage des compétences entre les paliers fédéral et provincial fait l'objet de débats politiques et juridiques constants, et ce, depuis la Confédération Canadienne. Les nouvelles technologies et découvertes scientifiques ne peuvent qu'accentuer le rythme des débats, notamment quant à la sempiternelle question du palier de gouvernement le plus apte à répondre aux défis éthiques que représentent ces avancées.
L'arrivée de technologies novatrices comme la biométrie, la reconnaissance faciale et vocale et l'imagerie thermique, conjuguées aux avancées en matière d'intelligence artificielle, entraîne de nombreuses questions juridiques. Les gouvernements qui choisissent de réglementer en la matière et les approches qu'ils adopteront pour ce faire devront être étudiés avec attention.